Préparations en cours

La bibliothèque, dans son ensemble, était plutôt calme, ce matin. Seules quelques personnes allaient et venaient, un tout jeune homme était installé plus loin à travailler sur elle ne savait quoi et un autre, plus âgé et recouvert de bandages épais, lisait dans son coin. Juste à côté d’eux, installé sur un tapis d’éveil par terre, Feoda jouait avec des petits éléments en plastique, accrochés au tapis. Il arrivait à redresser la tête depuis peu, lorsqu’il était sur le ventre, à mieux attraper les objets et commençait à plus répondre et tourner la tête en entendant son nom. Et surtout, très important, il faisait ses nuits, enfin… La jeune mère se sentait tellement mieux, depuis que son fils dormait plusieurs heures d’affilée sans se réveiller, ça procurait un bien fou. Même s’il lui restait des traces de ces semaines chaotiques, au moins, l’amélioration aussi était de plus en plus visible. Elle était contente de constater, chez le commandant, des signes d’amélioration, peu à peu.

Il avait encore des moments de fatigue importante ou de tension, néanmoins, il reprenait des forces, c’était ça qui comptait. Pour ce matin, ils avaient commencé par préparer les nouveaux cours de langue, qui seront bientôt ajoutés peu à peu. Un exercice assez périlleux, entre définir les bases à apprendre en premier et comment s’y prendre pour que ça soit le plus fluide possible. C’était le boulot des professeurs, ça, mais… Ils n’en avaient tout simplement pas sous la main. Même parmi les civils travaillant ici, aucun n’avait eu ce type de formation. Ils allaient devoir se débrouiller comme ils le pouvaient. Étant donné que le commandant ne parlait pas le Sy Bisti, elle s’appuyait sur ses remarques et réflexions pour classer et chapitrer les notions à apprendre. L’alphabet, pour débuter, puis le vocabulaire, la grammaire, les structures de phrases… Elle s’efforçait de concentrer sur sa ligne directrice, il y avait tant à voir que s’éparpiller était facile.

« La plupart des formateurs sont encore un peu frileux, » glissa-t-elle entre deux débats sur la structure à donner à ces cours. « Ils s’inquiètent pour le temps alloué, car il y a déjà beaucoup à faire, entre les cours de stratégie militaire, de mécanique, de pilotage et tout le reste… Sans même parler des entraînements physiques. L’instruction d’une langue demande autant de régularité et ils craignent que ça n’empiète sur d’autres apprentissages. »

Le but n’était évidemment pas de saccager les programmes déjà mis en place, simplement d’y accoler d’autres leçons tout aussi essentielles. Pour le moment, seuls quelques uns faisaient l’effort, par eux-mêmes, d’apprendre la langue de l’autre, ça pouvait très vite gêner, une fois parti ensemble en missions. Et ne parlant pas du risque de communautarisme…

« L‘idéal serait d’avoir deux ou trois heures consacrées à ça par semaine… Mais j’ignore si c’est réalisable. Je songeais à cibler, en quelque sorte, chaque groupe après l’autre. Mettons, par exemple, les Enseignes, puis certains officiers, et ainsi de suite. En commençant par ceux qui en auront besoin rapidement, pour alléger l’ambiance envers ceux qu’ils dirigent ou avec qui ils travaillent. »

Ça ne concernait pas que les militaires, elle pensait aussi aux civils employés, dont pour une bonne partie, la langue natale n’était pas le Basic. Beaucoup parlaient encore en majorité la langue de leur propre planète et employaient une autre langue « commerciale », comme l’était le Sy Bisti, par exemple, pour échanger avec les autres.

« Vous pensez que deux heures par semaine peuvent suffirent ? »

Se mettre dans la peau d’un professeur était un exercice inédit… Il avait déjà joué les instructeurs, pour des entraînement physiques au sein du vaisseau, quoi que jamais très longtemps. Rien à voir avec architecturer un cours. Ni rien à voir avec rédiger des rapports de missions ou toute la paperasse administrative habituelle et inhérente à la gestion d’un vaisseau, même petit. Des notes plein la table, un livre expliquant comment structurer un cours ouvert juste à côté et assis face à la jeune dame, il tentait de quitter son schéma ordinaire de pensées, la zone de confort, somme toute. Ils étaient installés ici depuis une heure ou deux, à présent, occupés à travailler sur les futurs cours. La bibliothèque était assez silencieuse. Comme la base. Beaucoup étaient partis dans diverses opérations de harcèlement contre l’Empire. Cette fois-ci, il n’avait même pas pris la peine de demander à intégrer un des équipages, qu’importe le poste, car il savait qu’il se serait encore vu opposer un refus. Le médecin rechignait à le laisser filer tant qu’il n’ira pas vraiment mieux, physiquement parlant.

Au moins, pouvoir travailler sur d’autres projets en attendant était très réconfortant, même si ce n’était pas simple. Rester inactif depuis si longtemps lui avait beaucoup pesé, il détestait cette sensation, se sentir faible et inutile. Ils discutaient à voix basse de comment trier les notions, les priorités, les bases et ce qui était le plus simple à aborder en premier. Le tout en s’efforçant de ne pas déranger les autres personnes installées dans la bibliothèque. Il sourit faiblement lorsqu’elle précisa que les formateurs de la base étaient peu enthousiastes, sur l’ajout de ces cours, par crainte que ça ne prenne trop de place sur le reste. Il ne devait pas y avoir que ça, ils jugeaient sans doute inutile d’apprendre différentes langues, alors qu’il existait tant de droïdes pouvant se charger de la traduction. Même s’ils n’étaient pas toujours là et qu’il fallait bien pouvoir se débrouiller seul. Quant au temps à y consacrer… Mmh… Ne commençant qu’à peine lui-même ce type d’apprentissage, il peinait à définir ce qui pouvait bien être le mieux. Trois heures, sachant qu’il ne fallait pas déranger les autres cours, ça semblait beaucoup.

"Je songeais à cibler, en quelque sorte, chaque groupe après l’autre. Mettons, par exemple, les Enseignes, puis certains officiers, et ainsi de suite. En commençant par ceux qui en auront besoin rapidement, pour alléger l’ambiance envers ceux qu’ils dirigent ou avec qui ils travaillent. Vous pensez que deux heures par semaine peuvent suffirent ?"

"Plus me paraît difficile à intégrer. Par contre, il faudrait que chacun fasse l’effort de répéter de son côté, en-dehors des cours. Sinon, passer d’un groupe à l’autre est une bonne idée. Sachant que peu de personnes sont susceptibles de donner ces cours…"

Il se repassa mentalement la liste de ceux et celles pouvant s’y mettre, dans la base, dans le même temps. Une liste assez courte, ils en avaient déjà un peu discuté… Cela dit, s’ils prenaient le temps de trier les « élèves », ça collera avec les personnes disponibles pour enseigner. Il fouilla un bref instant ses notes pour reprendre les plannings des formations théoriques et pratiques dispensées dans la base, différents suivant les rangs et travaux de chacun. Puis débuta, avec la jeune Dame, la recherche de créneaux susceptibles de convenir. Le casse-tête s’enclencha presque aussitôt… Pour les officiers, en tout cas. Si tout était simple avec les civils ou avec les soldats sans encore trop de responsabilités, les complications survenaient dès qu’on arrivait aux lieutenant et gradés au-dessus. Pour moins se compliquer, ils prirent d’abord le temps de lister les personnes prioritaires, ou du moins, celles qui auront le plus d’utilité à connaître une nouvelle langue.

"Sans vouloir être vexant, je pense que les officiers de trente à cinquante ans font partie des meilleures cibles… Ceux ayant majoritairement servi dans la Flotte Impériale. Ils ont été exposés durant des années aux principes xénophobes de l’Empire et changer des mentalités, après autant d’années, prend pas mal de temps. Je serai d’avis à commencer par eux. Surtout si cela peut aider à diminuer les conflits racistes."

« Plus me paraît difficile à intégrer. Par contre, il faudrait que chacun fasse l’effort de répéter de son côté, en-dehors des cours. Sinon, passer d’un groupe à l’autre est une bonne idée. Sachant que peu de personnes sont susceptibles de donner ces cours… »

« C’est bien là le souci, actuellement. »

Un souci qui devint aussitôt assez pénible, dès lors qu’ils passèrent en sus, à comment intégrer le tout dans les plannings. C’est là qu’on allait véritablement s’amuser. Au bout d’à peine dix minutes de galère insurmontable, ils décidèrent d’un commun accord de d’bord cibler les officiers en ayant le plus besoin et se concentrer sur eux avant toute chose. Mais là encore, les emplois du temps de chacun rendaient l’affaire très compliquée. Et encore, c’était sans même compter les nombreux « imprévus » ainsi que les départs n catastrophe, en mission. Ils n’auront guère le temps, encore moins l’envie, de prendre sur le leur temps personnel pour ça, hors de la base, c’était certain. Pourtant, ce que ça leur serait utile… Même en-dehors de la langue, simplement découvrir d’autres cultures et méthodes de pensées. Allez donc faire comprendre ça. Elle parvint à retenir un rire à la réflexion du commandant, sur les officiers dans la fleur de l’âge, ayant surtout servi dans la marine impériale. Il est bien vrai qu’ils avaient été très longuement exposés à une idéologie raciste et malsaine. Certains avaient conservé un fort esprit critique, mais on ne pouvait affirmer que c’était le cas de tous, bien au contraire.

« Je serai d’avis à commencer par eux. Surtout si cela peut aider à diminuer les conflits racistes. »

« Pour les supprimer pour de bon, il faudra beaucoup de temps. Je doute même que ça arrive un jour. Cela dit, si on peut, au minimum, ne plus voir survenir des affaires comme celle où s’est énervé le capitaine Fel, ça sera déjà très bien. »

Inutile de se faire des illusions, des personnes racistes et xénophobes, il y en aura toujours. Ils ne pouvaient pas lutter contre tout avec l’éducation, après tout. A force d’y réfléchir et travailler, ils finirent par placer quelques temps potentiels, sur les plannings, qu’il faudra bien entendu faire valider par la suite. Le tout était de bien construire les cours et les architecturer, afin que chacun d’entre eux ne dure pas trop longtemps et qu’ils se suivent de manière fluide. Tout en travaillant sur tout ça avec le commandant, elle surveillait régulièrement son fils, occupé à s’agiter sur son tapis de jeu, avec les petits jouets qui y étaient attachés. Sans cesse un œil sur son bébé, quoi qu’il arrive, une règle qu’elle s’était inconsciemment fixée à elle-même dès la naissance. Était-ce « normal », d’ailleurs, difficile à dire, elle n’avait pas d’autre exemple sous la main. Lorana et Thrass, eux aussi, gardaient toujours le regard sur leur fille, mais Ewime ne savait pas si c’était commun à tous les parents ou si leur famille était, tout simplement, un peu étrange, de ce point de vue.

« Nous pourrions aussi passer par des jeux, comme dans les écoles, mais j’ai peur qu’ils se sentent trop infantilisés. Sinon, si c’est possible, bien entendu, que penseriez-vous de former des duos, sur certaines missions ou tâches bien précises, pour pousser, mine de rien, à l’échange entre les cultures ? »

Bien qu’elle doute, très fort, que ça soit réalisable, ou même imaginable, simplement, en parler pouvait pousser à réfléchir à toutes sortes d’autres solutions…

"Pour les supprimer pour de bon, il faudra beaucoup de temps. Je doute même que ça arrive un jour. Cela dit, si on peut, au minimum, ne plus voir survenir des affaires comme celle où s’est énervé le capitaine Fel, ça sera déjà très bien."

Il eut un léger rire, tout en prenant des notes, pouvant se permettre ici de montrer son appréciation de l’affaire. D’accord, la méthode employée n’était pas la meilleure, mais comment être en colère ? Face au racisme et ce genre de choses, ne pas réagir était bien pire. De plus, un homme agissant rapidement dans de tels cas, quitte à se fourrer lui-même dans les ennuis, avait tout son respect. La manière était plus discutable, ça, par contre, on pouvait le lui reprocher. Solian doutait, néanmoins, que quelqu’un arrive à faire changer le pilote, dorénavant, c’était bien trop ancré dans son caractère. Peu importe qui il aura face à lui, il l’avait prouvé à de multiples reprises. Ils passèrent un long moment à placer des créneaux potentiels, pour chaque « groupe » ciblé. Un exercice délicat… L’idée de jeux ou autres était intéressante, cependant, lorsqu’on s’adressait à des soldats, il doutait que ça soit pris de la bonne manière. Pour des duos, sinon… Il prit le temps d’y réfléchir, imaginant assez peu quelles situations se prêteraient naturellement à des échanges sur ces sujets. C’était tellement spécifique. Il finit par légèrement soupirer, en secouant la tête.

"Les soldats sont très peu habitués, d’une manière assez globale, à discuter de ce genre de choses, durant les heures de travail, même s’ils en sont à effectuer des tâches répétitives ou d’autres ne demandant pas de réfléchir à fond Hors service, c’est différent, mais on ne pourra pas non plus pousser le sujet. En-dehors de moments dédiés à ça, comme ces cours, ça me semble très compliqué. Pour qu’une mission se passe bien, les personnes doivent se faire confiance. Un agent profondément raciste aura besoin de plus qu’un duo pour commencer à changer."

C’était malheureux, mais c’était comme ça, ils devaient se contenter de ce qu’ils avaient. Ce serait très différent s’ils avaient face à des eux des employés plus classiques, des jeunes, voire des enfants ! Mais ici… Mmh. Il avait déjà eu ce type de problèmes parmi ses hommes, comme les avaient-ils réglé… C’est en y songeant qu’il réalisa tout à coup que le « ses hommes » lui était venu naturellement, cette fois, sans lui donner une impression étrange. Ça arrivait maintenant alors qu’il ne dirigeait, techniquement, plus personne, sans compter qu’il doutait très fortement que ça soit de nouveau le cas un jour. Qui serait assez dingue pour lui faire confiance après une affaire pareille. En revanche, il espérait, au minimum, pouvoir travailler de nouveau sur un vaisseau. À quel poste, ça, il l’ignorait encore, tout dépendra de ce qui sera accepté. Le travail de bureau ne le dégoûtait pas, ni les activités en plus comme celle-ci, au contraire, ça lui permettait de se remettre dans le bain et aussi d’aborder de nouveaux sujets. Simplement… Les longues missions lui manquaient, il avait toujours aimé bouger, voyager, travailler auprès de mondes différents les uns des autres, sans oublier l’atmosphère particulière, qu’on retrouvait dans la vie sur un vaisseau. La vie sans tout cela n’avait pas la même saveur.

"Dans tous les cas, il faut pousser au moins à ce que les langues commerciales les plus utilisées dans ces régions soient apprises. Ne serait-ce qu’une. Sachant, en plus, que le plupart des peuples locaux refusent purement et simplement d’employer le Basic."

Ils pouvaient cibler… Disons, deux ou trois langues fréquemment utilisées, qui seront forcément utiles tôt ou tard, aux officiers devant communiquer avec tel ou tel peuple. Même si tout le reste prenait du temps, énormément de temps, ça, au minimum, était indispensable.

"L’Empire a toujours encouragé la xénophobie et il est très loin d’être le seul à le faire," ajouta-t-il d’un ton plus blasé. "Ce sont des attitudes difficiles à dépasser et d’un certain point de vue, ça peut se comprendre. Beaucoup de peuples sont naturellement enclins à se méfier de ce qui est trop éloigné de leur propre culture. Je pense que si on veut que ça progresse, il ne faut pas présenter les choses, disons, sous un angle soit moralisateur, soit déconnecté de la réalité par des phrases toutes faites. Face à des soldats, mieux vaut être le plus pragmatique possible, déclarer que ce sera pour le bine de leurs futures missions. C’est ce que fait également votre peuple, non ? Ou du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre."

« Les soldats sont très peu habitués, d’une manière assez globale, à discuter de ce genre de choses, durant les heures de travail, même s’ils en sont à effectuer des tâches répétitives ou d’autres ne demandant pas de réfléchir à fond. Hors service, c’est différent, mais on ne pourra pas non plus pousser le sujet. En-dehors de moments dédiés à ça, comme ces cours, ça me semble très compliqué. Pour qu’une mission se passe bien, les personnes doivent se faire confiance. Un agent profondément raciste aura besoin de plus qu’un duo pour commencer à changer. »

C’est bien ce qu’elle s’était dit, l’espoir était bien maigre, en posant la question… Elle hocha a tête lorsqu’il poussa plus précisément sur les langues, leur priorité. Ne pas trop espérer, c’était encore quelque chose pour lequel elle avait du mal, autant l’avouer, même si elle continuait d’y travailler. Il lui restait une forte part d’idéalisme, de rêverie, d’espoir pour des changements, qu’elle peinait souvent à réguler, dans ce genre de situations. Pourtant, il était si essentiel de conserver les deux pieds sur terre et ne pas se laisser aller trop souvent à de tels rêves. En temps normal, elle conservait la tête froide, mais il y avait des sujets plus sensibles que d’autres, où rester calme et terre à terre était plus compliqué. Elle lança un regard en coin à son fils, occupé à jouer avec une petite boule en plastique accroché à son tapis d’éveil. Aura-t-il ces traits de caractère également ou prendra-t-il plus de son père, en grandissant ? Elle se prit à espérer qu’il prenne plus de son papa, pour ça, que ça lui évite des espoirs brisés trop aisément. Hélas, impossible de choisir ce qu’un enfant prendra de ses deux parents. Ce serait pourtant si pratique !

« L’Empire a toujours encouragé la xénophobie et il est très loin d’être le seul à le faire. Ce sont des attitudes difficiles à dépasser et d’un certain point de vue, ça peut se comprendre. Beaucoup de peuples sont naturellement enclins à se méfier de ce qui est trop éloigné de leur propre culture. Je pense que si on veut que ça progresse, il ne faut pas présenter les choses, disons, sous un angle soit moralisateur, soit déconnecté de la réalité par des phrases toutes faites. Face à des soldats, mieux vaut être le plus pragmatique possible, déclarer que ce sera pour le bien de leurs futures missions. C’est ce que fait également votre peuple, non ? Ou du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre. »

« Oui, c’est bien ça. L’éducation civile et militaire est tournée dans ce sens, afin de faire passer la société, le groupe, en premier lieu, les individus ensuite. »

Le lieutenant Vanto leur avait déjà quelques exemples de sociétés humaines fonctionnant de cette manière également, ça se retrouvait dans plusieurs types de sociétés et de peuples. Tout comme l’inverse et encore d’autres modèles. Enfant, il lui avait pris de souhaiter de toutes les connaître, avant de réaliser en grandissant qu’il en existait simplement trop pour que ça soit possible. Sans compter qu’elle ne voyait jamais en-dehors de l’Ascendance et que même ici, elle ne partait se balader dans l’Espace Sauvage ou encore plus loin. Difficile de découvrir beaucoup de cultures soi-même, dans ces conditions. Après dix minutes de travail, elle marqua une pause pour aller préparer le biberon et récupérer son fils dans ses bras, pour le lui donner tranquillement. Ils avaient déjà bien progressé, depuis ce matin, pas mal de documents s’affichaient sur la table. Ils continuèrent de travailler le temps qu’elle donne le biberon à son petit, le commandant devant se charger un temps seul de la prise de notes. Blotti dans ses bras, Feoda n’était, de son côté, pas très pressé de boire. Plus occupé à regarder partout où il pouvait.

« Nous pourrions déjà faire parvenir tout cela aux responsables, » ajouta-t-elle en désignant d’un signe de tête les documents. « Que ça soit validé, avant d’avancer plus loin. Adapter ce qui sera nécessaire. »

Cela lui fit penser qu’elle devrait imiter son beau-frère et sa femme… Ils avaient commencé à apprendre à leur fille leurs deux langues natales, même si elle n’avait qu’un an, pour l’habituer toute petite. Faire la même chose avec Feoda, lorsqu’il commencera à parler, ne sera pas une mauvaise idée. Elle sourit à son bébé, en y songeant, pendant qu’il commençait finalement à plus s’intéresser au contenu de son biberon qu’à ce qui se passait autour de lui.

« Comment vous sentez-vous, ces derniers temps ? Les angoisses nocturnes ont diminué ? »

Elle abordait ce dernier sujet car elle savait qu’il avait beaucoup de mal à en discuter et donc tendance à le garder pour lui, ce qui n’était vraiment pas bon. Pour s’en sortir, il fallait oser s’exprimer et évacuer le tout.

"Oui, c’est bien ça. L’éducation civile et militaire est tournée dans ce sens, afin de faire passer la société, le groupe, en premier lieu, les individus ensuite."

"Pour la cohésion, ce n’est pas mal."

Il avait déjà brièvement travaillé sur quelques bases placées sur des planètes où ce système de société était majoritaire. Il y avait du bon et du mauvais, là-dedans, mais ça, comme partout. Il se nota dans un coin, mentalement, de demander à un de ses hommes, qui venait justement d’une telle société, de lui en parler un peu plus. En attendant, ils poursuivirent tranquillement. La dame fit une pause dans la prise de notes, le temps de donner le biberon à son fils. Un bébé qui avait bien grandi, d’ailleurs, il commençait de plus en plus à ressembler à un garçonnet, plutôt qu’un nourrisson. D’autres, dans la base, attendaient des enfants… Il faudra, prochainement, songer à monter une petite école pour les enfants, ils ne pouvaient pas juste les envoyer étudier au loin sur une autre planète, ce n’était pas envisageable. Ensemble, ils classèrent le tout avec un sommaire, pour que les responsables puissent lire aisément. Ce sera un peu long, malgré tout… Et Solian espérait que ceux et celles allant recevoir le paquet prendront réellement le temps de tout lire. Ils avaient tout fait pour condenser un maximum.

"Comment vous sentez-vous, ces derniers temps ? Les angoisses nocturnes ont diminué ?"

"C’est… C’est encore compliqué," répondit-il alors que le rouge colorait ses joues. "Mais j’y travaille."

Il en avait honte et c’était pour ça qu’il était si difficile d’en discuter. De jour, ça allait mieux, il parvenait à faire bonne figure et à se comporter normalement. Il retenait les noms et les grades, retrouvait peu à peu les souvenirs de ceux qu’il avait connu ou croisé, parvenait même à suivre une activité physique quasiment normale, pour un soldat. La nuit était bien plus compliquée. Au repos, sa garde baissait fortement, naturellement, il ne parvenait pas aussi bien à éloigner certaines pensées. Ses songes nocturnes étaient très houleux et les réveils douloureux. Il essaya quand même d’adresser un sourire rassurant à la dame, légèrement tremblant, la gêne toujours ancrée. Prendre des traitements contre ça ne lui plaisait pas, par crainte d’en revenir à un état de légume, créer une dépendance ou il ne savait quoi encore. Et aussi parce qu’il ne voulait pas que quoi que ce soit lui trifouille l’esprit de nouveau, même un médicament pour l’humeur ou le contrôle des émotions. C’était aussi pour ça, d’ailleurs, qu’il dormait toujours dans un coin de l’infirmerie. D’une part, s’il se blessait à cause d’une crise d’angoisse nocturne, le problème pouvait être réglé immédiatement, d’autre part, il ne réveillait ainsi personne, dans un dortoir.

"Ce type de projets aide malgré tout, pour retrouver une vie normale," poursuivit-il en essayant de se reprendre. "Le temps fera le reste."

Il trouvait d’ailleurs toujours proprement hallucinant de ne pas avoir été viré d’ici… Mais soit.

"Une fois que tout cela aura pu être mis en place, comptez-vous tarvailler sur autre chose ?"

-----------
État actuel pour les crises nocturnes : 20

« C’est… C’est encore compliqué. Mais j’y travaille. Ce type de projets aide malgré tout, pour retrouver une vie normale. Le temps fera le reste. »

Il cachait mal la honte éprouvée, surtout qu’elle n’avait pas lieu d’être. Mais que répondre ? Il poursuivait le travail et les soins engagés, les progrès étaient grands, mais il restait des difficultés… Ils auront beau lui répéter encore et encore qu’il n’avait pas à culpabiliser autant, ça ne changera rien. Elle se retint malgré tout de le faire, une fois de plus, secouant très légèrement la tête. Elle ne pouvait, de toute manière, relancer le débat sur ce sujet dès à présent. Feoda commençant à peine à s’intéresser au contenu de son biberon plutôt qu’à ce qui se passait autour de lui, il ne s’agissait pas de le distraire une fois de plus. Leur fils ne fixait pas du tout son attention, par ailleurs, sur quoi que ce soit, un rien l’accaparait aussitôt sur autre chose. Elle se demandait souvent si c’était normal, malgré qu’il n’ait pas encore un an. Ce n’est pas que ça l’inquiétait trop, pour le moment, il n’était qu’un bébé, mais il ne faudra pas non plus que ça dure trop longtemps. Elle devrait en parler à Thrawn, voir ce qu’il en pensait. Leur petit était peut-être simplement déjà très rêveur, malgré son âge…

« Une fois que tout cela aura pu être mis en place, comptez-vous travailler sur autre chose ? »

« J’en ai deux ou trois en tête, oui. J’y réfléchirai plus posément une fois celui-ci correctement lancé. »

Elle lui parla du premier, autant pour avoir son avis que pour le distraire des sombres pensées qu’il pourrait avoir. Discuter tout en donnant le biberon pour son fils était appréciable, elle n’avait jamais apprécié les longs moments de silence, même en allaitant ou en donnant le biberon. Ils reparlèrent ensuite des sujets travaillés aujourd’hui, pour un récapitulatif global et s’assurer qu’ils n’avaient rien oublié. Elle ne s’attendait pas à des réponses rapides, quoi qu’il en soit. Une fois le biberon terminé et tous les deux sûrs que tout était bien calé, la réunion de travail put prendre fin. Il partit de son côté le premier, emportant le dossier et ce qu’ils devaient transmettre. Pour sa part, d’abord ranger les affaires du petit et l’installer dans son berceau lui prenait un peu plus de temps. Elle allait d’abord rentrer à l’appartement pour le changer.