État des lieux

– Pour le moment, ça n’a rien de très sympathique, prévint Thsans en glissant les clés dans la serrure. Je vous préviens par avance.

– Depuis combien de temps cette école a été abandonnée ? Demanda Formbi en levant la tête pour observer la façade.

– Une cinquantaine d’année, si ma mémoire est bonne. Comme le hameau, les derniers habitants sont partis peu à peu dans des villages plus importants ou à Copero City, pour trouver du travail. Honneur aux dames.

Formbi s’écarta aussi pour laisser d’abord passer Lorana, avec son bébé dans les bras. Il aurait cru que Thrass aussi allait venir pour découvrir les lieux mais apparemment, il était parti, pour aller voir un docteur à la capitale. Une information qui avait laissé l’Aristocra plus que perplexe. Il ne restait donc plus aucun docteur à Vzeat, voire à Copero City ? Ce n’est pas comme si la ville était très éloignée de chez eux. Enfin bref, il avait sans doute autre chose à régler là-bas, du même coup. Entrant à son tour, il fit d’abord le tour d’horizon des lieux du regard. C‘était ancien, ça, il n’y avait pas à dire. Pas aussi poussiéreux que prévu car des trous dans les parois et un peu dans la toiture laissaient filtrer de l’air des montagnes. Tout était en bois, même l’escalier, cela seul prouvait que le bâtiment datait sacrément. Il faudra pas mal de travaux pour tout remettre en normes, avant de faire quoi que ce soit ici. Ils pourront en profiter pour arranger à leur convenance l’agencement.

Ils se trouvaient à peine à un kilomètre de Vzeat, cette ancienne école était facilement accessible depuis la petite ville. Par contre, elle restait malgré tout cachée des regards, il fallait savoir quelle route emprunter pour la trouver. Nichée dans les montagnes, au creux d’une vallée tranquille et non loin d’un petit lac, les lieux étaient sereins et protégés. Thsans leur donna quelques indications de plus, le nombre d’étages et les sous-sols, les travaux qu’il estimait pour le moment, même si rien ne vaudra une étude solide pour ça. Formbi aimait bien le style ancien, comme celui-ci, il trouvait ça plutôt apaisant. En marchant, ils déplaçaient une bonne couche de saletés au sol, des animaux et insectes étaient passés par là. Il crut même voir un petit terrier, au fond du hall d’entrée, à un endroit où des morceaux de planche s’étaient effritées avec le temps. Travaux à prévoir, en effet.

– Nous serons à l’abri des regard, ici, c’est ce qui va compter le plus, surtout dans un premier temps.

Thsans tira des vieux rideaux, à moitié déchirés et pendants, pour dévoiler une baie vitrée et des portes battantes en verre. Dévoilant l’accès au lac et à la vallée, autour de l’école. Formbi retourna la tête vers Lorana, un faible sourire aux lèvres.

– Ce sera mieux une fois rénové, il ne faut pas s’en inquiéter.

De tous les endroits possibles et visités, celui-ci demeurait le meilleur, grâce à l’endroit où il était situé et surtout la planète. Contrairement à Svarchi, un monde très agricole donc une proie plus évidente pour ses adversaires, Copero ne pouvait pas souffrir des mêmes « accidents » et des « problèmes techniques malheureux ». Aucun de ses adversaires ne pouvait se permettre de mettre à mal les chantiers navals. Du moins, pas sans se mettre l’intégralité de la Flotte de Défense sur le dos. Ni sans mettre en danger l’Ascendance. C’était une chance que son vieux confrère ne voit aucun mal dans ce projet et veuille y participer. Les Mitth n’étaient pas le Clan puissant, en revanche, ils étaient un Clan qu’on ne pouvait pas se permettre de trop titiller.

Formbi mettait le temps qu’il pouvait se permettre dans son projet, entre les affaires habituelles à gérer et les problèmes lui tombant dessus depuis maintenant un bon moment, parfois improbables, au gré de l’imagination du chef des Csapla et de ses propres alliés. Le tout était de conserver un rythme de vie à peu près normal malgré tout, sauvegarder les apparences et ne pas laisser quiconque, dans la population, comprendre qu’il existait ce genre de tensions entre les Chefs de Clans. Plongé dans ses pensées, il serra un peu les lèvres en regardant, un peu plus loin, Thsans et la jeune Humaine discuter du passé de cette école. Des rumeurs avaient déjà commencé à circuler sur elle, bien entendu. Même si pour le moment, cela restait moins dur que ce qu’avait ramassé le jeune couple de soldats. Sur Csilla, la population en générale était à tendance plus xénophobe que sur Copero. Cela tenait aux Histoires respectives des deux planètes, évidemment. Ce qui aidait aussi était que la jeune mère parlait déjà bien la langue avant son arrivée ici.

Ils allèrent ensuite à l‘étage, pour mieux vérifier l’état général des lieux et surtout les travaux à prévoir. Thsans disait que c’était ancien… Formbi n’osait pas lui dire que dans les écoles de sa propre planète, le bois et la pierre étaient aussi les matériaux de rigueur, encore aujourd’hui. Car c’était la ressource majeure de son mode, tout bêtement. La plupart des autres planètes préféraient le béton, le fer et ainsi de suite, bien plus solides. Dans le cas de Csilla, c’était surtout en prévision des tremblements de terre, ça arrivait de temps à autre. Lorsque les volcans grondaient en surface, le plus souvent.

– Combien de personnes avez-vous pu rassembler autour de ce projet, environ ? Vous avez déjà une idée nette de comment cela va s’organiser ?

– Pour le moment, en vous comptant, huit, qui se disent prêtes à participer activement pour mettre en place les choses. Concrètement, il faut d’abord remettre cet endroit en place et en assurer la sécurité, bien sûr. Durant ce temps, il y a déjà deux personnes, adultes, de mon clan qui vous attendent, dans l’espoir d’enfin apprendre à se maîtriser. Ne plus avoir peur de causer des accidents en public, surtout. Pour la suite, j’ai quelques contacts intéressés pour de jeunes enfants. Encore peu, bien sûr, cela se développera au fil du temps. Pour le moment, le plus gros reste tout de même d’organiser tous les cours indispensables aux enfants, dans ce lieu, pas seulement la Force, on ne veut pas les déscolariser.

L’idée commençait lentement à faire son chemin, dans les esprits, enfin, il faudra évidemment pas mal de temps. Deux adultes souhaitaient déjà pouvoir apprendre à se maîtriser, il en viendra sûrement d’autres par la suite. Le plus dur sera de lever progressivement le tabou, en ce qui concerne la Force et son usage. Elle savait déjà que beaucoup étaient convaincu que c’était une maladie. Honnêtement, lui aussi l’avait longtemps cru… Jusqu’à l’arrivée de sa nièce par les failles. Ah là là, cette enfant n’avait pu se rendre compte du nombre considérable de sujets qu’elle avait remis en cause chez lui… Il secoua légèrement la tête avec un petit sourire, en y pensant. Les enfants… Se reprenant, il expliqua à la jeune femme le déroulé, combien de temps environ devraient prendre les travaux et comment s’organiser avec ceux voulant déjà débuter, même si rien n’était terminé ici. Elle sera la seule véritablement formée durant un long moment, malheureusement, ce ne sera pas simple au début.

– Je me demandais, avant votre arrivée, si votre ancien maître n’allait pas causer des problèmes à cause de ça. Même si nous avons déjà un accord d’échange d’informations, il y a finalement eu très peu besoin de contacts depuis.

Des Jedis, dans l’Ordre, avaient mal compris l’accord passé il y a plusieurs mois maintenant ? Ou ils pensaient que ce serait plus poussé ou plus exploité ? Si c’était le cas, effectivement, ils n’avaient rien compris du tout. Mais soit. Peut-être prendront-ils le temps plus tard de mieux expliquer les choses mais ce ne sera pas dans l’immédiat. En tout cas, il ne comptait pas s’y mettre maintenant, ayant bien autre chose à faire, ce qui était aussi le cas de tous ses collègues. Thsans également avait légèrement haussé les épaules, en répondant qu’ils verront ça plus tard de toute manière. L'Aristocra des Chaf avait surtout le sentiment que leur future professeure avait, de son côté, mal pris les circonstances de ce départ, bien qu’elle en disait assez peu, somme toute. Il semblait aussi compliqué d’entrer dans cet Ordre que d’en sortir, ça lui faisait plutôt penser à une organisation mafieuse, quelque part.

– Peu importe, de toute manière. Thrass leur a dit que l’Ascendance avait de quoi s’occuper et qu’ils ne pensaient pas à cet accord pour le moment, certains ont compris ça comme l’Ascendance ne veut plus s’en occuper tout court. On a laissé courir, tant pis pour l’instant. Ce n’est pas leur faute, ils ne connaissent pas bien les mentalités d’ici.

– Effectivement, c’est moins urgent que d’autres sujets.

Il trouvait un peu étrange, d’ailleurs, que la proposition faite à Lorana avait réussi à susciter un petit débat chez les autres membres de l’Ordre. Non seulement ça ne les concernait pas, mais en plus, ils ne pouvaient en comprendre ni les origines ni les motivations, alors pourquoi en débattre sans ces éléments ? Surtout, pourquoi en débattre alors que seule la jeune mère humaine et son mari étaient concernés ? Ce serait comme si eux, dans l’Ascendance, s’amusaient à débattre et critiquer les futurs plans d’actions des Jedis ou ce qu’ils comptaient faire sur telle ou telle planète, ça n’aurait strictement aucun sens. Même s’ils se méfiaient d’eux, admettons, il n’en restait pas moins que cette réaction était illogique. Si la jeune femme quittait l’Ordre, dès lors, ce qu’elle faisait ici n’avait plus aucun lien avec eux, donc aucune raison pour eux de s’en préoccuper. C’était pourtant parfaitement clair.

– Il y en a aussi qui se sont inquiétés que les enfants soient formés comme des soldats que ça fasse des ennemis potentiels pour la suite, ce genre de chose.

– Leur avez-vous dit que notre peuple n’attaquait pas en premier ? S’ils parviennent à comprendre cela, seulement, ça devrait d’ores et déjà suffire à effacer une bonne partie des inquiétudes. Cela dit, je ne comprends pas que ça puisse soulever tant de questions alors que vous avez quitté l’Ordre. Cette affaire ne concerne en rien les Jedis, ça devrait être si simple à intégrer. Comme si nous, nous allions nous mêler de leurs propres projets. C’est ridicule.

– Les Humains peuvent parfois s’angoisser plus aisément, dit Thsans d’un ton plus apaisé avec un petit signe vers lui. Rien de plus. Personnellement, je trouve assez amusant que même en-dehors de l’Ascendance, certaines personnes puissent s’inquiéter de vos méthodes, Chaf’orm’bintrano.

Formbi lâcha un très léger rire, involontairement. Puis se reprit avec un petit raclement de gorge et poursuivit la visite des lieux. L’étage suivant les emmena vers ce qui devait être des salles d’études, quelques autres salles de classes et deux bureaux. Dans l’un d’eux, l’humidité avait tant rongé le bois qu’un trou assez béant s’était creusé dans la paroi, près de la fenêtre. Cette dernière pourrait s’écrouler à l’extérieur, dans les fourrées, d’une simple poussée du petit doigt.

– Il faudra prévoir un endroit où les enfants puissent se reposer et dormir, pour ceux venant d’autres villes ou d’autres planètes.