Cérémonie d'adoption

L’heure était solennelle et le public très attentif. Le début de cette cérémonie avait déjà débuté il y a plusieurs heures, une cérémonie enfin en bonne et due forme, pour l’adoption officielle de la jeune Humaine au sein du Clan. Les personnes se devant d’être là avaient été rejointes par une foule de curieux, venues assister à tout cela car ce n’était rien de moins que la première fois, dans l’Histoire entière de l’Ascendance, qu’une femme non issue de leur peuple était ainsi acceptée par l’un des Clans du Conseil des Familles. Sans oublier la situation parfaitement atypique de cette femme, de son époux et de leur enfant. L’affaire de la tentative de meurtre avait d’autant plus attisé l’attrait de cette cérémonie. Enfin, le haut niveau social des personnes concernées ajoutait encore à la curiosité, s’il y avait besoin. Tout cela avait transformé ce qui aurait dû une cérémonie en communauté plutôt restreinte en véritable rencontre de masse.

Un tel rassemblement n’avait pas été anticipé et en coulisses, les équipes en charge de l’organisation devaient redoubler d’efforts pour préparer la fête qui allait suivre la cérémonie, à la fois blasés et amusés par le nombre important de curieux. Cela dit, les occasions de faire la fête étaient rares et personne n’allait réellement en tenir rigueur.

La voilà donc en vrai, sa chère et nouvelle petite cible. Tranquillement installé au quatrième rang, Mitth'laap'startis observait la scène avec un grand intérêt. Noyé dans la véritable foule qui s’était constitué pour suivre la cérémonie, comme pour un immense mariage. Tellement de curieux ! Et tellement de pression à gérer, sans aucun doute, pour cette petite Jedi. Depuis le début de cette affaire – si longue, d’ailleurs… – il l’observait dans les moindres détails. Les traits de son visage, la forme et la couleur de ses yeux, la manière dont elle était coiffée, sa tenue, le ton de sa voix, sa taille, sa posture, ses gestes, ses attitudes… Il la détaillait comme il le faisait habituellement pour n’importe lequel de ses cobayes, gravant ses traits dans sa mémoire, tout en rêvassant à ce qu’il pourrait lui faire subir si elle se trouvait entre ses mains. Imaginant quel goût avait son sang, sa peau et les sons qu’elle pourrait produire, si elle se mettait à hurler.

Il en faisait de même envers l’époux de cette petite Jedi… Et également envers leur progéniture… C’était toujours intéressant, d’observer à quoi ressemblaient les marmots issus d’unions inter espèces, comme c’était le cas ici. Certains métissages étaient courants, dans la galaxie, les Humains couchaient avec tout et n’importe quoi, parmi les autres espèces humanoïdes, il en résultait de nombreux mélanges, dont certains n’étaient pas très esthétiques. Ce mélange-ci, il n’avait évidemment jamais eu l’occasion de l’observer en détail et cela le rendait on ne peut plus curieux. Néanmoins, un seul spécimen métis n’était pas assez, pour des observations fiables ! Il faudrait au bas mot deux ou trois sujets de plus, même si ce n’était encore que le même couple reproducteur. Avaient-ils l’intention de se reproduire quelques fois de plus ou non ? Débuter l’étude sur une fratrie serait déjà une bonne première étape.

Plongé dans ses réflexions, il ne prit pas une pleine attention à la cérémonie, du moins, jusqu’à ce qu’il soit enfin l’heure de passer à la suite des opérations. Alors que la fête en elle-même débutait, il n’approcha pas immédiatement ses cibles. D’une part car elles étaient occupées avec les « officiels », d’autre part car il poursuivait son évaluation de leurs comportements. L’idéal serait tout de même d’avoir deux couples reproducteurs différents, mais il avait vu dans l’esprit de son hôte que le seul autre couple étranger était humain. Dommage, dommage… Après un long temps à « discuter » avec les uns et les autres, un verre à la main, il finit tout de même, peu à peu, à parvenir à portée de la petite famille cible. Leur morveuse avait six ou sept mois, selon lui, d’après sa taille. Il leur adressa ses salutations polies, tout en regrettant toujours que le deuxième futur cobaye ne soit pas déjà en route dans le ventre de sa mère. Quel couple pénible, à ne pas agir vite pour l’avancée de la science.

Toutes mes félicitations, pour votre arrivée dans le Clan, c’était une très belle cérémonie.

Au final, la seule chose qu’il appréciait chez ce peuple, c’était les sourires très souvent en simple option. Ça l’arrangeait fortement, lui qui avait toujours eu beaucoup de mal à sourire normalement.

Oh, par ailleurs, je me nomme Mitth'laap'startis, je ne m’étais pas présenté. Si je puis me permettre, comment s’appelle votre bébé ? Elle attise la curiosité, je n’avais jamais vu un enfant pareil.

Elle s’appelle Edelweiss. Il semble qu’il n’y ait pas eu d’enfant issu de couple mixte auparavant, on nous pose souvent des questions à son sujet.

Cela se comprend bien.

Même très bien, la curiosité était un adorable défaut, n’est-ce pas ? Il nota dans l’esprit de son hôte que le prénom du bébé était en fait le nom d’une fleur poussant sur les monts glacés de leur monde-capitale. Une fleur rare, que l’on ne trouvait que dans les hauteurs, au creux de la neige. Voilà qui était adorable ! Quant aux interrogations de l’Humaine, là encore, il dénicha les réponses dans l’esprit de son hôte. Tss, tsss, ces Jedi… Où qu’ils se rendent, ils trouvaient toujours le moyen de se fourrer dans divers ennuis ou de se faire remarquer, ils étaient définitivement incapables de demeurer discrets. C’est donc, très simplement, qu’il répondit qu’il n’était venu que par pure curiosité, car elle était après tout la première Humaine à être ainsi adoptée. Ajoutant, une petite minute plus tard, qu’il avait aussi été très choqué par son odieuse agression et que c’était une forme de soutien moral.

J’imagine qu’il en est de même pour beaucoup d’autres, ici. En tout cas, je vous souhaite une meilleure vie, désormais. Tout comme je souhaite avoir à votre fille d’avoir un petit frère, un jour.

Et si possible, rapidement, merci bien, il n’avait pas non plus l’éternité devant lui ! Il salua cette petite famille avec gentillesse – un exploit pour lui – puis quitta la file, laissant le reste participer à ce petit bal de félicitations. Pour le moment, c’était un premier contact, une première observation, il retentera autre chose un peu plus tard dans la soirée, lorsque la foule sera plus dispersée dans la fête. D’ici là, il prit lui aussi un verre puis participa à son tour à la fête, discutant avec les uns ou les autres, selon qui il reconnaissait. Cette fois, il laissait le « pilotage automatique », que son hôte se charge de la discussion et du reste. Durant ce temps, il rêvassait à ce qu’il pourrait passer comme examen à cette enfant et comment il pourrait enfin la disséquer. C’était siiiii frustrant d’avoir à portée de mains un sujet aussi intéressant et de ne pas pouvoir s’en emparer aussitôt !

Il aimerait tant, aussi, pouvoir examiner en profondeur la mère une fois qu’elle sera de nouveau enceinte… Assister en direct au processus de création de ce métissage… Disséquer la grossesse… Lentement… Niveau par niveau… Examiner le développement du fœtus puis du bébé… Elle ne faisait définitivement aucun effort, pour la science, à rester là, se contenter de sourire à sa famille et ne pas déjà porter un autre enfant. Le temps d’une nouvelle grossesse, tout en l’examinant de près, il aurait en plus tout à fait le temps de mener, en parallèle, des examens sur le microbe déjà né ! Quelle tristesse… Mais soit… Il pouvait bien être patient… Se rapprocher de la mère du cobaye allait lui prendre un certain temps, quoi qu’il en soit. Le jour où il quittera ce peuple, ça sera intéressant d’emmener avec lui cette fillette métisse, afin de l’examiner en paix. Il pourra la kidnapper peu de temps avant le départ, histoire de ne pas s’en encombrer trop longtemps ici même…

Il n’avait pas escompté autant de monde, lui non plus, même s’il s’était attendu à ce qu’une certaine curiosité en attire plus que de coutume. Au moins, cela plongera directement Lorana dans le grand bain des longues cérémonies. Même les félicitations allaient durer un bon moment, avec autant de personnes. Il tenait leur fille dans les bras et restait à ses côtés, espérant que ça l’aide un peu moralement, le temps que ça dure. Ils pouvaient parler entre deux invités, surtout, ça devait être déroutant, il le savait bien. Et très long… Il en avait plus que l’habitude mais tenait à ce que sa femme reste détendue un maximum pour affronter ça, c’était l’une des premières fois. La foule présente donnait réellement le sentiment que le clan entier s’était déplacé, alors que, tout de même, il devait bien y en avoir une partie non négligeable qui s’en souciait peu. Les adoptions étaient ordinaires, dans la vie d’un clan, pas de quoi attirer les masses.

L’attentat avait dû énormément jouer, dans cette curiosité, après tout, cette affaire avait tourné en boucle sur toutes les chaînes d’informations. Le nom et le visage de son épouse avaient été montrés et répétés encore et encore, elle était connue comme « la victime d’une tentative d’assassinat ». Heureusement, personne ici n’avait l’indélicatesse de lancer ça à haute voix, même si beaucoup n’en songeaient certainement pas moins. Les personnes défilaient et toutes les deux minutes, entre deux salutations, sa femme et lui remettaient en place le petit ruban de devant, de la robe de leur fille, qu’elle ne cessait de tirer. La prochaine fois, il prendra une tenue où pareil détail se trouvait dans le dos, hors de portée de ses petites mains. Il finit par glisser par plutôt la porter assise contre lui, une main sous elle, l’autre contre son ventre, doucement, par-dessus le ruban noué. Pour lui, c’était plus confortable de la tenir ainsi, pour elle, elle n’avait plus accès au ruban.

"Oh, par ailleurs, je me nomme Mitth'laap'startis, je ne m’étais pas présenté. Si je puis me permettre, comment s’appelle votre bébé ? Elle attise la curiosité, je n’avais jamais vu un enfant pareil."

"Elle s’appelle Edelweiss. Il semble qu’il n’y ait pas eu d’enfant issu de couple mixte auparavant, on nous pose souvent des questions à son sujet."

"Cela se comprend bien."

Ah ça, les questions, c’est vrai que ça ne manquait pas. Il baissa la tête pour adresser un sourire attendri à leur petit bout, pour le moment inconsciente des regards qu’elle attirait. Puis vers Lorana lorsqu’elle demanda pourquoi autant de monde était venue assister à la cérémonie. Les réponses étaient assez évidentes, celles que lui fournit Mitth'laap'startis étaient sûrement les mêmes que pour bon nombre de personnes ici. Il n’y avait pas de mal à ça, cela dit. Thrass espérait toujours que la justice trouve les réels coupables, au lieu de s’acharner sur des cibles désignées qui n’étaient certainement pas les véritables responsables. Un espoir assez vain… Il ne devrait pas y penser, aujourd’hui, essayer, en tout cas. C’était censé être un jour de fête et de détente, un jour important pour son épouse, pas un jour où s’enfoncer dans de multiples théories.

"J’imagine qu’il en est de même pour beaucoup d’autres, ici. En tout cas, je vous souhaite une meilleure vie, désormais. Tout comme je souhaite avoir à votre fille d’avoir un petit frère, un jour."

Ça, en revanche, c’était plus rare, qu’on leur souhaite d’avoir un second enfant. Un projet dont ils parlaient plus régulièrement, ces derniers temps, sans qu’il n’y ait encore grand-chose en route. Thrass lui adressa un sourire, tout en le saluant à son tour, content cela montrait que, peu à peu, leur situation était un peu mieux acceptée. Après un nouveau et long moment de salutations, il vit à coup approcher le docteur Mitth'asui'nariel. Thrass ne s’était pas attendu à le voir ici, sa femme non plus visiblement, et il le salua avec plus de chaleur que d’autres. Surtout, avec beaucoup de reconnaissance. Jamais il ne pourra oublier son aide, c’était grâce à lui et à sa consœur qu’il n’y avait pas eu de drame et que leur fille pouvait toujours voir sa mère. Il avait dû venir dans l’Ascendance pour un autre travail, sans doute. Un travail qui avait peu de chance d’être apprécié de certaines personnes, plus conservatrices.

"Merci pour ce que vous avez fait, avec votre collègue," dit-il en lui serrant la main. "Ça n’a pas de prix."

Il dû remettre aussitôt la main contre sa fille pour bien la tenir, elle savait en profiter pour s’agiter, et espérait qu’il ne prenne pas mal le geste. Edelweiss essayait de maintenant de jouer avec le bout de sa manche, comme elle n’avait plus accès à son ruban.