Douceur du soir

Des réunions, des réunions, des réunions, encore des réunions, beaucoup de réunions. Des petites, des grandes, des calmes, des compliquées, des salées et des sucrées, des réunions partout, des réunions à ne plus en finir, des réunions jusqu’à la nausée. Heureusement que dans certains cas, le lieu d’accueil de la réunion était agréable. Comme aujourd’hui, la rencontre avec les ministres de la reine d'Elendys se tenait sur une terrasse de pierre, protégée par un grand auvent et des voilages très légers, le tout cerclé de lierres et de longues feuilles. Pas très commun, pour une réunion politique, il avait d’abord eut l’impression de s’installer pour un repas en famille à l’extérieur. D’autant plus avec l’immense lac s’étalant tout près d’eux. Les serviteurs du palais avaient même amené des coupelles de fruits et des boissons, renforçant l’impression d’être à une petite fête plutôt qu’une réunion politique.

Nevil avait d’abord voulu en connaître plus sur les us et coutumes de ce peuple, puis plus important encore, sur leurs objectifs à long terme. Ce qu’ils attendaient de la coalition, quelle place ils envisageaient d’y tenir, leurs objectifs militaires, politiques, sociaux, économiques et culturels. Le tout pour mieux définir quel pourra être leur rôle actif et leurs possibilités d’actions, officielles ou officieuses, dans la suite des événements. Il était accompagné par Taj, une fois de plus, mais avait épargné cette rencontre-là à Amélia, étant donné que ce genre de réunion avait l’incroyable faculté de la faire tomber endormie sur un coin de table. Ah là là, les militaires, toujours du mal à tenir debout dès lors que le sujet ne tournait pas autour des pan-pan-piou-piou. Ils avaient débuté la rencontre assez tôt ce matin, avaient fait une pause d’une heure le temps de déjeuner, puis avaient repris il y a trois ou quatre heures, sous la douce lumière du soleil.

Lorsque cette première journée de travail s’acheva, Nevil avait la tête pleine et une furieuse envie de détente. Ils devaient rester quatre jours sur Elendys, pour le travail et rencontrer toutes les personnes devant, plus tard, travailler activement dans la coalition. Après les salutations d’usage, il se rendit dans la chambre qui lui avait été allouée, le temps du séjour, pour ranger ses affaires de travail puis prendre une douche. Tout cela, toutes ces réunions et ces rencontres, c’était un travail dont il avait l’habitude depuis très longtemps, par contre, il n’avait jamais imaginé devoir le faire à cette échelle. Après la douche, plus détendu, il ressortit sur les grandes terrasses entourant le palais, puis les pontons de bois s’avançant sur le lac. Le soir s’avançait avec lenteur, faisant briller les eaux d’une lueur orangée. C’est au bout d’un des pontons, sous un nouveau auvent de bois, allumé par des chandelles en guirlande, qu’il eut la surprise de revoir la jeune reine.

"Vous profitez de la douceur du soir après cette longue journée, majesté ?"

C’était on ne peut plus compréhensible.  Il avait pu noter aujourd’hui que malgré son jeune âge, elle était sérieuse dans son travail et avait à coeur d’écouter les avis de ses ministres durant les échanges. Il avait aussi rencontré son frère du même coup, il avait un caractère plutôt semblable. S’arrêtant au bord des barrières de bois du ponton, il observa un moment le lac, cherchant à se détendre pour de bon.

"Vous aviez on ne peut plus raison d’affirmer que votre monde est agréable à vivre. Il est dommage que tant de personnes ignore la beauté de ces planètes, par simple mépris de ces zones."

Le ponton de bois s’avançait sur le lac d’abord droit, puis tournait en angle sur deux mètres, avant de repartir en ligne droite, encore trois mètres avant d’arriver à sa fin, une terrasse recouverte d’un auvent. Les lumières étaient déjà allumées, cette fin d’après-midi. Une causeuse recouverte d’un fin matelas et de quelques coussins était installée dans un coin, près d’un guéridon surmontée de fleurs. Le frère et la sœur se tenaient néanmoins debout, au bord du ponton, contemplant le lac et les nénuphars en fleurs flottant dessus au gré du vent léger. C’était pour ce lac que le palais royal avait été bâti sur ces rives, il y a bien longtemps, il rendait une atmosphère douce, propice autant au travail qu’à la détente. Yenla écoutait son jeune frère donner ses impressions, vis à vis de cette longue journée de travail, ce qu’il pensait de la coalition et les espoirs qu’il portait. Ils avaient pour habitude de remettre à plat, simplement tous les deux, ce genre de travail, poser ensemble leurs réflexions.

L’Empire de Palpatine ne s’est jamais réellement préoccupé de l’Espace Sauvage, à moins qu’il n’y ait la pandémie. Je n’ai pas tant de craintes là-dessus. Ils doivent même ignorer la simple existence de notre monde.

Ce n’est pas ce qui m’effraie, Hissië. Je me demande s’il arrivera finalement un jours où les mondes, jusque là oubliés ou délaissés, pourront eux aussi faire partie d’un tout, sans mépris et sans rejet. Même si leur accès peut être difficile ou qu’ils sont situés dans des zones éloignées de tout. Que ce soit dans cette coalition ou ailleurs, il reste bien du mépris à contrer.

L’Empire était certes un adversaire malsain et dangereux, toutefois, il ne s’occupait en effet pas d’eux. Peut-être même ignorait-il l’existence d’Elendys. Il existait des centaines de mondes comme le leur, habités sans que personne ne le sache, vivant sans se soucier des problèmes de la galaxie, échangeant avec leurs plus proches voisins seulement. Voire n’échangeant pas du tout faute de vaisseaux. Des centaines, que disait-elle, peut-être même des milliers. Tant de planètes dont personne ne se préoccupait et qui ne se préoccupaient de personne. L’Empire, aussi imposant et féroce soit-il, n’avait tout simplement pas les moyens et les capacités de découvrir tous ces mondes et de s’emparer de chacun d’entre eux. Aucun gouvernement, peu importe à quel point il pouvait se révéler tentaculaire, n’avait de tels moyens. Plus encore lorsque les mondes en question ne possédaient pas suffisamment de ressources naturelles pouvant intéresser les conquérants.

C’était le cas de leur monde. Elendys produisait assez pour nourrir sa population, néanmoins, ils n’exportaient que très peu. Ce n’était pas une planète susceptible d’intéresser de grosses factions. Ni un peuple voulant lui-même conquérir ses voisins. Hissië finit par la saluer, devant aller se préparer pour déjeuner ce soir avec sa belle amie. Elle lui sourit tendrement, touchée de voir qu’il osait enfin courtiser une femme et qu’il se préparait sur la voie du mariage. Quand il partit, elle se retourna vers le lac, perdue dans ses pensées. Une dizaine de minutes plus tard, des pas retentirent de nouveau sur le ponton. Elle pensa d’abord à quelqu’un du palais, venu l’avertir de quelque chose, puis fut étonnée de voir arriver Nightswan, en tournant la tête. Elle aurait songé qu’il se reposait dans la chambre lui ayant été allouée. A moins qu’il n’ait envie de découvrir, simplement, leur petite planète.

Vous profitez de la douceur du soir après cette longue journée, majesté ?

Les endroits comme celui-ci y sont particulièrement propices, sourit-elle doucement.

Elle aimait par-dessus tout, les soirs comme celui-ci, prendre une barque et aller sur le lac, parfois récolter elle-même des graines de lotus, se laisser porter au fil de l’eau et ne plus penser à rien. Ils avaient cette chance, sur leur monde, de pouvoir le faire sans aucune crainte. En sachant qu’aucun vaisseau de guerre, sinon parfois des pirates perdus par chez eux, n’allaient bombarder la planète.

Vous aviez on ne peut plus raison d’affirmer que votre monde est agréable à vivre. Il est dommage que tant de personnes ignore la beauté de ces planètes, par simple mépris de ces zones.

Yenla voulait conserver l’espoir que cela puisse changer un jour. Elle invita Nevil, s’il le souhait, à venir s’asseoir avec elle sur la causeuse. Elle avait été installée ici pour tous, même les personnes n’étant pas du palais royal, souhaitant simplement profiter de la vue sur le lac. En journée, il y avait bien plus d’animation. Pour la culture du lotus, par exemple, le lac se remplissait de petites barques. A l’heure venue de récolter les graines, les enfants venaient souvent aider leurs parents, pour la simple raison que cela leur donnait une raison de se plonger dans les eaux du lac. Ils n’avaient que très rarement des hivers rigoureux, le climat était plutôt chaud et humide, d’ordinaire, ce qui favorisait grandement la culture de leurs plantes aquatiques.

Nous aimons notre tranquillité, bien que je garde espoir que des échanges culturels plus réguliers puissent se mener avec d’autres peuples. Je n’ai pas le sentiment que beaucoup de peuples s’intéressent beaucoup à l’art, malheureusement. Vous qui avez pu visiter plus de la galaxie, quels sont les mondes que vous appréciez le plus ?

Après un court moment, elle l’invita à venir s’asseoir avec elle sur la causeuse disposée dans un coin du ponton couvert, face au lac. A son arrivée, Nevil avait pu remarquer que ce peuple aimait créer des petits espaces comme celui-ci, à la fois à l’écart et ouverts sur la nature. Pas seulement au sein du palais, il avait pu en voir, à leur passage en ville après leur arrivée, dans les jardins ou sur les terrasses des maisons. Bien souvent, seuls les mondes apaisés depuis assez longtemps se permettaient de le faire, se sentant assez en sécurité sur leur planète pour ça. Des endroits hélas devenus rares, dans certaines régions galactiques, notamment pour les plus grosses planètes au trafic très important. Les petites, comme celles-ci, étaient évidemment plus épargnées.

"Nous aimons notre tranquillité, bien que je garde espoir que des échanges culturels plus réguliers puissent se mener avec d’autres peuples. Je n’ai pas le sentiment que beaucoup de peuples s’intéressent beaucoup à l’art, malheureusement. Vous qui avez pu visiter plus de la galaxie, quels sont les mondes que vous appréciez le plus ?"

"Je me suis toujours efforcé, au cours de ma vie, à ne pas m’attacher à un monde en particulier, par crainte qu’il n’arrive par la suite quelque chose de mauvais. Simple affaire de protection affective. En revanche, j’apprécie plutôt les mondes sans grand passage. En fait, ceux où je pouvais me dire qu’aucun ennemi ne puisse débarquer au milieu de la journée sans crier gare. Les mondes agricoles, les mondes s’occupant d’autre chose que la guerre. C’est reposant."

Peu d’exemple lui venaient car il ne s’était jamais baladé de planètes en planètes comme un simple touriste. Allant avant tout pour affaires, certaines missions plus ou moins légales à opérer, de la contrebande, des problèmes personnels à régler, des rencontres de travail, si on pouvait dire ça, et ainsi de suite. Il sourit donc faiblement et ajouta pour son interlocutrice qu’il ne s’était pas encore posé ou établi quelque part, depuis le jour où il s’était décidé à quitter son monde et sa vie pour entrer dans une autre existence plus mouvementée. Une petite forme de résistance sans grandes conséquences au début, qui avait prise peu à peu de l’ampleur, jusqu’à en arriver aujourd’hui à l’idée d’une coalition. Bien du chemin s’était écoulé. Cela dit, il ne s’en plaignait pas, rares avaient été les gros obstacles au cours de sa vie de rebelle. Globalement, l’Empire lui avait laissé une certaine paix, à part Yularen et Thrawn. Très ironique qu’il se retrouve à travailler en coopération avec ces deux-là aujourd’hui.

"Cela va quelque peu changer, à présent, poursuivit-il après cette précision. Enfin, cela le sera plus tard, une fois le projet mieux établi et lancé."

Au fond, il se demandait même s’il pourrait vraiment se poser en un seul endroit et voyager simplement pour des raisons plus « simple », en quelque sorte. Cesser de courir d’un bout à l’autre de la galaxie avec pour seules questions en tête comment approvisionner tel ou tel groupe de rebelles en armes et fourniture, comment gérer la contrebande, comment ne pas se faire tuer, comment protéger ceux comptant sur lui, etc. Peut-être avait-il été juste trop conditionné par cette vie pour réussir à envisager sereinement quoi que ce soit, c’était possible aussi. Quoi qu’il en soit, des lieux comme celui-ci, surtout avec une compagnie si agréable, forçaient malgré tout à la détente.

"Ça doit vous sembler un peu barbare, non ? Sourit-il en retournant la tête vers elle. J’ai été un de ces pirates que vous avez à combattre de temps à autre, finalement."

Ne jamais se poser quelque part ni s’établir en un endroit qu’on aimait, sans cesse aller d’un monde à l’autre et se contenter de brefs temps de repos sur des planètes plus appréciées… C’était d’une telle tristesse, à ses yeux… Cela signifiait qu’il ne possédait aucun refuge, où que ce soit, un lieu où il pourrait arriver et se dire « Ici, je suis en sécurité et l’esprit serein ». Elle avait tourné un regard assez attristé vers lui, même s’il ajouta que cela changera peut-être une fois la coalition bien établie. N’en était-il même pas sûr ? Avec ce projet, il pourra au moins compter sur d’autres mondes et peuples désireux de vivre en paix. Même en s’organisant le mieux possible pour leur protection commune, l’établir fermement dans le temps ne sera guère une mince affaire, cela dit. Sans doute était-ce cela qui persistait à l’inquiéter. Il sourit tout à coup et retourna la tête vers elle, la surprenant un peu par cette soudaine bonne humeur apparente.

Ça doit vous sembler un peu barbare, non ? J’ai été un de ces pirates que vous avez à combattre de temps à autre, finalement.

Eh bien, monsieur Cygni, je sais faire la différence entre les pirates n’agissant que pour leurs petits profits personnels, sans considération pour leurs victimes et les pirates usant de tous les moyens illégaux possibles pour parvenir à plus de justice, en veillant à ne pas écraser qui que ce soit d’innocent sur leur passage. Vous n’avez, de plus, pas la même agressivité gratuite que les pirates que nous devons combattre.

Dans le cas de ces derniers, son sentiment n’était que du mépris. Y compris pour ces groupes se clamant de résister contre l’oppresseur qu’était l’Empire alors qu’ils usaient des mêmes méthodes violentes et qu’ils se permettaient de piller sans vergogne des mondes isolés, sans défense aucune, au nom de leur cause. Un comportement infect, n’incitant qu’à leur donner la chasse et ne pas leur adresser la moindre pitié. Qui, parmi ces fameux groupes, aurait le courage d’aller en avant des mondes voulant du changement pour mener des négociations sérieuses et être capable de s’y tenir, de respecter ses engagements et de pouvoir proposer un schéma politique fiable, non dégradant et adapté à la situation culturelle des peuples ainsi rassemblés ? Il ne suffisait guère d’être un bon chef militaire, il convenait également de faire preuve d’intelligence et de diplomatie. Un chef ne remplissant pas tous ces critères, sans exception, ne pouvait pas espérer rassembler derrière lui ou inspirer suffisamment de confiance.

J’ignore ce qu’il adviendra de cette coalition ou même ce que pourra devenir notre galaxie, si d’aventure, l’Empire chute un jour. Ce que j’espère, c’est que ces combats n’impactent pas ce que nous avons à construire ici. Que notre envie d’isolement, finalement, soit respectée. Même si des échanges économiques ou culturels peuvent être opérés par le futur. L’hégémonie des grandes républiques et empires ont sans cesse refuser d’accepter que des factions plus petites désirent l’isolement, dans l’histoire de la galaxie. Personne ne peut nous assurer que le futur successeur de cet empire en sera plus capable que lui. Il y a cette forte arrogance, dans le refus d’acceptation d’autres modes de pensées et de cultures. Un mépris certain dans cet esprit colonialiste.

C’était pour cette raison, principalement, que leur peuple avait en très forte majorité voté contre toute idée d’alliance ou d’échange avec les grands groupes rebelles de cette galaxie. Car ils n’avaient pas confiance en leurs capacité à leur assurer la paix après la guerre. Tous avaient bien en tête la réaction de l’ancienne république, face aux mondes séparatistes. Exactement le même type de réaction qu’en avait l’empire actuel, contre les mondes se soustrayant à son pouvoir.

Bien des nôtres s’interrogent sur cet avenir. Si les mêmes travers que la Guerre des Clones ne vont pas être remis en avant, contre les mondes voulant leur indépendance.

"Eh bien, monsieur Cygni, je sais faire la différence entre les pirates n’agissant que pour leurs petits profits personnels, sans considération pour leurs victimes et les pirates usant de tous les moyens illégaux possibles pour parvenir à plus de justice, en veillant à ne pas écraser qui que ce soit d’innocent sur leur passage. Vous n’avez, de plus, pas la même agressivité gratuite que les pirates que nous devons combattre."

Il laissa échapper un petit sourire amusé, à cette réponse. Le manque d’agressivité, c’était un reproche qu’on lui avait déjà donné plusieurs fois, notamment lorsqu’il travaillait avec certains groupes de pirates. Plus particulièrement les premières années, alors qu’il avait moins de marge de manœuvre pour choisir les personnes avec qui il devait s’allier. Certains d’entre eux n’étaient pas des flèches, mais au moins, ils savaient très bien se débrouiller dans leurs opérations respectives. Combien de fois avait-il dû ruser pour éviter des morts inutiles… Jusqu’à atteindre assez de force de frappe pour n’avoir qu’à ordonner à ces hommes de ne pas massacrer bêtement. Ça ne suffisait pas toujours cela dit, il y en avait toujours qui étaient assez nerveux sur la gâchette. Voilà la difficulté première de gérer des gars qui n’avaient pas suivi de réelle formation militaire et tout appris sur le terrain.

Il tourna de nouveau la tête vers la jeune reine lorsqu’elle poursuivit, comprenant sans peine ses craintes sur cet avenir. Il ne pensait pas que tous acceptent leur isolement, c’était bien pour cela que la priorité devait être mise sur la sécurité de tous et la protection des différents mondes. Nevil ne comptait pas un instant sur la bonne volonté de leurs voisins actuels ni sur celle qu’auront leurs futurs voisins. A ses yeux, mieux valait prévenir que guérir. Il est vrai que les gros gouvernements expansionnistes avaient tendance à plonger dans des mentalités nauséabondes, vis à vis des factions plus restreintes… La république et l’empire l’avaient tous les deux prouvé, avec exactement la même force de frappe et le même mépris. Les travers allant avec eux, comme la corruption, entre autres, n’en devenaient que plus importants.

"Bien des nôtres s’interrogent sur cet avenir. Si les mêmes travers que la Guerre des Clones ne vont pas être remis en avant, contre les mondes voulant leur indépendance."

"C’est encore impossible à dire. D’autant plus sans connaître les volontés des uns et des autres, pour cet avenir, il est difficile de s’imaginer à quoi le schéma final pourra ressembler. Ceci étant, c’est à notre propre protection et notre développement que nous devons songer, avant toute chose. Nos moyens doivent être employés à cela, pas à la lutte dans des guerres ne nous concernant pas. L’Espace Sauvage a toujours été délaissé par les grands gouvernements et cela doit devenir une force."

Jamais mieux servis que par soi-même, n’est-ce pas ? Il ajouta dans un murmure que les mondes de cette région avaient de toute manière déjà bien assez subi. Peu importe que d’aucuns puissent les taxer d’arrogance, d’égoïsme, d’isolationnisme ou il ne savait quoi encore. Tous ces mondes avaient déjà suffisamment donné et tous avaient été presque aussitôt oublié, abandonnés avec les terribles conséquences de la pandémie. Ils s’en étaient sortis peu à peu par eux-mêmes. En recréant de nouvelles communautés, en allant chercher les survivants des mondes dévastés pour les emmener sur des planètes offrant de meilleures conditions de vie, en organisant les transits de nourriture et fournitures… Les mois s’étant lentement écoulés, tandis qu’ils travaillaient à tout cela. La coalition n’était que la suite logique à ces progrès.

"Je souhaiterai, entre autres, que des lieux puissent être bâtis à la mémoire des morts, par cette pandémie. Avec tous les noms des disparus."

Il est vrai que c’était encore impossible à dire… On ne pouvait que conserver un certain espoir, ce qui était, somme toute, déjà beaucoup. Il avait raison, également, de dire que leur développement, à tous, devait être leur préoccupation première. Mains posées contre elle, sur ses genoux, elle le regardait avec un petit sourire, assez touchée par la façon dont il avait de s’exprimer et de parler de ses idées, de comment il envisageait cet avenir. Pour elle, cela avait toujours été quelque chose de très important, savoir envisager sereinement le futur et le préparer avec sérieux. Tout comme être capable de débattre calmement et avoir un intérêt pour la culture. Dans une galaxie où tant de personnes pensaient avant tout à la guerre et à de larges conflits inter-nations, cela offrait une tranquillité d’esprit si bienvenue et agréable… Si rare, également… C’était assez triste, lorsqu’on y songeait, bien qu’elle ne devrait pas le trouver étonnant.

Je souhaiterai, entre autres, que des lieux puissent être bâtis à la mémoire des morts, par cette pandémie. Avec tous les noms des disparus.

C’est une très bonne idée. Les familles apprécieront sûrement beaucoup ce geste envers leurs défunts.

Ce ne serait que justice à leur rendre, eux qui avaient les victimes innocentes d’un scientifique fou… Après tout, on parlait bien plus des meurtriers et trop peu des victimes. Il était profondément injuste et cruel que seuls les noms des assassins de masse passent à la postérité alors que les noms de leurs victimes étaient peu à peu effacés par le temps. Cette proposition devra, sans nul doute, plaire à beaucoup, d’autant plus en pareils temps. Pour son propre cas, elle souriait maintenant un peu plus, très touchée qu’il pense à ce genre de chose, car cela montrait qu’il avait un grand cœur. Peut-être ne serait-ce qu’un détail, pour beaucoup. Pour elle, c’était un peu plus que cela, de tels détails parvenaient à beaucoup la toucher et la pousser à plus s’intéresser à une personne. Qu’il pense ainsi à la dignité des autres et à rendre hommage à tous, surtout à ceux considérés comme une masse anonyme, elle trouvait ça très important.

Je ne pense pas, reprit-elle, qu’il y ait eu de tels gestes faits pour les victimes après la maladie, ni même de grand hommage. Il n’y a eu des cérémonies que sur certains mondes de l’Espace Sauvage, pour les communautés de survivants des mondes les plus touchés. Mais guère plus. Comme si tous ces défunts ne méritaient pas que l’on s’intéresse à eux. Faire cela leur redonnera de la dignité, ainsi qu’à leurs proches.

Redonner dignité et honneur aux plus faibles, c’était quelque chose dont peu de chefs se souciaient réellement. Pourtant, c’était là l’essentiel du travail de n’importe quel dirigeant, à son humble avis. Nightswan ne réalisait sans doute pas qu’il venait de frapper en plein cœur, avec cette proposition, elle le considérait maintenant d’un tout autre regard.

D’où vous est venu ce désir de vous impliquer pour les autres ?

Il l’espérait, que les familles puissent apprécier le geste, c’était une manière de ne pas oublier les disparus… Après tout, accéder à ce type de responsabilités et ne pas en profiter pour prendre ce genre de mesures, ce serait d’une aberration sans nom, à ses yeux. Ce n’était qu’un geste, finalement, très symbolique, il ne voyait pas encore quoi faire de plus ou de mieux, pour honorer la mémoire de toutes ces personnes. En retournant le regard vers la jeune reine, il vit alors qu’elle souriait bien plus maintenant. Par réflexe, il chercha autour d’eux ce qui pouvait lui faire cet effet, comme un reflet de lune plus éclatant sur ce paysage qu’elle semblait tant aimer ou autre chose. Peut-être pensait-elle simplement à un souvenir qui lui faisait plaisir. Il aimait la voir sourire, pour sa part.

"Je ne pense pas qu’il y ait eu de tels gestes faits pour les victimes après la maladie, ni même de grand hommage. Il n’y a eu des cérémonies que sur certains mondes de l’Espace Sauvage, pour les communautés de survivants des mondes les plus touchés. Mais guère plus. Comme si tous ces défunts ne méritaient pas que l’on s’intéresse à eux. Faire cela leur redonnera de la dignité, ainsi qu’à leurs proches."

"J’ignore ce qui s’est fait sur la plupart des mondes, dans la galaxie. Je comprends qu’à la fin de la maladie, ce fut compliqué. Pour la suite, j’ai plutôt le sentiment que certains mondes ont cherché à tout oublier au plus tôt."

Cela s’observait tout particulièrement dans les Mondes du Noyau et les secteurs proches, jusqu’à la Bordure Médiane. Autrement dit, les régions galactiques moins durement touchées par la pandémie. Celles où d’autres problèmes avaient été remis en avant, considérés comme bien plus pressants et importants, bien plus que se soucier de la mémoire des morts et aider les régions plus touchées à se relever après l’hécatombe.

"D’où vous est venu ce désir de vous impliquer pour les autres ?"

"Je… ne sais pas. Il n’y a pas de réelle raison, ou plutôt, pas de raison très rationnelle. Il y a eu des manipulations et affaires douteuses que je ne supportais plus, c’est ce qui m’a poussé à m’engager dans diverses actions, pour tenter de les corriger et protéger ceux qui ne pouvaient pas le faire seuls. Au fil du temps et des années, tout cela a pris une certaine ampleur. J’ai travaillé pour un premier groupe, puis comme consultant, puis à la tête d’autres groupes. Le tout s’est fait comme ça, suivant les différents combats à mener."

Il avait juste fait ce qu’il avait pu et ce qu’il avait estimé être le plus juste, finalement. Réussite ou non, globalement, il ne saurait pas vraiment le dire. Toutes ces actions n’avaient été que des gouttes d’eau dans un vaste océan, il regrettait toujours que les rebelles n’aient pu s’unir bien plus tôt et plus efficacement. Aujourd’hui encore, il réprouvait la manière dont l’Alliance fonctionnait et les objectifs trop vagues qu’elle affichait, tout comme ses aspirations. Pour avoir enquêté sur certains chefs influents du Conseil de l’Alliance Rebelle, il s’en méfiait et jugeait les ambitions politiques de certains aussi malsaines que celles de certains Moffs ou Grands Amiraux de l’Empire. C’était… Comment le dire… Lassant, épuisant. Cygni comprenait parfaitement ces mécanismes et stratagèmes, néanmoins, plus il les connaissait et plus il se trouvait dégoûté de ce type de système, trop imposant et lourd, avec les multiples travers découlant automatiquement de sa trop forte taille.

"Ce projet de coalition est aussi une manière de rattraper le temps perdu, quelque part. J’aurai aimé le faire plus tôt. J’aurai dû le faire plus tôt. Il y a quelques années, mes seuls ennemis sérieux étaient le BSI, le colonel Yularen en particulier, et l’amiral Thrawn. Les autres ne prenaient guère ces affaires au sérieux. Autant dire que j’avais le champ libre."

Il ajouta ce dernier point d’un ton assez amusé. Ses principaux adversaires n’avaient jamais pu démanteler tous les trafics qu’il avait pu mettre en place et n’avaient pas non plus eu une marge de manœuvre assez grande pour lui mettre rapidement la main dessus. Ce jeu du chat et de la souris avait duré des années.

"Cela dit, même dans cette coalition, il y aura des conflits d’intérêt et des manœuvres douteuses, je ne me fais pas d’illusions sur le sujet. Certains ont beau avoir la naïveté de croire que confits divers et corruption peuvent se régler avec un pouvoir fort, il est bien inutile d’en rêver."

Elle sourit doucement, en entendant sa réponse, le regard tourné vers le lac, où les doux reflets de la lune formaient de délicates arabesques. Entrer en rébellion contre une situation devenue insupportable, c’était hélas très fréquent, dans toutes les époques, mais le faire non pas pour soi-même mais pour d’autres, qui n’en avaient pas la possibilité, c’était déjà plus rare. Surtout, le faire sans devoir enclencher de très vastes batailles ou de plans de guerre, lorsqu’on pouvait l’éviter. Répondre à la violence seulement par la violence, sans songer même un instant à d’autres actions de rébellion, ne servait qu’à alimenter le cycle de haine. Ça ne mènera jamais à rien. C’était d’ailleurs une question que beaucoup se posaient. L’Alliance Rebelle recherchait-elle la justice ou la vengeance ? A ses yeux, cela était encore assez flou. Mais peut-être ne la connaissait-elle simplement pas assez.

Ce projet de coalition est aussi une manière de rattraper le temps perdu, quelque part. J’aurai aimé le faire plus tôt. J’aurai dû le faire plus tôt. Il y a quelques années, mes seuls ennemis sérieux étaient le BSI, le colonel Yularen en particulier, et l’amiral Thrawn. Les autres ne prenaient guère ces affaires au sérieux. Autant dire que j’avais le champ libre. Cela dit, même dans cette coalition, il y aura des conflits d’intérêt et des manœuvres douteuses, je ne me fais pas d’illusions sur le sujet. Certains ont beau avoir la naïveté de croire que confits divers et corruption peuvent se régler avec un pouvoir fort, il est bien inutile d’en rêver.

Il n’est pas interdit d’en rêver, même si l’espoir de voir cela concrétisé est bien maigre.

Elle sentait son amertume, dans sa voix, ainsi qu’une part de remords. Allons. Il avait fait ce qu’il avait pu et il continuait encore aujourd’hui, il ne devait pas se décourager. Sur une impulsion, a demi-tournée vers lui, elle lui attrapa la main et la serra dans les siennes, avec un sourire encourageant, en lui disant d’une voix claire qu’il n’avait pas de regrets à avoir. Elle le pensait sincèrement. D’autre part car il n’avait jamais abandonné, au cours de sa vie, d’autre part car il prouvait encore maintenant, par ses actes, qu’il ne se laissait pas aller. Donc pourquoi avoir des remords ? Il ne fit même pas de mouvement pour retirer sa main, ce qu’elle faillit, de toute façon, ne pas noter. Des encouragements ne faisaient jamais de mal, d’autant plus lorsque la personne n’était pas prédestiné à assurer une position de pouvoir.

Ce qui compte le plus, c’est ce que vous pourrez faire avec nous tous, maintenant. Même si vous pouvez parfois avoir des regrets, tout cela appartient au passé.

Libérant une de ses mains, elle la posa ensuite contre la joue de son interlocuteur, dans un geste se voulant doux et réconfortant, pour tenter de le faire sourire. Les périodes difficiles ne pouvaient être évitées, plus encore lorsque vous étiez poussé dans cette voie par la guerre, c’était ainsi. Il avait fait de son mieux, elle en était certaine. Elle sourit ensuite de plus belle, cette fois amusée.

Vous devez apprendre à vous détendre, monsieur Nightswan, il n’est pas sain de ne penser qu’au travail.

[HJ : Indics de Jojo.]
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Pas interdit de rêver, vraiment ? Ils pourraient très bien en débattre également, réfléchir à quelle devait être réellement la place du rêve ou encore de l’espoir, face à la place qu’occupait la réali… Ses pensées moururent sans bruit quand elle lui attrapa soudainement la main et la serra dans les siennes, tout en lui disant qu’il n’avait aucun regret à avoir. Le mouvement, ainsi que le rapprochement soudain effectué, lui fit flotter au nez le parfum qu’elle portait, une senteur de lilas. Il vaudrait mieux qu’elle ne se rapproche, pas vraiment, car ç lui donnait envie de le faire aussi et il n’avait pas envie de se prendre une gifle, encore moins de créer un incident diplomatique alors que la coalition débutait à peine et que… Il cligna des yeux lorsqu’elle posa ensuite une main contre sa joue, tout à coup plus happée par son sourire. Elle avait du charme, en plus d’avoir de la conversation, c’était certain…

"Vous devez apprendre à vous détendre, monsieur Nightswan, il n’est pas sain de ne penser qu’au travail."

C’est vrai, mais… Pour une fois, il s’efforça de ne pas trop réfléchir, de ne pas trop penser au risque de ne rien faire du tout. Il se pencha légèrement en avant, avec la boule au ventre en pensant à la claque qu’il allait sûrement recevoir en retour. Et lui déposa aussi délicatement que possible un baiser sur la joue. Lorsqu’il se redressa, il s’écoula un instant, d’abord en silence, elle le regarda, fixement, comme si elle attendait quelque chose, il fit de même, lui aussi en silence. Devait-il dire quelque chose, maintenant ? Et quoi ? Pourquoi ne disait-elle rien, de son côté, alors qu’elle pourrait s’offusquer de ce geste ? Ou au moins reculer ? Non ? Durant une petite minute, ils restèrent ainsi, à se regarder, puis la reine passa du sourire à une sorte de petite moue oscillant entre amusement et impatience. Lorsqu’elle bougea finalement, brisant la première le silence gêné, elle lui mit cette fois les deux mains de chaque côté de son visage et s’avança.

Il sursauta presque lorsque leurs lèvres se rencontrèrent, envahit plus encore par son parfum de lilas, avant de fermer les yeux et de se détendre. Presque malgré lui. Sans oser la toucher, bien entendu, croyant rêver de cet instant… Un instant de pure irréalité, qu’il crut vraiment imaginer, avant de revenir peu à peu au moment présent. Avec elle assis presque contre lui, les mains sur ses épaules, dans le calme et le silence du soir, sous cet auvent. Nevil se sentait extrêmement bizarre, jamais son cerveau ne s’était mis sur pause, de toute sa vie, encore moins sous l’effet d’une femme. Il avait l’impression d’avoir trop bu ou avoir été drogué. Son inexpérience totale des relations amoureuses l’empêchait de prendre la pleine mesure de ce qui venait de se produire et donc de l’analyser, en restant très pragmatique. Par un vieux réflexe, il tentait déjà de revoir la scène d’une manière plus rigoureuse, comme s’il devait analyser une scène de bataille.

"Je n’avais jamais embrassé personne avant vous," commença-t-il par murmurer.

C’était à la fois une sensation très agréable et une sensation très perturbante. Le pire restait quand même qu’il n’avait non seulement pas assez réfléchi à ses actes et leurs potentielles conséquences mais qu’il s’était en plus laissé aller au moment présent, sans être un minimum pragmatique. C’était bien grave ! Et malgré ça, en la regardant, il avait tout de même envie de recommencer.

"Mais êtes-vous sûre que… Enfin, vous êtes la reine de votre nation, qu’en penserait votre peuple ?"

Elle ferma les yeux en souriant, l’espace d’un bref instant, lorsqu’il l’embrassa sur la joue, puis les rouvrit, constatant qu’il s’était aussitôt redressé. Un peu déçue et surprise, tout à coup… Elle attendit, en le regardant, tout en se demandant si elle était tout simplement fait des idées ou si… Non ? Oui ? Durant une longue minute, elle se contenta de patienter, puis finit par comprendre, à l’air qu’il tirait, qu’il ne devait tout simplement pas oser. L’amusement la prit et elle se dit que si elle ne prenait pas les choses en main, ils allaient sans doute rester très longtemps ainsi, sans rien dire ni bouger. Elle se rapprocha donc de nouveau, lui mit les mains contre son visage puis alla elle-même doucement l’embrasser sur la bouche. S’il sursauta un peu, il ne recula pas, à son plus grand bonheur. Cela ne dura qu’un instant, un petit instant, mais un bel instant. Il était adorable avec cette expression si… A la fois surprise et presque choquée.

Je n’avais jamais embrassé personne avant vous.

Vraiment ? Là encore, elle fut assez surprise. Il avait déjà pas mal vécu et n’était, à ce qu’elle en savait, pas tenu par des obligations sociales très strictes, imposant un parcours compliqué avant de pouvoir former un couple. Cela dit, c’était sans doute justement cette vie bien remplie qui avait dû le tenir éloigné de telles affaires. C’était… Plutôt triste, quelque part. Bien qu’elle comprenne, bien sûr, parfaitement que le devoir l’emporte sur tout le reste, sur la vie personnelle, cela restait triste.

Mais êtes-vous sûre que… Enfin, vous êtes la reine de votre nation, qu’en penserait votre peuple ?

Oh, voilà qu’il s’inquiétait de cela, maintenant. Elle ne put retenir un petit rire et commença par lui affirmer qu’il ne devrait pas s’angoisser avec de telles interrogations, tout de même, il en avait déjà bien plus que son lot personnel. Quoi qu’il était naturel qu’il se pose de telles questions. Après tout, dans un très grand nombre de monarchies ou tout simplement dans la haute Société de nombreux mondes, il n’était pas convenable pour un de ses membres de se rapprocher d’une personne extérieure. Ou bien sous certaines conditions, là encore, souvent strictes. Yenla recouvra son sérieux, en y songeant, sans quitter Nevil du regard.

Autrefois, effectivement, les personnes appartenant à la famille royale se devaient de fréquenter uniquement des personnes appartenant à la noblesse. Les lois ont peu à peu changé, suite à certains troubles, il y a quelques siècles. C’est une très longue histoire… Toujours est-il qu’aujourd’hui, les reines et les princesses sont libres de choisir leurs prétendants, les mœurs ont évolué. Tout ce qui n’a pas changé est le fait qu’une femme doit devenir la reine. Si je décédais sans héritière, mon frère devrait alors se marier et ce sera sa femme qui prendra le trône. Si je n’avais pas de frère et uniquement des fils, le pouvoir irait alors à l’épouse de mon fils aîné. Le problème que pourrait avoir mon peuple serait plutôt que je n’engendre pas de fille. Bien que les lois soient claires, dans ces cas-là, il serait mentir d’affirmer que cela ne génère pas un certain stress.

Il y avait un équilibre à trouver, entre laisser parler ses sentiments mais également ne jamais oublier quel était son Devoir. Depuis toujours, elle songeait qu’il serait bien plus aisé que le trône se transmette simplement à l’enfant premier-né du couple royale, qu’importe que ce soit un garçon ou une fille. Cependant, il n’était pas simple de bouleverser des traditions aussi ancrées, surtout lorsque certaines d’entre elles avaient été imposées à des époques lointaines, pour de très bonnes raisons. Sur leur monde, les habitants vivaient en plusieurs Clans et communautés, éparpillées sur toute la planète, gérant parfois, en petite autonomie, des territoires très importants. Tous se regroupaient sous son égide, elle représentait à la fois le pouvoir politique central et un symbole d’unité. Gérer cette pression s’apprenait dès la tendre enfance, on ne pouvait improviser pour devenir reine.

L’union de tous les Clans repose sur la confiance apportée au dirigeant, reprit-elle avec un sourire. Je remplis mes Devoirs envers eux, en retour, ils apportent leur respect et leur loyauté. C’est ainsi que tous restent unis et défendent ensemble notre monde. Tout passe par là. Une seule trahison peut valoir cette perte de respect et donc entraîner des déchirures, des guerres civiles. Vous avez pu voir aujourd’hui, avec mes ministres, que vous avez ce respect.

Ne pas s’angoisser. Allons ! Ce type de question était tout à fait légitime ! Il ne fit qu’une petite moue, sans la lâcher du regard et sans insister encore, attendant simplement qu’elle lui réponde. Un peu d’Histoire, pour commencer, sur les traditions de la planète… Dont il se doutait que les changements avaient dû se faire, pour la plupart, dans le sang, étant donné le ton employé. Sans doute lui demandera-t-il l’histoire complète un jour, lorsque le moment sera plus propice. Il était déjà soulagé, d’entendre cela, car son but n’était pas de créer le moindre trouble, encore moins d’en causer à la jeune femme. Tout pouvait dégénérer si vite, dans de tels cas… D’autant plus au cœur de régions galactiques encore durement éprouvées par les conséquences de la pandémie. Il serra ses mains dans les siennes, hochant la tête lorsqu’elle parla du stress engendré, par l’absence d’héritière. Les soucis de la royauté… Il avait déjà pu entendre certaines histoires assez sombres.

"L’union de tous les Clans repose sur la confiance apportée au dirigeant. Je remplis mes Devoirs envers eux, en retour, ils apportent leur respect et leur loyauté. C’est ainsi que tous restent unis et défendent ensemble notre monde. Tout passe par là. Une seule trahison peut valoir cette perte de respect et donc entraîner des déchirures, des guerres civiles. Vous avez pu voir aujourd’hui, avec mes ministres, que vous avez ce respect."

"Je ne compte pas le perdre, bien entendu. Vous savez que ce projet ne pourra se faire qu’avec la pleine confiance de tous les mondes engagés."

Système clanique autour d’un pouvoir matriarcale et une royauté. Un système qu’il estimait, de par ses expériences personnelles, assez fragile. Dans le sens où comme elle le disait elle-même, un simple grain de sable suffisait à faire dérailler toute la machine. Ceci étant, sans en savoir plus sur le passé de ce peuple, il ne pouvait émettre un avis très objectif. Tout ce qui était certain, c’est que ce système s’était mis en place pour des raisons solides. Nevil réalisait qu’il n’avait pas emprunté la plus simple des voies. Sans expérience amoureuse réelle par le passé, il venait d’accepter de franchir ce pas avec une personne portant de hautes responsabilités politiques et sociales, pour tous les siens. Bien qu’elle ait le choix de son prétendant, il se doutait que de nombreuses règles devront être suivies, s’il espérait tracer une histoire avec elle. Même s’il en était encore à la découvrir.

"Je vous l’ai dit, je n’ai jamais embrassé ou aimé qui que ce soit. Pour être honnête, je songeais même que ça ne se réalisera jamais un jour, simplement car la vie m’a conduit sur des chemins où ce n’était pas une priorité. Donc je suis navré par avance, si je peux commettre certaines maladresses. Il faudra m’instruire plus avant sur les coutumes et traditions de votre monde, par ailleurs."

C’était tout de même très important de préciser cela. A vrai dire, il ignorait même comment faire la cour à une femme. Apprendre à la connaître, la désirer, prendre soin d’elle… et ensuite ? Développer des relations amicales était une chose, le faire avec une relation amoureuse en était une autre. Il se pencha pour déposer un baiser contre son front, improvisant dans les gestes qu’il avait envie d’effectuer et ce qu’il pensait qu’elle acceptera. Bien sûr que c’était difficile, il n’avait jamais été d’un naturel très romantique. Ou plutôt, il n’avait jamais eu d’occasions de s’y frotter.

"Ce que je crains également, c’est de vous attirer des ennuis supplémentaires, au niveau politique, cette fois. Il va y en avoir dans la coalition, je ne suis pas naïf sur ce sujet. Mais y entraîner d’autres, ce n’est pas mon but. Vous savez, vous aussi, de qui il faut d’ores et déjà commencer à se méfier."

Il savait ce qu’il avait à faire, bien entendu, elle n’en doutait pas. Ce ne sera pas très évident. Yenla baissa un instant la tête, le regard tourné vers une légère lueur blanche reflétée à la surface du lac, puis la porta de nouveau vers Nevil. Son inexpérience avouée était touchante, il essayait visiblement de faire attention à ses gestes, le choix de ses mots, même son attitude et la position du corps. C’était évident. Elle ne craignait pas ses éventuelles maladresses, car elle-même en fera, sans nul doute. Après tout, elle ne possédait guère plus d’expérience que lui-même. Le baiser qu’il déposa sur son front fut très doux, à l’image de l’attitude qu’il démontrait depuis toute à l’heure. Ils étaient comme protégés d’une douce bulle, seuls et dans le calme de la soirée. De rares moments, elle devait bien l’avouer. Même si leur monde était, d’une manière globale, plutôt calme, les affres de la vie quotidienne ne laissaient que peu de moments de répit.

Ce que je crains également, c’est de vous attirer des ennuis supplémentaires, au niveau politique, cette fois. Il va y en avoir dans la coalition, je ne suis pas naïf sur ce sujet. Mais y entraîner d’autres, ce n’est pas mon but. Vous savez, vous aussi, de qui il faut d’ores et déjà commencer à se méfier.

En attirer plus encore ne sera pas aussi simple, sur ce monde. Pas si tôt, à mon humble avis. Il est difficile de prévoir certaines réactions mais vous ne partez pas avec plusieurs désavantages, bien au contraire. Quant à la coalition, je suis effectivement consciente qu’il y aura des problèmes politiques divers et variés, dont nous devront tous nous méfier, c’est une évidence. J’y suis préparée. Tous comme ceux de mon propre monde.

Autrement dit, il n’avait guère à s’interroger sur les ennuis qu’il pourrait apporter en plus, car même si ça devenait bel et bien le cas, elle était formée à cela et saura y faire face. C’était son devoir. Lui-même, par ailleurs, se rendra bien compte au fil du temps que les intrigues politiques n’étaient qu’une simple fatalité, dont il n’était pas nécessaire de faire un très grand cas, simplement de les surveiller et de régler les problèmes qui en découlaient. Apporter des ennuis à d’autres était, malheureusement, un de ces problèmes liés intrinsèquement à ces intrigues. Mieux valait, pour son propre équilibre mental, l’accepter rapidement. Que ça soit injuste, immonde ou tout ce que l’on voulait d’autre n’avait pas d’importance, c’était simplement impossible à éviter. Si la vie était juste, cela se saurait depuis bien longtemps. Sa mère avait eu pour habitude de dire que la vie était un champ de mines et que personne n’avait le pouvoir de l’apaiser véritablement.

Étant donné que l’air commençait de plus en plus à se rafraîchir, à une telle heure, elle proposa alors à Nightswan de rentrer et partager ensemble un thé ou un verre, avant qu’ils ne se séparent pour la nuit. Ils pourront ainsi poursuivre leur conversation plus au chaud. La journée de demain sera encre bien longue et particulièrement fournie, en informations, débats et échanges, il s’agissait de ne pas s’épuiser en amont ou tomber malade par le froid. Ils rentrèrent tranquillement au palais, sous la douce lumière du ponton, tout en continuant à discuter de leurs affaires politiques et de la coalition. Le travail à fournir, considérable, avait de quoi donner le vertige, ils ne devaient pas se précipiter à tord et à travers. Yenla s’efforçait de ne pas s’angoisser, encore moins de trop s’interroger sur certains sujets, dont les réponses fiables allaient tarder. Chaque chose sera faite en son temps.