Enfin avec nous

C’était comme si la ville avait brusquement pris feu. Dans les transports, tout le monde ne parlait que de l’attaque ou presque. Tout comme sur le vaisseau, lors du trajet de retour, où l’information avait fait beaucoup de bruit. Même ici, en pire. Le temps d’arriver à destination, il lisait les actualités, sur un petit datapad, assez rapidement. Les familles des assaillants faisaient valoir leurs points de vue par différents moyens, avec force. Ça virait parfois aux attaques personnelles contre la jeune Jedi. Eli connaissait maintenant bien assez bien la langue pour les lire toutes en détail, ce qui lui faisait un peu regretter de l’avoir apprise… En parcourant le tout, il espérait surtout que Lorana ne tombera jamais sur ces articles et qu’elle ne sera pas curieuse d’apprendre ce que chacun en disait. Lorsque la navette stoppa, il vit presque aussitôt, en descendant, quelques patrouilles de police, dans les environs, dont une restant près de l’entrée de l’hôpital.

L’entrée en elle-même était surveillée aussi, c’était flagrant. Il n’y prêta pas une grande attention, empruntant un autre couloir rapidement, dans le hall, pour se rendre dans la section de l’hôpital public réservée à la maternité et au service de soins mère-enfant. Dès lors, on entrait dans un autre monde. Les murs et les sols étaient décorés pour les enfants, il y avait bien plus de couleurs et aussi plus de lumière, lui semblait-il. Il dépassa les premières salles d’examens puis grimpa au premier étage, vers le service de néonatalogie, où l’attendait déjà sa femme. A l’entrée, il fallait d’abord décliner son identité, l’entrée étant réservée au personnel soignants et aux membres de la famille en visite. Aussitôt entré, il rappela Tayla, pour savoir où elle était exactement. Il finit par la rejoindre, enfin, quelques mètres plus loin, dans une salle d’attente elle aussi très bariolée.

Aussitôt, il fila vers elle et la serra fortement dans ses bras, infiniment soulagé de la retrouver debout et à peu près en forme. Sans se soucier le moins du monde des quelques regards autour d’eux. Il lui chuchota aussitôt qu’il était désolé de n’avoir pu arriver plus tôt et être avec elle, le jour où elle avait dû accouché. Même s’il n’y était pour rien, au fond, c’était normal de culpabiliser pour ça… Il s’en était rendu malade lorsqu’il avait su qu’elle avait été envoyée à la maternité en urgence puis qu’elle avait finalement dû accoucher par césarienne, toute seule… Enfin, non, heureusement, la femme de Chaf’orm’bintrano avait pu être avec elle, mais tout de même ! Il resta un long moment juste comme ça, à la serrer dans ses bras, les yeux fermés, tête penchée contre elle. Ce n’est qu’après qu’il se décida à la relâcher un peu, en essayant de ne pas trop trembler ni se mettre bêtement à pleurer.

"On va voir nos enfants ?"

C’était… stupide à s’avouer ça, mais il avait du mal à réaliser qu’ils étaient bel et bien nés, encore, alors même qu’il voyait parfaitement que Tayla n’était plus enceinte. Il avait juste besoin de les voir, de les toucher… Si possible, de les prendre dans ses bras, bien qu’il craigne qu’ils ne soient trop fragiles pour le moment. Ensemble, ils durent mettre d’abord une tenue stérile, avant de pouvoir entrer dans le box. Aussitôt il s’approcha de la couveuse, complètement bouleversé en les voyant comme ça. Si petits, fragiles… Cette fois, il fut impossible de retenir quelques larmes, s’étant attendu à tout sauf à ça. Grâce aux ouvertures rondes dans la couveuse, il put passer la main et la poser contre eux, très doucement par peur de leur faire mal. C’était… Il réalisait mal…C’était tellement irréel…

"Quand vont-ils pouvoir sortir ?" murmura-t-il faiblement.

Se retrouver enfin dans les bras de son mari après tout ce temps et tout ce qui s’était passé suffit, en un instant, à combler une bonne partie de ses angoisses. Elle avait tellement besoin de lui qu’elle s’accrocha à ses épaules comme si elle devait se tenir à une bouée de sauvetage, tout en répondant en bafouillant un peu qu’elle ne lui en voulait pas de ne pas avoir pu être présent. Il n’avait pas pu venir aussi vite à cause du travail et elle n’aurait de toute façon pas dû accoucher aussi tôt… Tous les deux restèrent comme ça plantés au beau milieu de la salle d’attente, dans les bras l’un de l’autre, sans se préoccuper le moins du monde des vas et vient autour d’eux. Tayla se moquait complètement d’avoir l’air bizarre, tant qu’elle pouvait être dans les bras de son compagnon et se rassurer un maximum avec lui. Ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes qu’ils bougèrent enfin, pour aller voir leurs petits garçons.

Avant d’entrer dans le box, le rituel habituel. S’attacher les cheveux, mettre une charlotte, se laver et désinfecter les mains soigneusement, enfiler une blouse stérile… Un rituel qu’elle connaissait maintenant très bien mais qui lui pesait toujours, on ne devrait pas avoir besoin de faire tout ça pour toucher ses propres enfants… Enfin… En entrant, elle inspira un bon coup, comme toujours, avant d’approcher la couveuse. Ceylan et Priam étaient toujours ensemble, blotti l’un contre l’autre. Ceylan était couché sur le dos, on voyait son petit torse se soulever régulièrement, Priam était sur le côté, contre son frère et son petit bras posé contre lui. Tous les deux dormaient, semble-t-il. Tayla s’assit sur un tabouret tout près de la couveuse, pour les regarder. Avec une césarienne, il lui avait été compliqué de réaliser qu’elle était bel et bien maman. Aujourd’hui, cela allait mieux, car elle pouvait les voir et les toucher… Mais pas encore les prendre dans ses bras.

Eli avait glissé la main, par une des ouvertures, pour les toucher, tout comme elle. Le médecin lui avait dit qu’il valait mieux éviter, au début, les caresses, car ça pouvait être plus gênant qu’autre chose pour eux. Qu’il était préférable, dans un premier temps, de simplement poser la main contre eux, sans bouger. Elle ne sut pas quoi répondre à sa question, murmurant simplement que leurs garçons devaient progresser pas à pas et qu’eux deux ne devaient pas se poser trop de question sur le temps que ça allait prendre. Ils devaient apprendre à respirer tout seul, à réguler leur température, à prendre du poids, à renforcer leurs défenses immunitaires, à s’alimenter au biberon ou au sein… En disant tout cela, elle sentit une nouvelle vague d’émotions incontrôlable l’envahir et recula la tête, le temps de renifler et se moucher un peu.

"Le docteur dit qu’on doit attendre un peu avant de pouvoir les prendre contre nous, qu’ils doivent d’abord être plus stables. Toi aussi, tu pourras faire le peau à peau, si tu le veux."

On lui avait dit, dans le service, que les papas acceptaient plus rarement que les mamans. Elle n’avait pas très bien compris pourquoi, sur le coup, mais peu importe, elle ne pensait pas que Eli refuse pour ça. Elle prit une nouvelle inspiration, en s’excusant de passer la moitié de son temps à pleurer. Les nerfs et les bouffées d’émotion n’étaient toujours pas entièrement retombées, sans oublier qu’elle n’était pas encore bien remise de la césarienne.

"Je ne m’attendais pas à ça… Mais ils vont aller bien… Je crois qu’ils vont aller bien, maintenant. Ils sont si mignons… Et tellement petits."

Ne pas se poser de questions sur le temps nécessaire, il trouvait ça quasiment impossible, même s’il savait qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, de toute façon. Tout en écoutant sa femme lui rapporter ce que le docteur avait dit sur leurs enfants et les efforts attendus ces prochains jours, il continuait de les regarder en détails et poser la main contre eux. En espérant qu’ils puissent sentir qu’ils étaient bien au chaud et en sécurité, qu’ils n’étaient pas seuls pour traverser cette épreuve. Voir de si petits bébés branchés et perfusés de partout, sous oxygène et dans un milieu si médicalisé, ça lui fendait le cœur… Ni les bébés ni les enfants ne devraient jamais se retrouver dans des hôpitaux, ils étaient bien trop petits pour ça. Il avait presque peur de les toucher, tant ils avaient l’air si fragiles, tous les deux. Peur de leur faire mal par accident ou de les gêner… Il ne savait pas trop, c’était impressionnant.

"Le docteur dit qu’on doit attendre un peu avant de pouvoir les prendre contre nous, qu’ils doivent d’abord être plus stables. Toi aussi, tu pourras faire le peau à peau, si tu le veux."

"J’avais espéré dès aujourd’hui, mais d’accord, attendre…"

Il était un peu déçu, mais soit, rester patient. Toutes ces machines avaient un don pour le stresser, il en y avait tant partout et il ne savait pas à quoi toutes servaient. Ceylan commençait à se réveiller un peu, bougeant le petit pied où était attachée la perfusion. Il se demanda, sur le coup, pourquoi ce n’était pas dans le poignet ou le bras puis comprit, en observant mieux, que ça devait simplement être plus pratique de perfuser ici.

"Je ne m’attendais pas à ça… Mais ils vont aller bien… Je crois qu’ils vont aller bien, maintenant. Ils sont si mignons… Et tellement petits."

Si loin de l’image qu’on s’imaginait d’un nouveau-né, en réalité… Il hocha la tête, en glissant le bout du doigt dans le petit poing de Ceylan, alors qu’il était maintenant un peu plus réveillé. Un contact très simple, presque timide, il ne voulait surtout pas les blesser. Priam finit lui aussi par se réveiller, Eli sourit tendrement en le voyant bailler longuement, la bouche grande ouverte. Il pourrait rester là à les regarder durant des heures, Tayla aussi, sans aucun doute. Lorsque sa femme les touchait, pouvaient-ils sentir son odeur et être un peu rassurés ? Relevant un instant la tête, il suggéra à sa compagne d’apporter un foulard ou un petit vêtement à elle, quelque chose qu’elle puisse leur laisser dans la couveuse, pour qu’ils soient entourés par son odeur. Comme s’ils étaient toujours dans son ventre. Le pédiatre sera sûrement d’accord pour ça, non ? Un simple foulard. C’était son odeur à elle qui comptait le plus, dans ce cas, ils avaient été arrachés trop tôt à son sein.

"On a le droit de rester avec eux toute la journée, si on le veut ?"

Ça lui semblait logique que lui mais il attendit tout de même une confirmation de sa femme. Pouvoir observer et toucher un peu leurs garçons, c’était bien, mais tout de même, il n’aurait pas pensé qu’il soit aussi frustrant de ne pas pouvoir les prendre dans ses bras, les câliner et les embrasser. Au moins, il pouvait rester ici quelques temps, avant de devoir repartir pour son travail, c’était mieux que rien… Priam poussait doucement du pied contre le rebord de la couveuse, maintenant, son frère aussi, mais contre la couverture. Tayla avait dit toute à l’heure qu’ils avaient besoin d’être bien enveloppés, pas seulement pour les garder au chaud, mais aussi pour qu’ils retrouvent une partie des sensations qu’ils avaient dans le ventre de leur mère.

"Combien de temps vas-tu devoir rester hospitalisée, maintenant ?"

Leurs deux petits se réveillaient doucement et leur mère se surprit à espérer que c’était car ils avaient ressenti leur présence, pas seulement un simple hasard. Ceylan serrait le doigt de son père dans sa toute petite main, Priam baillait à s’en décrocher la mâchoire en poussant un peu un bout de couverture du pied. Elle posa avec douceur la main derrière leurs têtes, toujours très émue dès qu’elle pouvait les toucher, même si ce n’était encore qu’ainsi. Attendre de pouvoir les prendre dans ses bras était douloureux. Eli demanda tout à coup si elle avait le droit de leur apporter un petit vêtement, même un foulard, avec son odeur, pour le mettre dans leur couveuse. Sans doute, oui, elle demandera au pédiatre, c’est vrai que ce serait bien pour eux. Elle hocha aussi la tête à son autre question. Bien entendu, qu’ils pouvaient rester là en permanence avec eux. En tout cas, pour Eli, aussi longtemps qu’il le pourra, avant de repartir au travail.

"Combien de temps vas-tu devoir rester hospitalisée, maintenant ?"

"Encore deux jours, s’il n’y a aucune complication."

Mais elle sera quand même là tous les jours, petits chatons. Priam était redevenu tout calme et somnolent, les yeux fermés, pendant qu’elle lui tenait sa petite main. Son frère, lui, restait éveillé, au contraire. Il ouvrait les yeux, la regardant tantôt elle, tantôt son père, la bouche un peu ouverte. Est-ce qu’il les voyait ? Tous deux approchaient le visage le plus possible de la couveuse, mais sans être sûrs qu’il était déjà capable de bien distinguer leurs traits. Surtout avec cette barrière en plexiglas. Bon sang que c’était frustrant. En tout cas, à sa grande surprise, il réagissait et les regardait, au son de leurs voix. Un signe très encourageant, l’incitant à croire qu’il les voyait bel et bien. Tayla faisait tout son possible pour ne pas pleurer devant eux et être la plus solide possible, pour qu’ils sentent tous les deux qu’ils pouvaient compter sur elle. Mais c’était très dur. Voir ses propres enfants perfusés de partout lui déchirait le cœur.

Toute à son observation de ses bébés, elle se souvint plus tard encore qu’elle n’avait pas parlé à Eli des recommandations qu’on lui avait donné, sur le déménagement pour une planète plus apaisée que ne l’était Csilla. Elle lui en fit part avant d’oublier à nouveau, sans lâcher, évidemment, ses enfants des mains. Personnellement, elle aurait préféré retourner sur Nirauan, mais bon… Ce ne serait franchement pas un bon signe ni une bonne idée, sachant qu’Eli avait intégré la Flotte de Défense. Surtout en ce moment. Elle ne savait pas, par contre, s’il était mieux de partir vers Copero ou ailleurs… Aucune planète ne l’attirait plus qu’une autre, cependant, sur Copero, Lorana et Thrass y vivaient, elle serait déjà assez contente de les savoir non loin. Pour se sentir moins isolé, le temps aussi de rencontrer plus de personnes et oser aller vers les autres.

"Qu’en penses-tu ? Tu crois qu’on doit vraiment partir de cette ville ?"

Deux jours, très bien, elle dormira sûrement mieux chez eux qu’à l’hôpital. La maternité était assez proche, en temps de trajet, pour ne pas trop l’épuiser ensuite, pour venir rendre visite à leurs enfants. Il avait du mal à en détacher le regard, comme par crainte qu’ils ne disparaissent tous les deux s’il osait le faire. Priam s’était rendormi, Ceylan agitait un peu les pieds, contre la couverture. Durant tout un moment, ils restèrent ainsi sans bouger ni parler, se contentant d’observer leurs enfants, leur tenir la main et essayer de leur prodiguer le plus de douceur possible. Tayla reprit tout à coup la parole en lui disant qu’elle avait oublié de lui parler d’une demande un peu particulière. Redressant la tête pour l’écouter, il sourcilla un peu lorsqu’elle lui expliqua le tout, pour cette demande de déménagement. Ni elle ni lui n’avait reçu la moindre menace… Bon, le voisinage n’était pas forcément très accueillant, mais ça s’arrêtait là. Quel risque réel il y avait-il qu’on s’en prenne à eux aussi ?

"Qu’en penses-tu ? Tu crois qu’on doit vraiment partir de cette ville ?"

Là, il ne savait pas trop… La regardant elle, puis les enfants, il se dit que ça pouvait être une mesure de sécurité très élémentaire, oui, mais ils n’étaient – en toute logique – pas menacés. Malgré tout, si ça pouvait rassurer leur entourage et faire en sorte que les enfants soient le plus à l’abri possible, il n’avait évidemment rien contre. C’est ce qu’il commença par répondre à sa femme, simplement. Lorana, finalement, était plus exposée. Elle avait été Jedi, elle avait épousé un membre du peuple Chiss, son beau-frère était exilé et elle avait donné naissance au premier enfant hybride dans ce peuple. Pour agacer les plus conservateurs, c’était difficile de faire mieux. De toute manière, déménager, pourquoi pas, mais ça ne sera pas possible dans l’immédiat.

"Et puis, il faudra d’abord qu’un trouve un endroit où vivre, que nos enfants puissent être transférés sans les mettre en danger, si c’est possible avant la fin de leur hospitalisation, etc. Sans compter que ça va être la galère, si je suis reparti en mission à ce moment-là et que tu te retrouves seule avec les enfants pour tout gérer. On commencera à regarder assez tôt, si tu veux, quand même."

Avec les affaires des jumeaux, ils auront bien plus à déplacer qu’initialement, avec ça. Mais malgré la situation tendue en ce moment, ils étaient bien loin d’être prêts à quitter la ville. De toute manière, ils n’étaient même pas certains que leurs enfants puissent supporter le moindre transport. Enfants bien loin de ces considérations pour le moment. Priam s’était rendormi pour de bon et Ceylan l’imitait, peut-être bercé par le son de leurs voix. Eli en profita pour retirer doucement sa main et boire un peu d’eau, rassis contre le dossier de sa chaise. Se concentrer sur sa femme et ses enfants permettaient d’éviter de s’attarder sur l’environnement anxiogène. Malgré tout, c’était redevenu… Enfin… Depuis que la grand-mère Jedi l’avait soigné, il n’avait plus autant peur d’entrer dans un hôpital. Il respirait bien plus librement.

"Nous ne sommes pas menaces directement, tu sais… C’est mieux de prendre le soin de faire les étapes l’une après l’autre. Que tu puisses te reposer, les enfants prendre des forces. Tu parlais de vouloir retravailler, ça sera plus facile de trouver et t’organiser, maintenant."

Elle ne pensait pas non plus que leurs enfants soient menacés, eux non plus, mais s’il pensait aussi que ça pouvait être une simple mesure de sécurité, pourquoi pas… Eli avait raison, de toute façon, il faudra non seulement du temps pour s’organiser mais aussi du temps pour s’assurer que les enfants étaient transportables sans aucun risque. Elle ne s’inquiétait pas tant de se retrouver seule à devoir tout gérer, lorsqu’il sera reparti. Du moins, elle ne s’inquiétait pas pour le moment, possible que la donne change radicalement une fois que la réalité aura rattrapé cette perspective. Cela dit, elle savait depuis le début de la grossesse qu’ils en arriveront là, qu’elle sera seule durant certaines périodes. Tout simplement car à partir du moment où elle avait appris être enceinte, elle s’était faite à l’idée qu’elle ne reprendra pas immédiatement une carrière dans l’armée. Il n’était pas question de laisser leurs enfants, si jeunes, sans eux sur de longues périodes.

Laisser tomber cette part de sa vie et son métier lui donnait mal au cœur. En même temps, il était logique que ce soit Eli qui ait poursuivi son poste. Quant à elle, ses priorités avaient évolué. L’idée qu’elle ne sera plus militaire, durant des années voire à jamais, ne lui faisait plus aussi mal qu’il y a quelques mois. A mesure, finalement, qu’elle avait compris qu’elle ne pourra pas laisser la garde de ses enfants à d’autres. Du moins, pas sur d’aussi longues périodes. Encore plus maintenant qu’ils étaient là, sous ses yeux. Elle voulait les voir grandir, les protéger, les accompagner sur ce chemin. Abandonner ce qui avait constitué sa carrière jusque là en valait largement la peine. Elle s’appuya à son tour contre sa chaise, accoudée sur le côté, vers la couveuse, en se frottant un peu les tempes. La fatigue générale peinait à passer malgré tout. Mais bon, pour elle, ce n’était rien, elle devrait s’en remettre assez vite et bien.

"Nous ne sommes pas menacés directement, tu sais… C’est mieux de prendre le soin de faire les étapes l’une après l’autre. Que tu puisses te reposer, les enfants prendre des forces. Tu parlais de vouloir retravailler, ça sera plus facile de trouver et t’organiser, maintenant."

"J’ai commencé à réfléchir à des métiers, si possible dans le même secteur, sans devoir retourner vers l’armée et être éloignée trop longtemps des enfants. Mais quand j’ai commencé à en parler un peu autour de moi, j’ai eu l’impression que personne n’avait jamais entendu parler d’organisme de reconversion professionnelle."

Elle fit une petite moue, à cette pensée. Ses propres recherches lui avaient confirmé, il y a peu, que de telles structures n’existaient effectivement pas. Comment faisaient ceux qui voulaient changer de métier, au juste ? Il y avait là un mystère qu’elle n’avait toujours pas résolu. C’est en parlant avec son mari qu’elle finit par comprendre que le concept même de reconversion n’existait tout simplement pas. Que les Chiss étaient orientés vers les métiers où chacun pourra se débrouiller le mieux et point barre. Ah… D’accord… Un aspect de la culture qu’elle n’avait pas encore découvert jusque là. Très bien, très bien. Dans ce cas, il faudra qu’elle pousse plus ses recherches, pour voir où et comment se former malgré tout. Il y avait donc ça, le déménagement vers… Elle ne savait pas où pour le moment puis préparer la future sortie de leurs enfants. Les futurs mois s’annonçaient très longs.

"Pour un sujet plus léger, il faut qu’on prépare ce qu’on avait discuté, avec des photos des enfants et tout, pour nos parents. Enfin, peut-être pas tout de suite, je n’ai pas très envie qu’il les voit avec des fils partout… Par contre, toi, il faut te prendre en photo maintenant, pendant que tu es là."

"J’ai commencé à réfléchir à des métiers, si possible dans le même secteur, sans devoir retourner vers l’armée et être éloignée trop longtemps des enfants. Mais quand j’ai commencé à en parler un peu autour de moi, j’ai eu l’impression que personne n’avait jamais entendu parler d’organisme de reconversion professionnelle."

"Je ne pense pas que qui que ce soit ait déjà dû penser à se reconvertir."

Il lui expliqua ce qu’il avait déjà appris sur le sujet, dans la foulée, c’était pas mal lié à la culture mais aussi la manière d’orienter les uns et les autres. Tayla n’avait pas dû encore entendre parler de ça, à la grimace qu’elle fit. Bah, ce n’était pas grave, il y aura sûrement un moment de flottement, au début, puis ça ira, elle devrait trouver. De toute façon, comme elle l’avait dit elle-même, ce n’était pas encore le bon moment pour réfléchir à tout ça. Il se pencha pour sortir une petite bouteille d’eau de son sac et boire un peu, la proposant aussi à Tayla si elle avait de nouveau soif. Entre eux deux, dans la couveuse, leurs deux fils, bien rendormis, ne bougeaient quasiment plus d’un pouce. Parfois juste un petit frémissement. Eli aimerait tant savoir de quoi ils pouvaient rêver… Si les bébés pouvaient déjà rêver, cela dit, il n’en avait aucune idée.

"Pour un sujet plus léger, il faut qu’on prépare ce qu’on avait discuté, avec des photos des enfants et tout, pour nos parents. Enfin, peut-être pas tout de suite, je n’ai pas très envie qu’il les voit avec des fils partout… Par contre, toi, il faut te prendre en photo maintenant, pendant que tu es là."

"On fera ça lorsque tu seras sortie de la maternité, si tu veux. Ce sera déjà un peu mieux que se prendre en photo ici, avec l’environnement de l’hôpital."

Même s’il n’avait plus le même stress aujourd’hui, il savait que ses parents, eux, l’avaient toujours. Très fortement. Il n’avait pas envie de leur balancer ça, une bonne couche de plus. Ils restèrent aussi longtemps que possible dans cette chambre, à regarder leurs enfants, leur tenir la main lorsqu’ils se réveillaient un peu, puis simplement parler. Jusqu’au moment où il remarqua que la fatigue tirait de plus en plus les traits de sa femme. Il finit par la raccompagner à sa chambre d’hôpital, après des derniers gestes d’au revoir et bonne nuit, pour leurs petits. Il voudrait que Tayla se repose plus et en même temps, comprenait très bien qu’elle ait du mal à quitter sa place, auprès de leurs bébés. Il fit de son mieux pour la rassurer. Et de toute manière, il préférait dormir dans cette chambre sur le fauteuil, dans un coin, plutôt que rentrer.