Des explications attendues

Le travail administratif avait un certain avantage, il occupait parfaitement l’esprit, bien plus que les quelques périodes inévitables d’ennuis que traversaient un militaire sur le terrain. Que ça soit lors de tours de garde ou simplement lors de voyage. Solian avait d’abord dû passer par un assez long mois en mi-temps, pouvant travailler le matin et devant demeurer à l’hôpital l’après-midi, où il poursuivait une rééducation mentale et physique. La seconde ne lui avait pas parue si essentiel, d’emblée, puis il avait compris que ces longs mois, passé en majorité sur un lit d’hôpital, avaient profondément altéré ses capacités physiques. Il avait perdu beaucoup de poids et beaucoup de force, avec… L’admettre avait été une première étape compliquée, tant il restait rongé par cette culpabilisation. Aujourd’hui, il admettait, même si c’était encore difficile, que ce n’était pas entièrement sa faute et qu’il pouvait remonter la pente, quoi qu’il en soit.

C’était la première semaine où il avait le droit de travailler aussi l’après-midi, même si les horaires n’étaient pas aussi détendus. Et donc la première semaine où il avait aussi plus de temps pour discuter avec les autres membres du service. Il travaillait dans le département en charge de la logistique, le plus étendu, même si ça ne représentait, au final, pas beaucoup de personnes, par rapport à l’ensemble du personnel. Ça faisait du bien de pouvoir discuter, presque normalement, avec d’autres personnes que des médecins ou des patients. Même s’il restait des moments où il était un peu perdu ou très nerveux, ces derniers jours avaient vu un changement, malgré tout. Les crises d’angoisse diurnes ne se produisaient quasiment plus, il n’en avait plus subi depuis plus de deux semaines. En revanche, les terreurs nocturnes n’étaient pas encore parties. Il avait honte d’en parler, le psychiatre et son équipe étaient au courant, évidemment, mais pas ceux avec qui il travaillait en ce moment. Leur dire, ce serait… Honteux ?

Ce jour-là, comme les autres de la semaine, il finit assez tôt. Il ne se sentait pas fatigué, pourtant, mais le responsable du service n’hésitait pas à le mettre dehors s’il ne suivait pas les recommandations. Il y avait d’ailleurs un autre travail qui commençait à lui revenir régulièrement en tête… Il hésita puis se rendit à la bibliothèque, après avoir prit quelques affaires. Il pensait souvent… Au dernier travail entamé avant l’attaque du vaisseau, ce rapport sur la réunion faite dans l’Ascendance, qu’il n’avait jamais pu finir. Alors, c’était peut-être complètement idiot, mais il éprouvait le besoin quasiment vital de le finir enfin. Il ne le donnera sans doute pas, de toute façon, ça ne servirait à rien, tant de mois après… Mais… C’était un sentiment impossible à décrire, il devait l’achever, c’est tout, même si personne ne le lira, même si on ne lui avait jamais rien demandé à ce sujet, même si c’était parfaitement inutile désormais. Il s’attela à la tâche dans son coin, histoire d’enfin en finir.

Un peu plus d’une heure plus tard, ce travail était finalement terminé. De longs mois après… Il le relut puis après de nouvelles hésitations, il finit par le rentrer dans le système de la base, pour qu’il soit transféré, comme n’importe quel autre rapport, à qui de droit. Tant pis si c’était profondément stupide et que personne ne prendra la peine de l’ouvrir, en voyant le sujet. Tant pis aussi si on le lui reprochait. Il se sentait… mieux. Comme libéré d’un poids qui lui pesait depuis assez longtemps. Il resta un instant à contempler l’écran puis soupira longuement, en se frottant le visage entre les mains. C’était une preuve de plus qu’il était fou, de faire ça… ? Bah, de toute façon, ce n’est pas comme si ça pouvait faire quoi que ce soit de mal… Il entendit tout à coup son nom et redressa aussitôt la tête, en croyant que c’était un membre du corps médical parti à sa recherche. Mais c’était la dame Chiss, avec son enfant. Il ne l’avait même pas entendue arriver, pourtant, il n’y avait presque pas de bruit, ici.

« Bonjour madame, » dit-il en essayant de se reprendre et en se levant.

On ne saluait personne en restant assis, à moins d’avoir la jambe brisée ou d’être malade. C’était en tout cas ce qu’il avait toujours appliqué. Malgré l’amnésie qui avait duré bine trop longuement, certaines habitudes étaient très tenaces. C’est là qu’un autre sujet lui revint très brutalement en tête et il se figea un moment, la gorge nouée. Il devait bien lui dire…

« Je… je devais vous dire que suis désolé, pour ce qui s’est produit. Je n’ai pas pu faire grand-chose d’utile. J’espère que ça n’a pas été trop compliqué pour vous. »

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Dés : faire le rapport, oui, le donner, oui.

L’histoire concernant le capitaine Fel et l’esclandre provoquée avait déjà commencé à se répandre un peu partout dans la base. Pour sa part, elle l’avait su en discutant la veille avec Syal, qui lui avait raconté ça à moitié fière et à moitié blasée. On n’aurait pas pu s’attendre à grand-chose de plus, de la part de cet homme, cela dit, il était déjà connu pour avoir un caractère particulièrement bien trempé et ne pas hésiter à répondre sans retenue dans de telles situations, peu importe à qui il avait affaire. Il n’aurait pas dû insulter le général lui aussi, par contre, ça ne pouvait que lui valoir des ennuis… D’un autre côté, elle se demandait s’il avait seulement pensé, ne serait-ce qu’une seconde, à en référer directement à ses supérieurs hiérarchiques. Lorsqu’elle avait posé la question à Syal, cette dernière avait soupiré et haussé les épaules, en disant qu’il y avait peu de chance que ça l’ait effleuré, il n’en avait juste pas l’habitude. C’était bien ça le problème. Au fond, elle ne pouvait évidemment pas lui en vouloir pour ce qu’il avait fait, en revanche, il serait très bien qu’il apprenne quelques bases en diplomatie ou en gestion de conflits personnels, ça ne lui ferait aucun mal.

Cette histoire-là avait au moins eut le mérite de remuer un peu les non-dits et délirer quelques langues. Ces derniers jours, elle avait passé plus de temps que d’ordinaire à en parler avec des membres de leur peuple, pour expliquer d’où venait ce type de comportements et comment faire pour que ça puisse mieux se passer. Ni son peuple ni les Humains n’avaient une grande habitue d’apprendre d’autres langues que celles les plus « usuelles », quand bien même l’apprentissage du Basic était quasiment obligatoire pour les Chiss venant sur cette base. Ce n’était pas si simple, de toute façon… Mais attendu, dans une organisation de ce type. Elle s’efforçait juste de faire au mieux, comme d’autres s’activant sur ce terrain, histoire de conserver une ambiance de confiance et de rigueur, dans toute la base. Elle tentait d’imaginer quels outils pourraient être utiles, ou encore quelles activités communes en-dehors des entraînements et activités militaires pures et dures. Dans tous les cas, le racisme latent n’était jamais simple à éradiquer, pas tant qu’il restera des incompréhensions ou de la méfiance entre les communautés, voire de la peur.

Vers la fin d’après-midi, elle se rendit à la bibliothèque, avec son fils tenu contre elle dans une petite écharpe de portage, pour aller chercher de quoi lire un peu, ce soir. Il n’y avait pas encore énormément de documents « civils », qui ne concernaient pas l’armée… La plupart du temps, elle donnait à son frère une petite liste de thèmes qu’elle avait envie de lire et c’était lui qui se chargeait de lui faire envoyer ça. En rentrant, elle fut légèrement surprise de voir que le commandant était là, aussi, installé à une des tables de travail et en train de se frotter les yeux et les tempes. A cette heure, il était censé se reposer dans sa chambre, si elle avait bien suivi. Ou peut-être ailleurs, mais dans tous les cas, il était censé y aller doucement sur le travail, en ce moment. Elle le salua, en s’approchant, salut qu’il lui rendit en se levant tout à coup, comme gêné d’être assis. Puis il se figea tout d’un bloc et pâlit. Tout… allait bien ? Il avait besoin qu’elle appelle un médecin ? Non pas qu’elle le sous-estimait mais elle jugeait toujours assez fragile, en ce moment.

« Je… je devais vous dire que suis désolé, pour ce qui s’est produit. Je n’ai pas pu faire grand-chose d’utile. J’espère que ça n’a pas été trop compliqué pour vous. »

Il arrivait à lui présenter des excuses… D’accord, ça ne devrait pas l’étonner, mais elle eut le plus grand mal quand même à ne pas soupirer. Elle savait qu’il avait encore beaucoup de mal à se débarrasser de la culpabilité qu’il rongeait et qu’il n’osait en plus pas avouer. Même s’il n’en parlait pas, autant son attitude que sa manière de s’exprimer trahissaient son ressenti.

« Ce que vous appelez peu de choses utiles, c’était le maximum que vous pouviez faire dans une telle situation, » commença-t-elle par rappeler avec un sourire. « Vous avez fait votre devoir, en tentant tout le possible pour préserver vos hommes, comme pour m’aider. Il n’y a pas à être désolé pour ça. »

Ils feraient mieux, pour en parler, d’aller dans un coin où ils n’allaient pas déranger les autres, en plein travail… Elle lui indiqua donc une petite zone, juste à côté de l’espace de travail et séparé par des portes coulissantes, où chacun pouvait s’asseoir, discuter, faire de la lecture à haute voix pour quelques-uns. Mais cela servait principalement pour se détendre. C’était ici que les conjoints civils de la base ou le personnel administratif aimait bien se rendre, le soir venu. Une fois assise sur des grands tapis rembourrés, par terre, elle en profita pour desserrer l’écharpe et libérer son fils, qui en profita aussi pour étirer bras et jambes. Il n’aimait pas particulièrement ce mode de transport. Mais Ewime n’avait pas vraiment le choix. Il n’y avait pas encore de crèche ou autre lieu d’accueil de ce type, pour les bébés. Elle ne pouvait pas le laisser tout seul à l’appartement et elle n’avait pas non plus de nourrice, pour lui. Elle devait donc l’emmener avec elle.

« Vous savez, » reprit-elle, « Vos hommes ne vous en veulent pas. Ils en ont déjà assez parlé et pourront vous le répéter s’il le fait. Tout le monde connaît des victoires et des échecs, où est la honte à parfois échouer dans une mission ou autre chose ? Il ne peut pas y en avoir tant que vous avez effectué tout ce qui était possible. De plus, si vous n’aviez pas été là juste après l’attaque, étant donné mon état, j’aurais risqué de perdre mon enfant. »

Cette unique raison justifiait sa reconnaissance et le fait qu’elle avait voulu qu’il reçoive, par la suite, les meilleurs soins possibles. Elle n’aurait pu supporter ce drame. Feoda était encore bien trop jeune pour comprendre ce qui se racontait autour de lui mais elle comptait bien le lui raconter, une fois qu’il sera plus âgé.

« Regardez-le, aussi vif, aujourd’hui, vous croyez vraiment que vous devez vous en vouloir pour ça ? »

"Ce que vous appelez peu de choses utiles, c’était le maximum que vous pouviez faire dans une telle situation. Vous avez fait votre devoir, en tentant tout le possible pour préserver vos hommes, comme pour m’aider. Il n’y a pas à être désolé pour ça."

Le problème, de son point de vue, était que le maximum qu’il avait réalisé à ce moment-là n’était pas suffisant. Ils avaient été pris par surprise, soit, mais il estimait ne pas avoir réagi assez vite, contre cette attaque. Ce qu’il s’apprêtait à répondre, lorsqu’elle poursuivit presque aussitôt, en indiquant qu’ils feraient mieux de s’installer ailleurs pour en parler. C’est vrai qu’ici, ils risquaient de déranger. Il la suivit dans une salle de lecture annexe, avec coussins et larges matelas bas au sol, quelques bancs et poufs également. Il s’assit doucement, alors qu’elle détachait son écharpe de portage et déposait le bébé contre le tapis, juste devant elle. Il était si petit qu’il ne tenait pas encore assis… Allongé sur le ventre, juste devant sa mère, il jouait à taper contre le matelas un petit jouet bleu vif serré dans sa main. Il releva le regard vers sa mère, en se demandant si les gens, autour de lui, étaient tout à fait franc ou s’ils hésitaient juste à lui dire la vérité implacable « à cause de son état ». Il se pensait pourtant capable d’écouter et accepter les reproches. Il trouvait étrange qu’on ne lui en ait toujours pas fait, depuis qu’il avait difficilement retrouvé la mémoire.

"Vous savez, vos hommes ne vous en veulent pas. Ils en ont déjà assez parlé et pourront vous le répéter s’il le faut. Tout le monde connaît des victoires et des échecs, où est la honte à parfois échouer dans une mission ou autre chose ? Il ne peut pas y en avoir tant que vous avez effectué tout ce qui était possible. De plus, si vous n’aviez pas été là juste après l’attaque, étant donné mon état, j’aurais risqué de perdre mon enfant. Regardez-le, aussi vif, aujourd’hui, vous croyez vraiment que vous devez vous en vouloir pour ça ?"

Il ne… Solian secoua un peu la tête, remué par la question. Il ne s’en voulait pas pour ça, bien sûr que non ! Mais le fait est que ça n’aurait pas dû se produire, tout court, s’il avait bien fait son travail initialement. Depuis qu’il avait récupéré ces souvenirs-là, en particulier, il ne cessait de se demander, encore et encore, ce qu’il aurait pu faire à un tel moment. Comment ils auraient pu anticiper cette attaque… Mieux s’y préparer… Ce qu’il aurait pu mettre en place comme stratégie… Il savait qu’on ne pouvait pas toujours réussir, en revanche, il ne pouvait se contenter de se dire que c’était comme ça, c’était la vie, il y avait forcément quelque chose à faire pour s’améliorer.

"Je ne regrette évidemment pas que votre enfant ait pu naître en bonne santé."

Les enfants étaient l’une de ses principales faiblesses, il avait du mal à résister à leurs sourires, leurs petites mimiques et leur façon toute particulière de voir le monde. Une naïveté encore grande, pour beaucoup, qu’il jugeait profondément adorable. Il n’avait pas d’enfant lui-même mais pouvoir jouer avec ceux des autres lui avait toujours fait très plaisir. Même si, aujourd’hui, il s’efforçait de ne pas se laisser aller, à vouloir chatouiller le petit ou jouer avec lui. Parce qu’il pensait que ses supérieurs hiérarchiques n’apprécieraient pas du tout qu’il joue ainsi avec leurs enfants, qu’il ne sache pas rester à sa place, somme toute. Bien sûr, il avait déjà tenu ce bébé dans ses bras… Mais à ce moment-là, il ‘avait plus conscience de qui était son père. La situation était différente aujourd’hui et il n’avait pas envie de s’attirer des ennuis.

"J’ai quand même besoin de définir ce que j’aurai dû faire de différent, de mieux, dans cette situation," reprit-il en essayant d’ignorer l’enfant qui gazouillait. "Pour que ça ne puisse plus jamais se reproduire."

Quoi de plus logique, de toute façon, après un échec ? Personne ne parviendra à le convaincre du contraire. Même s’il n’y avait aucune chance pour qu’il retrouve le commandement d’un vaisseau un jour et donc qu’il se retrouve à gérer une situation similaire. Ça n’empêchait pas d’y réfléchir.

"Vous pensez que je ferai mieux de quitter l’armée… ?"

En vérité, il ne savait pas pourquoi c’était à elle qu’il demandait ça. Elle n’était pas une militaire et donc pas la plus apte à définir s’il devrait ou non rester. Mais elle était l’une de ceux veillant le plus à son rétablissement, avec les médecins et trois amis proches, parmi son ancien équipage. C’était sorti tout seul, il ne réfléchissait pas en amont à ce qu’il pouvait demander ou les questions qu’il ferait mieux de taire.

Les émotions étaient souvent lisibles avec facilité, chez la plupart des Humains, plus encore lorsqu’ils éprouvaient quelques difficultés à les cacher, comme c’était encore le cas pour le commandant. Quoi qu’il n’avait jamais été un homme très ardu à « lire ». C’était pour cela qu’elle trouvait plutôt surprenant le stress nouveau qu’il affichait en regardant Feoda, comme si le simple fait de se retrouver à côté de lui pouvait lui apporter des problèmes. Il était pourtant l’une des rares personnes, en-dehors de ses parents et de sa famille proche, à l’avoir porté dans ses bras. Sans que ça ne l’ait gêné sur le moment. Malgré son état, elle se demandait d’où venait le changement et si elle avait pu faire ou dire quelque chose de mal, pour qu’il devienne si mal à l’aise… C’était vraiment très étrange. Elle ne voyait pas non plus quel événements extérieur aurait pu le pousser à adopter cette attitude, il ne s’était rien passé de particulier, ces derniers temps. Enfin, hormis l’attitude à la fois rebelle et héroïque de certains, mais cela n’avait rien à voir avec la situation actuelle. Affaire bien curieuse, somme toute, elle aimerait comprendre sa nouvelle attitude.

« J’ai quand même besoin de définir ce que j’aurai dû faire de différent, de mieux, dans cette situation. Pour que ça ne puisse plus jamais se reproduire. »

Bien sûr, elle ne le lui reprochait pas ! Du moins, tant qu’il ne se rendait pas complètement malade avec ça. Quoi de plus normal de réfléchir à comment s’améliorer, après un échec ou une erreur ? N’importe qui de censé adoptait cette démarche, là encore, il n’y avait aucun problème. Pourtant, il disait cela comme s’il craignait qu’on ne le lui reproche. Enfin… Avec le temps, il parviendra à vaincre la culpabilité et retrouver confiance en lui. Tendant les mains, elle récupéra doucement son fils pour le mettre assis sur l’épais matelas en mousse, le maintenant car il n’y arrivait pas encore tout seul. Pour sa motricité, il était bien qu’il adopte plusieurs styles de position. D’ici quelques mois, il arrivera à se tenir seul, puis à se mettre à quatre pattes, à marcher… Une perspective qui lui semblait si loin et dans le même temps, elle avait le sentiment qu’il grandissait beaucoup trop vite, n’ayant déjà plus l’aspect du nourrisson, alors qu’il était si petit encore.

« Vous pensez que je ferai mieux de quitter l’armée… ? »

« Pardon ? En quel honneur ? »

La question sortait littéralement de nulle part et était plutôt choquante, de son point de vue. Pourquoi songeait-il à cela tout d’un coup… ? Et pour aller faire quoi ? Devenir quoi ? Qu’une personne désire quitter son métier actuel sonnait complètement improbable, à ses oreilles, elle peinait beaucoup à seulement l’envisager. Une fois une personne insérée dans sa vie et lancée dans une carrière, pourquoi penser tout quitter ?? Même s’il avait conservé des handicaps physiques lourds, l’empêchait de se rendre sur le terrain, il pouvait tout de même poursuivre un travail de bureau dans la même branche. Or, il n’était pas blessé physiquement.

« Je doute que qui que ce soit comprenne un tel choix, où serait la raison valable de le faire ? Le but est que vous suiviez un parcours de soin sérieux et que vous puissiez reprendre un jour votre précédent travail, pas que vous partiez je ne sais où et seul. Sous quel motif, qui plus est ? Vous n’avez trahi personne, à ce que je sache ? Vous êtes persuadé que vous ne retrouverez pas votre ancien poste un jour ? Vous avez été dégradé officiellement ou ce n’est que votre ressenti ? »

Hum… Il avait dit quelque chose de si choquant… ? Ce n’était qu’une simple question ! Il se demandait juste quelle sera son utilité réelle, à l’avenir, sur cette planète ou même ailleurs, si cela valait la peine, s’il ne sera pas juste un poids inutile et… Des questions complètement naturelles, il ne voyait pas où était le problème à se les poser. De toute façon, quelqu’un allait bien finir par ramener le sujet sur le tapis tôt ou tard, n’est-ce pas ? Autant qu’il le provoque lui-même, enfin, il n’était pas encore certain de ce qu’il devait faire, il cherchait des réponses. L’idée de partir l’avait déjà pas mal travaillé, par contre, il n’avait pas encore envisagé sérieusement le sujet. Car son médecin lui avait très fortement déconseillé de prendre la moindre décision de ce calibre avant un bon moment, arguant qu’il risquait de le regretter plus tard. En bref, il ne savait plus vraiment où il en était.

"Je doute que qui que ce soit comprenne un tel choix, où serait la raison valable de le faire ? Le but est que vous suiviez un parcours de soin sérieux et que vous puissiez reprendre un jour votre précédent travail, pas que vous partiez je ne sais où et seul. Sous quel motif, qui plus est ? Vous n’avez trahi personne, à ce que je sache ? Vous êtes persuadé que vous ne retrouverez pas votre ancien poste un jour ? Vous avez été dégradé officiellement ou ce n’est que votre ressenti ?"

"Je n’ai pas encore été dégradé. Je veux dire, non… Je ne sais pas ce qui est le mieux. Évidemment que je ne pense pas retrouver mon poste un jour, après ce fiasco, qui aura confiance."

C’était peut-être un simple oubli de la part des responsables hiérarchiques de la base, de ne pas l’avoir déjà dégradé ? C’était possible, il y avait tant à faire et comme il avait été hospitalisé, il n’était pas un cas urgent à traiter. Il avait machinalement tendu la main, tout en répondant, vers le bébé, que sa mère tenait assis juste devant elle. Le petit tenait toujours son jouet d’une main et serra les deux doigts que Solian lui donnait, avec un sourire attendri. A cet âge-là, c’était vraiment merveilleux, ils avaient tout à découvrir et explorer, l’innocence la plus pure. C’est là qu’il se souvint à nouveau qu’il ne devait plus faire ça, frissonnant un petit peu. Il n’eut par contre par le cœur de retirer sèchement sa main… Restant anxieux que le père débarque tout à coup, voit ça et lui passe un savon. Peut-être que lui aussi aura des enfants, un jour. Il avait déjà trente-sept ans, mais… Il le souhaiterait malgré tout.

"Je posais la question comme ça. Ça fait juste partie de ce qui me passe par la tête, stupide ou pas. Désolé, je n’aurai pas dû vous demander ça. Je ne…"

Il s’interrompit lorsqu’elle eut une drôle de moue, souleva tout à coup son fils puis le lui passa dans les bras. Il paniqua aussitôt, bafouillant qu’il ne ferait mieux pas. Mais elle n’avait pas l’air de voir pourquoi. Le bébé, lui, n’était pas du tout perturbé, visiblement. Il essayait d’accrocher avec la main un petit bouton, sur sa veste, puis tirer dessus. On dirait qu’il essayait d’attraper tout ce qui pouvait bien lui tomber sous la main. Solian lança un regard peu assuré vers la porte, avant de câliner l’enfant avec le plus de douceur possible, en lui frottant un peu le dos. Il baillait un peu et le commandant se surprit à espérer qu’il ne s’endorme pas sur lui. En le rendant à sa mère, ça le réveillerait et il se mettrait à pleurer.

"Mais, mais… Vous êtes sûre que son père ne va pas m’en vouloir, si je le porte ?"

« Je n’ai pas encore été dégradé. Je veux dire, non… Je ne sais pas ce qui est le mieux. Évidemment que je ne pense pas retrouver mon poste un jour, après ce fiasco, qui aura confiance. »

Eh bien, cela risquait d’être plus long qu’elle ne l’avait soupçonné… A moins qu’il n’ait, peut-être, d’autres « chocs », comme le général Skywalker l’avait involontairement provoqué, d’autres preuves, ce genre de chose. Dans tous les cas, il faudra bien insister pour qu’il accepte de voir la réalité en face. D’ici là, elle sourit lorsqu’elle le vit se détendre un peu, enfin, vis à vis du petit, alors qu’il tendait la main vers lui. Il n’avait tout de même pas à avoir peur ou être stressé. En revanche, elle eut le plus grand mal à ne pas lever les yeux au ciel à ce qu’il ajouta juste après. Effectivement, la voie de la guérison restait encore longue, pour lui. Elle secoua un peu la tête puis souleva son fils avec délicatesse, pour le lui passer dans les bras. D’une part, elle savait que ça allait forcer à se détendre un peu – même s’il paniqua bizarrement sur le coup en marmonnant qu’il ne devrait pas – d’autre part, elle n’avait rien contre le fait que son fils apprenne à « connaître » les personnes ayant déjà veillé sur lui avant sa naissance.

« Mais, mais… Vous êtes sûre que son père ne va pas m’en vouloir, si je le porte ? »

« Qu… Mais pourquoi pensez-vous qu’il… Bon, attendez une petite minute, s’il vous plaît. »

Quelques secondes pour digérer ce qu’elle venait d’entendre, tant c’était absurde, puis prendre son datapad dans son sac. Elle envoya alors un message directement à Thrawn, en faisant d’abord un résumé de la situation actuelle, afin qu’il comprenne ce qui se passait, puis en ajoutant à la fin la question du commandant, telle quelle. Avant de conclure en précisant qu’elle savait qu’il n’y avait pas besoin de poser la question mais que le commandant avait visiblement besoin d’une preuve évidente, étant donné son manque de confiance terrible du moment. Fort heureusement, la réponse fut assez rapide et cela lui permit de la mettre sous le nez du soldat Humain, afin qu’il la lise lui-même et réalise qu’il ne risquait rien à ce sujet. Rassuré ? Elle espérait qu’il se détende plus, maintenant. En rangeant son datapad, elle en profita pour aussi ranger un peu l’écharpe et sortir le doudou du petit, au cas où il le voulait à la place de son petit jouet.

« Tant que vous n’êtes pas un de ses ennemis, vous n’avez rien à craindre de son père, » ajouta-t-elle en essayant de cacher à quel point elle avait trouvé la question hallucinante. « Le petit n’a pas l’air traumatisé non plus, vous le voyez bien. »

A vrai dire, sa principale préoccupation du moment était devenu un petit bout de veste, à sa portée. Il n’en fallait pas beaucoup, pour capter l’attention d’un nourrisson de cet âge. Il passait aussi plus de temps à regarder ses propres mains, depuis quelques jours, comme s’il les découvrait littéralement. Sa mère avait littéralement fondu la première fois où il avait répondu, quand elle avait dit son nom, par un vrai sourire. C’était la première fois qu’il souriait comme ça, au son de sa voix.

« Avez-vous déjà eu envie de fonder une famille ? »

"Qu… Mais pourquoi pensez-vous qu’il… Bon, attendez une petite minute, s’il vous plaît."

Oui ? Il la regarda fouilla son sac et sortir son datapad, pour pianoter dessus. Sans trop savoir ce qu’elle faisait. Durant ce temps, il se re-pencha vers le bébé, en essayant de faire passer la nervosité et la peur allant avec, pour ne pas la lui communiquer. Surtout pas, ça serait terrible, il était encore bien trop jeune et trop fragile pour être frappé par les émotions négatives des autres. Il le câlinait lorsque la maman lui mit tout à coup son datapad sous le nez. Il déglutit fortement et un eut un frisson très brusque, lorsqu’il réalisa qu’elle avait carrément posé la question à son compagnon. Puis il se détendit un petit peu en lisant la réponse. Ce coup-là, il ne l’avait pas vu venir, il aurait préféré, au fond, que personne d’autre ne soit au courant. Mais c’était vrai, alors, qu’il n’allait rien lui dire ? Bien que le stress lui nouait le ventre, il se battait pour ne pas le montrer, surtout pas avec le petit. Une bonne part de la tension était retombée, malgré tout. Il se sentait soulagé, même si les doutes étaient tenaces.

"Tant que vous n’êtes pas un de ses ennemis, vous n’avez rien à craindre de son père. Le petit n’a pas l’air traumatisé non plus, vous le voyez bien. "

C’est… C’est vrai… Il commençait même à somnoler un peu… Solian se pencha légèrement en arrière et s’appuya contre le mur, pour être sûr de lui donner un meilleur appui s’il devait vraiment dormir. Il jouait toujours doucement avec un bout de veste mais commençait à bailler, de temps à autre. A présent qu’il était plus sûr de pouvoir se laisser aller, il embrassa doucement le petit dans les cheveux, avec l’espoir qu’il se sente bien et en sécurité. C’est fou à quel point ils pouvaient paraître si chétifs, à cet âge, même s’il savait que les enfants étaient plus solides qu’on ne le pense.

"Avez-vous déjà eu envie de fonder une famille ?"

"Oui, bien sûr ! Je ne sais pas si je suis déjà trop âgé ou… Disons, déjà trop âgé pour ça, mais je voudrai vraiment avoir des enfants."

Ce n’était finalement pas tant une question d’âge que de trouver la femme avec qui il pourrait fonder une famille. La seule relation sérieuse qu’il avait eu, dans sa vie, n’avait pas tenu car la dame s’était lassée d’un homme parti sur de si longues périodes. L’idéal serait de vivre avec une compagne ici même, dans la base, qui accepte cela, plutôt que rester sur une planète lointaine. Il avait eu, sinon, deux aventures peu sérieuses, qui n’avaient duré que deux mois pour l’une et cinq mois pour l’autre. Il n’avait jamais non plus sérieusement regarder ces dames, sur Nirauan, depuis son arrivée ici. D’une part, il s’était d’abord concentré sur le reconstruction de sa propre vie ainsi que son travail, d’autre part, il s’était assez tôt retrouvé dans un état l’empêchant de penser à de telles affaires. Même maintenant, il n’était pas bien sûr qu’il le pourrait.

"J’ai toujours aimé les enfants, ils représentent tout ce pourquoi j’ai choisi ce métier," poursuivit-il avec un sourire plus accentué. "Je trouve fascinant de voir comment ils appréhendent le monde, avec un regard qui n’a pas… Disons, pas encore été blessé par leur vécu. Mis à part dans certaines situations affreuses, arrivées à l’âge tendre, bien sûr. Les bébés, surtout, comment ne pas les aimer ?"

Même si tout le monde n’avait pas la fibre parentale, il ne connaissait encore personne qui ne trouve pas un bébé adorable. Il devait y en avoir, sans nul doute…

"A-t-il déjà un frère ou une sœur, ce petit bout ?"

Trop âgé ? Quel âge avait-il, plus exactement ? Elle lui lança un regard légèrement perplexe, de haut en bas, hésitant à poser la question. Le faire serait assez impoli, elle n’osa donc pas. Il ne semblait pas si âgé, à ses yeux, il devait avoir… Mmh, elle avait encore du mal à estimer l’âge exact des Humains, mais dans tous les cas, moins de cinquante ans. Bref, elle était plutôt contente d’avoir réussi à lui faire changer les idées, comme elle était fière de son fils, qui parvenait déjà à apaiser les gens avec sa simple petite bouille. Le pouvoir des jeunes enfants était inimaginable. Le pouvoir de l’innocence, plutôt, même si elle savait que ça ne fonctionnait évidemment pas avec tout le monde. Elle s’assit d’une façon un peu plus décontractée, sur l’épais tapis de sol, tout en ramenant mieux le bas de sa robe sur elle pour dissimuler ses chevilles. Se détendre ne signifiait pas abandonner toute décence, après tout.

« A-t-il déjà un frère ou une sœur, ce petit bout ? »

« Pas encore, mais cela viendra. »

Étant donné qu’elle ignorait quelles connaissances ou vision il possédait sur ces failles, elle partait du principe qu’il valait mieux ne pas mentionner Fessa. D’autant plus qu’elle venait d’une ligne de temps où Feoda n’était pas non plus né et où elle-même était décédée lors de l’accouchement. Tout comme Thrawn était déjà parti, lui aussi. Tout cela ne pouvait plus avoir cours, désormais… Parfois, elle se demandait si, dans l’époque de sa fille, Formbi n’avait pas « tenu » uniquement pour elle. Par la manière dont Feesa avait parlé de son oncle et décrit leur situation, Ewime avait fini par craindre que son frère se serait donné la mort, s’il n’avait pas eu sa nièce à s’occuper. Impossible à savoir, désormais… Et ce n’était sans doute pas une réponse qu’elle apprécierait connaître. Il était bien plus agréable de se dire que ce futur-là ne pouvait plus exister. Son frère s’était marié, il était devenu père également. Feoda était né et pouvait grandir avec ses propres parents. Elle avait même été soignée, grâce à la maître Jedi du passé, ce qui écartait le spectre d’une mort en couches.

« Vous savez, la question de l’âge se pose plus sérieusement pour la mère, lors de la conception d’un enfant, moins pour le père. Vous ne semblez pas si vieux, en tout cas, pas assez pour qu’on vous estime trop âgé pour prendre soin d’un enfant. »

Elle comprenait que la question se pose pour une femme, il y avait des âges où la grossesse devenait dangereuse. Mais pour un homme ? Certes, il valait mieux ne pas être trop loin dans son existence, mais ce n’était pas aussi primordial que pour une femme, puisque lui ne risquait ni sa santé ni sa vie. En résumé, elle voyait où était le souci, pour un homme, d’avoir un enfant à quarante ans ou un peu plus. En âge Humain, disons, par rapport à eux, ça devait représenter… Elle ne savait plus vraiment… Une trentaine d’années, pour un Chiss ? Enfin, peu importe, tout cela restaient des âges parfaitement raisonnables pour fonder une famille.

« J’y songeais, étant donné ce sur quoi vous avez pu travailler, peut-être pourriez-vous aussi participer, voire aider à organiser, les projets que nous mettons en place pour rapprocher nos deux communautés et aider chacune à comprendre l’autre. Pour le moment, il y a encore peu de choses, mais j’essaye d’en faire plus. Seriez-vous intéressé ? »

Il ne savait pas trop… De toute façon, tout cela était encore un peu trop flou et lointain. Ceux qui avaient déjà des enfants ou était sur le point d’en avoir avaient de la chance. Il avait déjà pensé à adopter, il y a quelques années de cela, déjà… Puis il s’était résigné à ne pas le faire, car comment s’occuper d’un enfant en devant partir avec la Flotte sur de si longues périodes ? C’était impossible, il ne pouvait adopter un petit bout de chou pour ensuite l’abandonner seul dans une maison. Enfin bref, de toute façon, il verra bien. Il eut un sourire attendri en voyant que le bébé s’endormait pour de bon, cette fois, son minuscule poing ramené contre lui. Ne plus trop bouger, maintenant, il ne faudrait pas le réveiller. Sa mère aura, en plus, sûrement une technique pour le récupérer sans que ça ne le tire du sommeil. Quoi que, les bébés, ça se réveillait facilement ? Pas le moment de tester. Lui aussi s’était beaucoup détendu, à présent, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte.

"J’y songeais, étant donné ce sur quoi vous avez pu travailler, peut-être pourriez-vous aussi participer, voire aider à organiser, les projets que nous mettons en place pour rapprocher nos deux communautés et aider chacune à comprendre l’autre. Pour le moment, il y a encore peu de choses, mais j’essaye d’en faire plus. Seriez-vous intéressé ?"

Rapprocher leurs deux communautés ? Leurs deux espèces, elle voulait dire ? Parce qu’il y avait eu des problèmes ? C’était la première fois qu’il entendait ça. Bon, ça ne devrait pas l’étonner, lorsqu’on travaillait avec une personne qui n’avait pas du tout la même culture ni la même manière de penser, il était normal que ça provoque des frictions. Il ne pensait pas que ça puisse être bien grave, malgré tout. Lui-même avait été surpris de pas mal de choses, en devant se rendre dans l’Ascendance, mais de là à ce que provoque de la haine ou du racisme, il ne fallait pas exagérer.

"S’il y a des choses que je peux faire, pourquoi pas, en effet. Surtout en ce moment."

Il ne pouvait pas encore partir durant de longues périodes, comme autrefois, alors… Il ignorait quand il le refera, par ailleurs, ce n’était pas un sujet qui avait déjà été abordé. Sans doute était-il encore considéré comme trop fragile ou… Mmh, bref, ne pas y songer, il n’avait pas l’intention de se pourrir de nouveau l’esprit dès maintenant. A présent, que faire, au juste, ce sera à elle de proposer, expliquer, démontrer…

"A quoi songez-vous, plus exactement ? Je veux dire, quel genre de travail voulez-vous mettre en place ? J’ai du mal à imaginer qu’il puisse y avoir de gros soucis, comme du racisme par exemple. Nos espèces sont différentes, soit, mais tout de même, pas au point de créer de tels gouffres d’incompréhension."

« S’il y a des choses que je peux faire, pourquoi pas, en effet. Surtout en ce moment. »

Parfait, alors ! Elle se sentait parfois un peu seule, dans ce qu'elle voulait mettre en place ou organiser. Une aide, quelle qu'elle soit, même infime, sera toujours la bienvenue. Bien sûr, ce n'était pas grand-chose, dans la vie de la base, elle en avait bien conscience, encore moins une priorité. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était apporter sa contribution, aussi modeste soit-elle, dans cette situation. Autant par envie que les affaires ici se passent bien que pour elle, se sentir utile. Ne pas juste rester chez elle avec pour seule occupation élever son enfant. Il y avait une certaine forme de complexe, au fond, qu'elle avait du mal à s'avouer et à assumer. Depuis l'enfance, alors que les médecins lui disaient souvent que sa vie sera sans nul doute courte et qu'il était donc inutile qu'elle se lance dans des projets, elle en avait développé une certaine peur d'entamer quoi que ce soit. La peur de vivre comme elle le voulait, finalement, par crainte que tout ne s'arrête trop brutalement et de laisser une sorte de... chantier mal dégrossi derrière elle. Elle n’en avait jamais parlé à personne, pas même à son frère, mais bon, elle songeait qu’il l’avait deviné il y a longtemps.

« A quoi songez-vous, plus exactement ? Je veux dire, quel genre de travail voulez-vous mettre en place ? J’ai du mal à imaginer qu’il puisse y avoir de gros soucis, comme du racisme par exemple. Nos espèces sont différentes, soit, mais tout de même, pas au point de créer de tels gouffres d’incompréhension. »

« Hum… »

Il n’avait pas dû entendre parler des histoires plus récentes. Évidemment, les docteurs n’allaient pas abreuver leurs patients des derniers ragots, encore moins ceux considérés comme encore fragiles ou qui n’avaient pas besoin d’être submergés de bêtises. L’histoire avait déjà tant parcouru toutes les lèvres qu’elle avait tendance à oublier qu’une petite partie du personnel était écartée, par la force des choses, de ces histoires-là. Pourtant, s’il devait l’aider, il faudra bien qu’il soit tenu au fait de ces horreurs. C’était précisément pour les éviter, qu’elle voulait accentuer ses projets. La répression était parfois utile, bien entendu, mais elle estimait que le dialogue, à lui seul, pouvait d’ores et déjà dénouer beaucoup de situations tendues. A condition de s’appuyer sur des personnes aptes à le faire… Le capitaine Fel avait été très… Disons… Très personnel, dans sa démarche. Si cela avait été tout à son honneur, Ewime préférerait néanmoins que ça soit des personnes plus diplomates, à l’avenir, qui se chargent de gérer de tels ennuis. Elle lui expliqua d’abord ce qui s’était passé, avec le capitaine et le jeune sergent. Un exemple marquant mais ce n’était sûrement pas la seule histoire du genre.

« Nos espèces sont à la fois proches et éloignées, » poursuivit-elle avec un très léger soupir. « Il n’existe pas tant de différences biologiques que cela, si on fait la liste, cela compte l’espérance de vie, la vision, la force, ce genre de chose, ça reste restreint. En revanche, la différence culturelle est énorme, sachant en plus que les Humains sont l’espèce ayant le plus de cultures différentes existantes. Alors que la nôtre est plutôt uniforme. Le racisme naît de l’incompréhension, la méfiance, la peur… Il y en a partout, il était inutile de s’attendre à autre chose. Ce qui gêne en plus est que si la plupart des personnes veulent bien la chute de Palpatine, tous n’ont pas rejeté la xénophobie de l’Empire. Même si elle ne s’exprime pas toujours aussi ouvertement que l’a fait cet homme, elle existe bel et bien, on ne peut pas la nier. »

A ses yeux, c’était une contrariété mais pas un facteur de désespoir. Les choses s’arrangeront, peu à peu, à force de discussions, d’éducation et d’écoute. Elle restait intimement convaincu que toute peur pouvait être balayée grâce à l’éducation.

« Je pense à des moyens très simples, d’aucun diront naïfs, » admit-elle avec un léger haussement d’épaules. « Par de courtes rencontres sportives, afin de ne pas gêner le travail des uns ou des autres. Des cours de langues, pas seulement pour un seul groupe. Des échanges sur la culture. Des moments où découvrir et s’initier à la culture de l’autre, durant les temps de repos, par exemple. Je sais que ça peut sembler très idéaliste et que ce n’est pas une magie qui va tout régler en quelques minutes. Simplement, il faut bien débuter quelque part. »

Il en tombait des nues… Bouche bée, il l’écouta raconter cette histoire complètement scandaleuse, indigné par ce qu’elle détaillait. Comment pouvait-on en arriver à une attitude pareille ! Ce n’était absolument pas digne d’un officier ! Et d’où, en plus, un général venait à se mêler aussi personnellement du travail mené par un sergent ? Si ça, ce n’était pas la preuve qu’il avait tout fait pour nuire au jeune homme… C’était encore plus infect ! Il faillit avoir un petit mouvement d’indignation puis se souvint de justesse que le bébé s’était endormi contre lui et donc qu’il devait éviter ce genre de choses. Il le rehaussa un peu contre lui, en se calmant, un soupir au coin des lèvres. Il comprenait mieux, même s’il avait espéré que ça ne puisse pas se produire ici. Il hocha aussi la tête au « différences culturelles énormes ». C’est ce qu’il avait cru comprendre, en effet, si ses souvenirs étaient bons… Cette partie-là avait encore un peu de mal à bien se fixer dans sa mémoire. Lui aussi avait été perturbé sur pas mal d’aspects mais de là à avoir peur ou être dégoûté, il ne fallait rien exagérer. Ce n’était qu’une excuse, pour les crétins, un simple prétexte servant à déverser leur fiel.

"Je pense à des moyens très simples, d’aucun diront naïfs. Par de courtes rencontres sportives, afin de ne pas gêner le travail des uns ou des autres. Des cours de langues, pas seulement pour un seul groupe. Des échanges sur la culture. Des moments où découvrir et s’initier à la culture de l’autre, durant les temps de repos, par exemple. Je sais que ça peut sembler très idéaliste et que ce n’est pas une magie qui va tout régler en quelques minutes. Simplement, il faut bien débuter quelque part."

"Je ne trouve pas ça stupide," répondit-il lentement, plongé dans ses réflexions. "Il n’existe pas de solutions miracles et s’il suffisait d’ordonner à des personnes de ne plus être racistes, pour les calmer d’un bloc, ça se saurait. Et puis, ce genre de moyen peut inciter les personnes à changer peu à peu sans qu’elles ne réalisent forcément que c’est le but. Ça évitera qu’elles ne se braquent aussitôt."

Pour lui, utiliser des moyens détournés plutôt qu’aller dire en face à chacun arrête d’être un con, ça sera sûrement plus efficace. Il confirma donc à la dame qu’il était prêt à participer à cela, bien entendu, avec les moyens qu’il pourra. Même s’il n’avait pas encore une grande idée de ce qu’il pourra faire. Il imaginait qu’ils en discuteront plus posément, avec des documents écrits ou autre chose, plutôt qu’ici, dans un coin de la bibliothèque. Pour être honnête, avec ça, il avait un peu de mal à rester concentré longtemps, malgré ses efforts et les soins qui se poursuivaient. Terminer enfin son rapport lui avait déjà demandé une bonne part de ses forces restantes, pour la journée. Même avec la meilleure volonté qui soit, il continuait encore et toujours à s’épuiser bien vite. Comme si la fatigue mentale assommait le corps avec. Il rebaissa la tête vers le bébé, puis le rendit, le plus doucement possible pour ne pas le réveiller, à sa maman. Il dormira sûrement encore mieux en pouvant sentir l’odeur de sa mère, ce petit bout. Lui-même commençait déjà à avoir envie de dormir, sans pourtant oser se l’avouer. Il n’était pas bien tard, après tout.

"Le capitaine Fel va-t-il donc lui aussi s’impliquer dans tout cela ?"

Ça lui semblait logique… Étant donné l’attitude qu’il avait eue lors de cette altercation. Et si jamais ça s’était assez répandu, peut-être que les Chiss présents dans la base voudront plus lui parler de ce genre de problèmes, plus facilement qu’à d’autres.

Elle était contente qu’il accepte de l’aider, dans ce projet, tout autant lorsqu’il précisa qu’il ne jugeait pas tout cela si idiot ou naïf. Sans doute par politesse. Ce n’était pas bien important, tant qu’elle puisse compter sur d’autres personnes et que l’ambiance puisse s’améliorer peu à peu. Ils en reparleront plus tranquillement, plus tard, elle voyait bien que lui aussi commençait à fatiguer sérieusement. Il n’en disait rien mais elle parvenait à le « voir », assez facilement. Il se redressa pour lui rendre son fils, maintenant profondément endormi. Elle le cala avec douceur contre elle, remettant l’écharpe de portage pour bien le soutenir et pouvoir bouger sans qu’il ne soit trop dérangé. Il n’ouvrit même pas un œil, malgré le mouvement et l’écharpe resserrée contre lui, pour bien le tenir. Ce n’était pas si souvent qu’elle parvenait à réaliser cette manœuvre sans le réveiller, malgré tout. Son petit bout avait le sommeil plutôt léger, il se réveillait facilement dès qu’il y avait plus de bruit. Très souvent, son père le trouvait les yeux grands ouverts dans son berceau, tôt le matin, lorsqu’il partait travailler.

« Le capitaine Fel va-t-il donc lui aussi s’impliquer dans tout cela ? »

« Pour le moment, je l’ignore. Il est déjà engagé dans pas mal de projets. Cela lui plairait peut-être, mais j’aimerai qu’il évite de s’occuper de la partie plus, hum, diplomatique. »

Du moins, pas sans avoir appris au préalable les bases de la diplomatie. Insulter la personne en face, même si elle vous insupporte profondément, n’a jamais aidé qui que ce soit à faire avancer le débat, bien au contraire. C’était complètement contre-productif. Elle signala donc au commandant qu’ils en parleront à un autre moment, car la soirée avançait et que chacun avait encore à faire. C’était, pour elle, une manière détournée de conclure la conversation sans lui dire franchement qu’elle voyait bien qu’il était épuisé. Elle le salua poliment, ramassa ses quelques affaires, puis prit congé. En rentrant à l’appartement, elle commença par installer son fils dans le petit berceau du salon, comme d’habitude lors de ses siestes en journée, puis rangea tout, avant d’aller commencer la préparation du repas. Elle avait tout juste mis à cuire lorsque Feoda s’éveilla à nouveau, cette fois pour manifester son envie de manger. Sa mère s’assura d’abord que rien ne risquait de déborder, dans la cuisine, puis s’installa dans un canapé du petit salon, pour allaiter tranquillement son bébé.

Pendant que Feoda buvait, elle se laissa aller à ses pensées, aux projets qu’elle avait envie de mettre en place et comment… Avec de la chance, l’ambiance délétère due au racisme ne dura pas des mois et des mois… Du moins, c’est ce qu’elle espérait…