Reprenons les bases

Cette fois, elle n’avait pas eu envie de s’embêter, la nuit avait été agitée et rester chez soi, parfois, convenait très bien. Elle y avait donc invité le petit, ils s’étaient installés sur la table de la salle à manger, à côté de la cuisine semi-ouverte, pour ce cours de langue et un peu de culture. Kivua dormait tranquillement, elle l’avait mis au lit pour sa sieste à peine deux minutes plus tôt, alors que Nuru venait juste d’arriver. Apprendre leur langue à un petit jeune de leur peuple ayant plus d’un an était… Assez bizarre. Parfois, quelques sons, voire certains mots, lui revenaient vaguement, comme de brefs flashs de son esprit. Il était familiarisé à la prononciation, ça n’avait pas été éradiqué à jamais de sa mémoire, en revanche, les mots complets, la syntaxe, la grammaire, tout était à apprendre. Ils avaient convenu d’un rythme de quatre ou cinq heures par semaine, sachant qu’il devra en plus répéter les mots et leçons tous les jours. Ce n’était qu’une affaire de pratique, après tout.

Lors de son dernier voyage dans l’Ascendance, Ewime en avait profité pour acheter quelques livres sur l’apprentissage de leur langue, couvrant tous les thèmes, en se disant que ça sera très utile pour ses enfants, sans s’imaginer qu’elle en aurait besoin bien avant que son fils aîné n’apprenne à lire. Nuru était encore perdu, mais volontaire, dans cette nouvelle voie. Peu à peu, il allait pouvoir redevenir un enfant, s’autoriser à se comporter comme tel. Pendant qu’il recopiait des lignes entières d’alphabet, avec son aide lorsqu’il butait sur une lettre, elle se demandait ce qu’il allait advenir… Chez le capitaine, il y avait juste assez de place pour un enfant, pas deux, il faudrait que le capitaine fasse une demande pour déménager, s’il voulait le prendre chez lui. A moins que le petit n’ait envie de retourner chez son peuple natal… Il ne semblait pas pencher vers ça, pour le moment. Quant à partir chez les Jedi, là encore, il n’en avait pas exprimé clairement le désir.

La forme et l’écriture de leur alphabet, ou ceux des autres langues du Chaos d’une façon générale, était assez différente de celle du Basic et des langues de l’Espace Inférieur. Là encore, des régions se développant complètement coupées des autres ne pouvaient s’influencer mutuellement, ça touchait à tous les domaines. Il faudra aussi que Nuru côtoie le plus régulièrement possible les Chiss de la base, pour être baigné dans leur langue, autant qu’il l’avait été dans le Basic. Elle se pencha légèrement, souriant en voyant comment il dessinait la septième lettre puis tapota doucement du doigt le modèle, au début de la ligne d’écriture. Celle-ci était plus complexe. Il allait vite s’habituer, sans oublier qu’il n’aura guère les mêmes soucis de prononciation qu’avaient les Humains, comme Eli et Lorana. Il devait s’entraîner à la main, le plus possible, pour que ça rentre, elle devra lui imprimer des fiches avec toutes les lettres et des lignes d’écriture.

« Légèrement plus incurvée, » indiqua-t-elle en lui montrant comment faire, avec un stylo. « Juste comme cela, regarde. Sinon, ces deux lettres peuvent facilement se confondre. »

Elle leur resservit de grands verres d’eau et but le temps qu’il recommence à écrire cette lettre. Ce n’était que la troisième heure de cours, elle ne comptait pas le brusquer plus que nécessaire. Le plus difficile, ce sera de lui faire côtoyer d’autres Chiss, ici… Ils étaient tous pas mal occupés et on ne jetait pas un enfant au milieu d’une zone militaire.

« Parles-tu déjà d’autres langues, en-dehors du Basic ? Vous aviez des cours là-dessus, au Temple ? »

Certaines lettres lui semblait très vaguement familières, mais il ne savait pas trop si c’était un simple pressentiment ou s’il s’en souvenait vraiment. Les écrire restait dur, par contre. Il s’appliquait au mieux, dans chacun des cours. Le soir aussi, avant de s’endormir, griffonner lettres et mots sur un petit carnet. Cette fois, chez sa nouvelle professeur directement, elle devait être fatiguée, avec son bébé. Ou ses bébés, plutôt. S’il se détendait peu à peu, côtoyer des familles plus que des mentors et d’autres élèves était toujours bizarre. Il se familiarisait en douceur à cet environnement, à voir souvent des soldats, à entendre, parmi les civils, des conversations ordinaires, de famille, de travail, d’enfants, de loisirs… D’être entouré par des personnes ne parlant jamais ni de la Force ni de toutes les règles dot il avait été bercé toute son enfance.

Ça avait l’air de rien, comme ça, mais vivre auprès de personnes dont les centres d’intérêts étaient aussi éloignés de ce qu’il avait toujours connu changeait considérablement la vie. Rien que la veille, les personnes avec qui il avait discuté avaient surtout parlé d’un film récent puis des suites attendues, sur le développement des personnages et les avis sur eux. Au temple, lorsqu’on entendait au passage des conversations entre maîtres, ça tournait autour de la situation de telle ou telle planète, d’un coup politique et autres. Même entre élèves, ils parlaient surtout des cours et de leur avenir possible, dans l’Ordre. Jamais de leurs goûts, envies, passions… Surtout pas de leurs passions. Ici, il n’avait pas encore osé exprimer la sienne, mais l’envie montait peu à peu.

Il releva la tête pour observer comment sa professeur traçait, de son côté, la lettre avec laquelle il bataillait encore, puis répéta la manœuvre. Il en confondait encore certaines, même si ça commençait à rentrer. Pour l’alphabet, du moins. L’apprendre par cœur était la première étape, il avait aussi commencé à répéter les syllabes, la prononciation.

"Parles-tu déjà d’autres langues, en-dehors du Basic ? Vous aviez des cours là-dessus, au Temple ?"

"Non, aucune. Peut-être qu’il y avait des cours, plus tard, mais moi, je n’en suivais pas."

Sans doute car le programme était déjà très dense… Ou parce que le Basic était si répandu, sans compter que beaucoup de droïdes pouvaient traduire une multitude de langues, que ce n’était pas vu comme une priorité. Il ne connaissait pas le programme pour ceux ayant dix ou onze ans et ne risquait pas de le connaître, désormais… De toute façon, il y en avait qui devenaient déjà Padawan à onze ans. Bah, ici, de toute façon, les droïdes de traduction ne semblaient pas aussi répandus. Il se demandait pourquoi… Peut-être par crainte qu’ils ne soient détournés pour des fins malhonnêtes, ou simplement car ce n’était pas la même culture.

"Qu’est-ce qu’il y a d’autres, comme cours, ici ? Tout le monde en suit ou c’est seulement pour ceux qui veulent ?"

« Non, aucune. Peut-être qu’il y avait des cours, plus tard, mais moi, je n’en suivais pas. »

« Dommage, c’est un bon moyen d’ouvrir l’esprit. »

Les habitants de l’Espace Inférieur comptaient beaucoup sur les droïdes, dirait-on bien, le petit le confirmait lui aussi, en disant qu’il n’avait pas eu de cours… Enfin, au moins, il allait pouvoir suivre autre chose, désormais, c’était déjà cela de gagné, n’est-ce pas ? Étant donné que le capitaine allait sûrement l’adopter officiellement… Ce qui signifiait, en revanche, que prévoir un programme scolaire allait devoir être fait bien plus vite que prévu. Le commandant avait déjà prévu un moment où accompagner un équipage, vers la Coalition, mais pas avant deux bons mois, lui semblait-il. Se dire qu’on avait bien le temps car aucun des tous petits actuels n’avait encore l’âge d’aller à l’école, c’était oublier les failles. Dans le même temps, elle n’avait pas entendu d’exemples d’autres enfants, passés par là. Il y en avait-il, seulement ? C’était curieux, que surtout des adultes « chutent » à travers les failles.

« Qu’est-ce qu’il y a d’autres, comme cours, ici ? Tout le monde en suit ou c’est seulement pour ceux qui veulent ? »

« Tout le monde en suit, oui, » hocha-t-elle la tête en buvant son verre d’eau. « Certaines sont obligatoires, comme les langues. Ou des formations sur la stratégie, la diplomatie, etc., suivant le grade de chacun et ce qu’on attend de lui. Il y a des cours de pilotage, des entraînements physiques et mentaux tous les jours, des leçons théoriques sur pas mal de sujets et ainsi de suite. Les soldats continuent de se former et s’entraîner tout au long de leurs vies. Les civils en suivent certains, pour ceux qui le veulent. »

Ils étaient, bien évidemment, bien moins nombreux que les militaires. Des épouses ou des maris, principalement, ayant décidé de rester avec leurs conjoints malgré leurs désertions, les ayant rejoint ici. Une majorité d’entre eux avaient fait ce choix par crainte de ne plus jamais revoir leurs proches s’ils restaient en arrière. Sans compter ceux qui auraient directement en danger, avec la menace de représailles, sur leurs planètes respectives. Enfin il y en avait eu quelques uns, qui avaient rencontré leurs conjoints dans la Coalition ou au cours d’autres missions, récemment mariés, qui commençaient à discuter famille. En bref, la vie reprenait ses droits, même au sein d’une base militaire pure et dure.

« Nous avions commencé à discuter des projets d’école, pour les enfants déjà nés ou à naître. Mais on pensait avoir encore beaucoup de temps, » sourit-elle avec amusement, en frottant les cheveux du petit. « Une fois que tu seras bien remis, physiquement parlant, tu pourras suivre des cours adaptés à ton âge. Avec le commandant Simoor, sûrement. Et avec moi, pour quelques autres. Dans tous les cas, ne t’en fais pas trop, personne ne va te demander de partir en guerre dès onze ou douze ans, avec un mentor. Tu es complètement libre de choisir ce que tu as envie de devenir, ici. On ne suit pas les règles de l’Ascendance, pour l’orientation. »

Elle n’était même pas sûre, maintenant qu’elle y songeait, que ces règles avaient été expliquées aux Humains de la base… Sans doute pas. De toute manière, la question ne s’était encore jamais posé, puisque les petits avaient tous moins de deux ou trois ans. Enfin, un des soldats avait récupéré son fils de six ans, avec son épouse, mais le petit garçon apprenait tout juste à lire, il n’était pas encore question de lui parler d’un quelconque métier.

« Tu avais des matières favorites ? »

Ah, tout ça ?! Il écarquilla légèrement les yeux, car jamais il n’avait imaginé que des soldats suivraient autant de trucs différents. Les entraînements, c’était déjà évident, pour lui, par contre, il n’aurait pas pensé à tout le reste. Lorsqu’elle parla d’école, ensuite, il eut un tout petit sourire, gêné, prêt à s’excuser d’avoir bouleversé leurs plans puis s’arrêtant lorsqu’elle lui frotta les cheveux avec un grand sourire. Ce n’était pas un reproche ? Parce qu’il n’avait pas voulu perturber qui que ce soit ou quoi que ce soit, en venant ici, ça s’était juste enchaîné… comme ça. Il se sentirait encore moins à l’aise en retournant tout de suite chez les Jedi, soyons honnête. Y reprendre sa formation comme si de rien n’était, alors que plus rien de ce qu’il avait connu n’existait… Tout en sachant que s’il avait survécu, il aurait dû avoir pas loin de trente-cinq ans, de leurs jours. C’était à la fois son époque aussi et pas la sienne, ça le perturbait.

"Une fois que tu seras bien remis, physiquement parlant, tu pourras suivre des cours adaptés à ton âge. Avec le commandant Simoor, sûrement. Et avec moi, pour quelques autres. Dans tous les cas, ne t’en fais pas trop, personne ne va te demander de partir en guerre dès onze ou douze ans, avec un mentor. Tu es complètement libre de choisir ce que tu as envie de devenir, ici. On ne suit pas les règles de l’Ascendance, pour l’orientation. Tu avais des matières favorites ?"

C’était… Vrai, en plus… Selon ce qu’il avait appris, avec Soontir et grâce à « lui-même », arrivé et reparti auparavant, il serait bel et bien parti en guerre, avec son maître, dès onze ou douze ans. Pour mourir à l’âge de quatorze ans, avec la chute du Temple et le massacre de l’Ordre. Une destinée peu emballante, qu’il avait du mal à encaisser mais soit, au moins, il savait. Il avait du mal à s’avouer qu’il craignait aussi de revenir auprès de l’Ordre à cause de ça, qu’il n’avait pas envie de perdre la vie aussi jeune dans la guerre. Qu’il voulait avoir au minimum quelques années de plus, ne serait-ce que jusqu’à seize ou dix-sept ans, avant de partir combattre. Seize ans, ça lui semblait déjà un âge bien plus raisonnable !

Il finit par réaliser qu’il s’était perdu une minute ou deux dans ces pensées peu réjouissantes et se reprit, pour répondre à sa professeure. La plupart de ses matières favorites étaient communes à celles suivies par les soldats, ici, ironie du sort… Il aimait surtout méditer, travailler sur ses perceptions, son lien avec la Force. Maître Yoda lui avait parfois dit qu’il était doué, avec cela, qu’il devait poursuivre son travail sur cette sensibilité. En soit, le combat n’était pas vraiment… Il ne détestait pas les entraînements au sabre, suivis au Temple depuis tout jeune, mais ce n’était pas sa matière favorite. D’autres voies que le combat existaient.

"J’ignore si c’est possible, mais j’aimerais bien apprendre à soigner les autres. Avec la Force ou sans elle. Pouvoir être… Je ne sais pas… Je n’ai pas envie de foncer en première ligne, je voudrais être un soutien, pour les autres. Mais je ne veux pas blesser des gens."

Ça devait sans doute sembler naïf… Enfin, peu importe. A neuf ans, il ne s’était jamais demandé sérieusement ce qu’il allait devenir, une fois adulte. Tout ce dont il était sûr, c’était qu’il y avait eu des personnes, au temple, qu’il avait eu plus envie d’imiter que d’autres.

Nuru ? Il ne sentait pas bien ? Elle agita légèrement la main devant ses yeux, commençant déjà à s’inquiéter un peu. Il s’était simplement perdu dans ses pensées ou bien avait-il mal quelque part ? Ou était-il épuisé ? C’est vrai qu’il passait déjà beaucoup de temps à lire et étudier, alors qu’il n’était pas encore remis de son long coma, sans compter toutes les révélations choquantes qu’il avait reçu. Le petit finit quand même par se réveiller, en lui disant ce qu’il avait aimé faire, quand il était Temple. Elle lui adressa un sourire attendri, les bras croisés et appuyés contre la table du salon. Quelle drôle d’enfance, tout de même… Elle ne voyait pas très bien ce qu’il voulait dire, en parlant de « perceptions » avec la Force et ce genre de choses. Pour un non-initié, tout ça n’avait pas vraiment de sens, bien qu’elle fasse de son mieux pour comprendre.

« J’ignore si c’est possible, mais j’aimerais bien apprendre à soigner les autres. Avec la Force ou sans elle. Pouvoir être… Je ne sais pas… Je n’ai pas envie de foncer en première ligne, je voudrais être un soutien, pour les autres. Mais je ne veux pas blesser des gens. »

Awn. Elle posa la main devant sa bouche, rapidement, pour cacher son sourire, qu’il n’ait pas l’impression qu’elle se moquait de lui ou quoi ce soit. Il était adorable ! Avec sa petite bouille inquiète, lorsqu’il racontait cela. Les petits de cet âge étaient encore si naïfs et innocents, si mignons. Comment ne pas fondre instantanément ? Elle était contente qu’il ait choisi de rester ici, pensant qu’il sera mieux entouré, affectivement parlant, qu’au temple avec les Jedi. Ici, il pouvait grandir en étant bien entouré, avec des personnes de référence qu’il pouvait considérer comme ses propres parents, suivre des cours sans être interrompu par des missions et avoir un environnement stable. Sans avoir besoin de se battre dès dix ans pour préserver sa vie, il y avait bon nombre de personnes déjà formées et parées à cela. Tant de paramètres dont elle ne pensait pas l’ordre Jedi capable de lui offrir. Du moins, à l’heure actuelle, peut-être que cela changera à l’avenir.

« Bien sûr, que ça sera possible. Ce sont des longues études et il faut beaucoup y travailler, mais il n’y a aucune raison que tu n’y parviennes pas. »

Il avait encore le temps de changer d’avis, bien entendu, il était toujours un enfant. Mais il ne fallait pas briser les rêves, ni leur répéter que ça sera trop dur ou délicat, bien au contraire. En attendant, puisqu’il avait fini ses lignes d’écriture et après tout ce temps à réviser, pour aujourd’hui, il méritait bien un peu de réconfort. Elle reposa livres et matériel dans un coin de la table, puis se leva pour aller leur préparer du chocolat chaud et un petit goûter, pour l’accompagner. Au passage, elle vérifia si Kivua dormait toujours. S’il était désormais dans une drôle de position, il n’avait pas rouvert les yeux pour autant.

« Soontir et Syal vont t’adopter, alors ? C’est pour cela qu’il est parti, pour les papiers ? »

"Bien sûr, que ça sera possible. Ce sont des longues études et il faut beaucoup y travailler, mais il n’y a aucune raison que tu n’y parviennes pas."

Il répondit timidement à son sourire, à la fois content qu’elle l’encourage et soulagé qu’elle ne lui dise pas que c’était idiot ou encore qu’il n’était pas fait pour ça. Il avait vraiment envie de réussir là-dedans ! Les combats, c’était une part importante, dans l’apprentissage au Temple, mais ce n’était pas tout… Il aida à ranger les affaires puis elle se leva, pour aller préparer un goûter. Nuru s’était surtout attendu à devoir partir et fut un peu surpris. Les personnes étaient gentilles, avec lui, ici. Il s’y sentait bien. Il n’y avait pas beaucoup de personnes de son âge, surtout des enfants plus jeunes ou des bébés, mais les adultes étaient attentionnés. Plus qu’au temple, où il régnait une certaine distance, avec les maîtres et chevaliers. Dans une ambiance… Il ne saurait pas qualifier ça. C’était une base militaire, il y avait plein d’endroits où il n’avait pas le droit d’aller, évidemment, mais par contre, il ne se sentait pas oppressé ni en danger.

"Soontir et Syal vont t’adopter, alors ? C’est pour cela qu’il est parti, pour les papiers ?"

"Oui et pour voir un musée, qu’il a dit."

Il la remercia plus vivement pour le chocolat chaud car ça faisait partie de ses boissons chaudes favorites. En plus, au Temple, ils n’en avaient pas souvent ! Leurs mentors et nourrices se concentraient surtout sur une alimentation « saine » et bannissaient ce genre d’aliments, considérés comme peu utiles dans le développement des jeunes novices et Padawans. Pourtant, c’était très bon. Il ne perdit pas de temps à plonger le nez dedans, ravi, surtout après un aussi long cours. Drôle de vie, malgré tout, il n’aurait jamais pu imaginer que les choses prennent une telle tournure. C’était encore… Si… Si… Bizarre… Il avait toujours du mal à croire que c’était réel, que Syal et Soontir lui avaient vraiment demandé ça. Alors qu’ils avaient déjà un bébé, une famille biologique ! Il releva la tête vers madame Vuewima, curieux.

"Ils ont déjà une fille. Une vraie fille, je veux dire, qui est née… Pourquoi personne ne trouve ça bizarre, qu’ils ont voulu m’adopter ? Normalement, les gens qui adoptent, ce sont ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfants biologiques."

Sur Coruscant, un de ses professeurs lui avait raconté comment un couple, travaillant au Temple dans les cuisines, avait adopté un tout jeune orphelin, après qu’il ait perdu ses parents dans un accident de navette. Que ça arrivait régulièrement et dans ces cas-là, on recherchait d’abord si un membre de la famille pouvait prendre chez lui l’enfant ou bien lui trouver des parents ailleurs, si ce n’était pas possible. Que c'était alors des parents qui ne pouvaient pas avoir de bébé, par eux-mêmes.

« Oui et pour voir un musée, qu’il a dit. »

« Un musée ? Lui ? Il a dû en recevoir l’ordre. »

Elle ramena le chocolat sur la table, ravie quand le petit ne perdit pas de temps à le goûter. Il ne devait pas en boire très souvent, avant son arrivée ici, c’est ce qu’elle devait comprendre ? Il faudra qu’elle fasse passer le mot à Syal, elle pouvait avoir besoin de connaître ce genre de petits détails.

« Ils ont déjà une fille. Une vraie fille, je veux dire, qui est née… Pourquoi personne ne trouve ça bizarre, qu’ils ont voulu m’adopter ? Normalement, les gens qui adoptent, ce sont ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfants biologiques. »

« Oh, non, tout dépend des cultures et des mentalités, » lui sourit-elle en buvant à son tour.

Elle avait failli lui répondre qu’il savait pourtant déjà bien comment cela se passait, puis s’en était empêché de justesse en se rappelant qu’il avait grandi dans l’Ordre Jedi et pas avec son peuple natal. Parfois, elle n’y songeait plus, manquant ainsi de commettre quelques bourdes. Elle voulait faire attention, ne pas le blesser ou ne pas lui faire se sentir mal. S’il se sentait moqué ou autre chose, il n’aura plus la même motivation à suivre ces cours avec elle.

« Pour les Humains, oui, ils adoptent souvent lorsqu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants, de ce que j’ai compris, mais ce n’est pas systématique. Regarde le sergent Fredys, par exemple, ils ont adopté leur dernière fille juste avant qu’ils ne désertent, pour venir ici, mais ils avaient déjà eu deux enfants auparavant. Elle était orpheline et ils ont voulu lui donner une meilleure vie. Tu es un orphelin, toi aussi, sans oublier que Syal et Soontir se sont beaucoup attaché à toi. Donc ce n’est pas parce qu’ils ont un enfant biologique qu’ils vont songer à te laisser. D’ailleurs, les connaissant, ils ne doivent faire aucune différence entre toi et leur fille, dans la manière de prendre soin de vous et vous aimer. »

La question ne se posait même pas. Même les personnes connaissant très peu le couple seraient capables de l’affirmer avec certitude. Tant qu’elle y était, tout en touillant son chocolat et en buvant doucement, elle expliqua au petit comment se déroulait le système d’adoption chez son peuple. La manière dont les orphelins étaient pris en charge par les membres de la famille la plus proches, oncles et tantes, grands-parents ou encore, quoi que bien plus rarement, par les frères et sœurs. Ou par d’autres personnes lorsque plus aucun membre de la famille proche n’était encore en vie, dans le même clan. Elle lui parla de la manière dont les adultes, eux aussi, étaient adoptés, pour quelles raisons et les façons de faire. L’adoption d’adulte n’avait, évidemment, pas du tout les mêmes objectifs que celles des enfants et étaient également bien plus nombreuses. Tout un système qui devait sans doute lui paraître complexe, au premier abord, elle en avait bien conscience. Sans même parler des différences de traitement suivant si vous étiez né ou adopté dans votre Clan.

« Les adoptions d’adultes sont principalement faites pour des raisons politiques. La seconde raison la plus courante est économique. Par exemple, un chef d’entreprise, ayant un enfant ne souhaitant pas reprendre l’affaire. Il pourra toujours adopter le conjoint de son fils ou sa fille, afin que son entreprise reste tout de même dans le cercle familial rapproché. C’est très courant, surtout lorsque le gérant a des concurrents très pressants. Sinon, ça se fait pour des questions de prestige, d’honneur ou encore pour amener dans un Clan des compétences très recherchées. »

Il lui semblait que sur le nombre total d’adoptions réalisées, l’année précédente, plus de 90% concernaient des adultes. Elle n’avait plus le chiffre exact en tête, mais ce n’était qu’un détail.

Ah, donc, chez les Humains, ce n’était pas inhabituel, d’adopter même lorsqu’on avait déjà des enfants biologiques ? Il ne l’aurait pas cru mais comprenait mieux, maintenant… Même s’il trouvait toujours ça un peu bizarre ! Mais ce n’était finalement rien en comparaison du système d’adoption de son peuple natal, concernant les enfants comme les… Adultes ? Ils adoptaient aussi les adultes ?! Mais à quoi ça servait ?? Il remit le nez dans son chocolat, boire de longues gorgées, pendant qu’elle expliquait tout ça. C’était quand même, très, heu… Il cherchait le mot… Froid… ? Adopter car ça servait un intérêt, ce n’était pas l’idée qu’il s’en était faite. Pratique, peut-être ! Mais bon… Il associait tellement l’adoption aux seuls orphelins et pour servir un but éducatif et affectif qu’il avait beaucoup de mal à imaginer des grands adopter d’autres personnes tout aussi âgées entrer dans l’équation. Surtout si ça concernait aussi ceux qui avaient pourtant déjà des parents.

"Les adoptions d’adultes sont principalement faites pour des raisons politiques. La seconde raison la plus courante est économique. Par exemple, un chef d’entreprise, ayant un enfant ne souhaitant pas reprendre l’affaire. Il pourra toujours adopter le conjoint de son fils ou sa fille, afin que son entreprise reste tout de même dans le cercle familial rapproché. C’est très courant, surtout lorsque le gérant a des concurrents très pressants. Sinon, ça se fait pour des questions de prestige, d’honneur ou encore pour amener dans un Clan des compétences très recherchées."

C’était froid, oui… Il n’y avait aucun sentiment, là-dedans, c’était, c’était… Ultra-pragmatique. Il fronça un peu le nez, incapable de se dire si c’était bien ou mal, ce genre de systèmes. Comment ça se passait, alors, avec ses premiers parents, si on était adopté par son beau-père, par exemple ? Il avait l’impression, aussi, que les gens, dans ce système, devenaient comme des objets… On les sélectionnait sur un gros catalogue, suivant leurs compétences ou leurs relations, puis on les piochait selon les besoins. Il ne trouvait pas ça correct, encore moins sain. Il se retint de commenter, par contre, on lui avait appris dès tout petit que c’était mal, de faire des réflexions sur les us et coutumes de peuples étrangers, même si on les comprenait pas, tant que ce n’était pas de la barbarie pure et simple.

"C’est, heu… Pratique," répondit-il enfin.

Seule réponse qu’il était parvenu à trouver pour demeurer poli… Pratique, ça l’était ! Moral, par contre, il y avait largement matière à débat ! Il renferma de nouveaux ces réflexions-là au plus profond de son cœur, à double tour avant de jeter la clé, pour adresser un sourire à sa professeure et la remercier de toutes ces explications. Ça lui donnait encore moins envie d’aller visiter l’Ascendance, il n’aimait vraiment pas la mentalité consistant à étiqueter à ce point les gens et les déplacer comme on le ferait avec des pions sur un jeu d’échecs. Il appréciait encore moins ce qu’elle avait expliqué des « grades » au sein d’un même Clan. Impossible de ne pas trouver ça malsain, tant il détestait la compétition à outrance. En soi, la compétition, c’était bien, mais quand ça allait dans des extrêmes pareils, là…

Il avait d’autres questions mais ne se sentait pas prêt pour en recevoir immédiatement la réponse, aussi se contenta-t-il de finir le chocolat, puis de la remercier une nouvelle fois. De toute façon, il devait la revoir dès le lendemain, pour un nouveau cours. Ranger ses affaires, aller laver le bol lui-même, puis repartir tranquillement, l’esprit bien occupé par ce qu’il venait d’apprendre. Immoral, oui, c’était ce qui lui venait en premier quand il y réfléchissait. Même si ça ne se faisait pas, de juger avec le regard d’une autre culture.