Travail d'archives

Les archives étaient toutes situées en sous-sol, protégées dans des espaces clos où la température, l’humidité de l’air et la lumière étaient contrôlées, car une bonne partie desdites archives étaient encore sous format papier. Tout était numérisé, au fur et à mesure, il ne devait rester qu’un tiers encore non fait, le plus fragile, mais cela ne signifiait pas pour autant que les archives originales étaient détruites. L’un des responsables scanna les accréditions, obtenues grâce au soutien de l’amirale, pour pouvoir venir travailler ici. Bien loin de l’agitation des niveaux supérieurs et de la frénésie du quartier général lui-même. Il récupéra les badges, donnant le sien à Thrass, accrochant l’autre sous sa plaque de rang. Il était encore très tôt mais il y avait déjà quelques personnes occupées à faire leurs propres recherches dans les longs rayons, s‘étalant en plusieurs secteurs à perte de vue. Principalement des historiens, accrédités par la Flotte. Dans chaque sous-secteur, des salles de travail étaient installées.

"Vous trouverez les consignes affichées à chaque niveau," indiqua le responsable en terminant de rentrer leurs noms et raisons de venues dans son logiciel. "Lorsque des archives ne sont pas encore numérisées, vous devrez voir avec moi ou un de mes collègues, pour sortir les documents de leurs caissons de protection. Beaucoup sont très fragiles, vous devez alors prendre des vêtements de protection, pour ne rien abîmer. Vous n’êtes pas malade ? Vous avez besoin de masques ?"

"Non, c’est bon."

Ils reçurent également une petite carte d’accès, chacun, avant d’aller s’installer à une des salles de travail. Ce n’était pas la première fois qu’Eli venait ici, il avait dû le faire il y a quelques temps dans le cadre de ses recherches pour le programme. Pour travailler, c’était idéal, quasiment aucun bruit et peu de passage. En revanche, en l’absence de toute fenêtre ou simplement de l’heure, il était très facile de perdre toute notion du temps, si on y prenait pas garde. Du temps… Et de la patience. Il allait en falloir, ici… Il savait combien il fallait se poser, avant de trouver des données dans une masse aussi importante, ça ne pouvait pas se faire du jour au lendemain. Surtout des données concernant une période plus honteuse et qui n’était donc pas mise très en avant. Eli commença par préparer en vitesse quelques squelettes de fichier, comme à son habitude. C’était sa manière de débuter les recherches et s’organiser, ensuite, il trouvait ça plus facile de débuter en ayant une ligne à suivre.

La carte d’accès permit de dévoiler la topographie des lieux et son organisation. Ils disposaient d’une période prioritaire à couvrir, puis de nombreuses, très nombreuses, périodes suivantes à parcourir. Il doutait franchement que tout ait été numérisé, pour ce qui concernait le siècle voulu, c’était si vieux qu’il devait être compliqué de numériser les documents sans risquer de les endommager au passage. Sans compter qu’ils devront en plus se soucier des idiomes, symboles et expressions changeantes, par rapport à leur temps. Il commença par parcourir les dossiers sans chercher aussitôt à aller dans le détail, pour se familiariser avec la manière dont le tout était classé et s’y retrouver. Trouver la logique derrière, également, histoire de ne pas perdre de temps. Les informations archivées n’étaient pas triées par « sujets » en premier lieu mais par mondes. Dix sur l’époque les intéressant tout d’abord.

"Copero a donc été la sixième planète colonisée," murmura-t-il, en veillant à ne pas faire trop de bruit, comme dans une bibliothèque classique. "Parfait. Le mieux est de commencer à relever des informations « en gros », si vous voulez. A quoi ressemblait la planète, quels clans l’habitaient, leur style de vie, etc. La connaître dans les grandes lignes, avant de recentrer, peu à peu, sur chacun des sujets. C’est valable pour tous les autres mondes de cette époque. Les notes doivent être prises suivant ce schéma. Vous avez déjà mené ce genre de recherches ?"

On dirait un bunker. D’ailleurs, s’en était un. Placé en plein cœur du quartier général de Naporar, sous le bâtiment administratif principal, ainsi que la bibliothèque de l’armée. Ils avaient face à eux de très longues séries, s’enfonçant à perte de vue, d’armoires hautes en fer, perpendiculaires les unes aux autres, séparées par de longs couloirs de passage parfaitement droits. Des cloisons venaient régulièrement briser la monotonie du décor, séparant les archives en différents secteurs, ainsi que des espaces de travail. Eli se chargeait des dernières formalités et de la récupération des badges d’identification et cartes d’accès, à l’accueil du service. Il était encore très tôt… Il était arrivé la veille au soir, rejoignant le jeune soldat devant le quartier général, tout à l’heure. Il n’avisa que quelques personnes déjà au travail, en civil eux aussi. Des chercheurs de la bibliothèque nationale, peut-être, d’après l’écusson sur leurs épaules.

Il culpabilisait toujours… De laisser Lorana seule, durant ce temps, avec leur fille et les jumeaux à peine nés, pour venir ici. Ils en avaient longuement parlé et même si elle, de son côté, trouvait normal de profiter de l’occasion, rappelant qu’ils n’en auront sans doute pas d’autre, ils s’en voulait malgré tout. Elle venait tout juste d’accoucher, la fatigue était immense, surtout avec des jumeaux. Pour l’heure, néanmoins, il ferait mieux de se concentrer sur ce qu’il avait à faire ici. Récupérant le badge qu’Eli lui tendit avec la carte, puis écoutant les consignes, il secoua simplement la tête pour refuser le masque, n’étant pas malade non plus. S’installer, ensuite, se brancher au réseau local grâce à la carte… Ils avaient une date sûre, celle du massacre, le 4 du mois Nelona, en -5022, inscrite sur toutes les tombes. Ainsi qu’un nom, celui du lieutenant Rers'eni'nith, donné par Rhonn.

Les archives des Stybla ne mentionnaient aucune guerre civile, à cette période, quand bien même ils étaient désormais sûrs qu’elle avait eu lieu. Cela dit, les archives militaires étaient plus complètes, selon la Famille. Eli avait déjà préparé plusieurs squelettes de fichiers, pour les notes, qu’il lui passa dans la foulée. Rapide ! Dix en tout, pour chacune des dix planètes appartenant à l’Ascendance à l’époque. La population de Csilla, à l’époque, était conséquente, bien plus que sur les autres mondes, uniquement pourvus de petites colonies. Tout cela se passait avant l’ère glaciaire ayant frappé la planète, le monde était alors bien plus riche et diversifié, pourvu de grands océans. Ces derniers reprenaient place, en ce moment même. « Merci » à Plagueis, pour ça…

"Copero a donc été la sixième planète colonisée. Parfait. Le mieux est de commencer à relever des informations « en gros », si vous voulez. A quoi ressemblait la planète, quels clans l’habitaient, leur style de vie, etc. La connaître dans les grandes lignes, avant de recentrer, peu à peu, sur chacun des sujets. C’est valable pour tous les autres mondes de cette époque. Les notes doivent être prises suivant ce schéma. Vous avez déjà mené ce genre de recherches ?"

"Oui, souvent pour mon métier ou des sujets plus personnels, bien que je n’avais pas une méthode comme la vôtre."

Appliquer celle-ci plutôt que la sienne ne le dérangeait pas le monde du moins, sachant que le lieutenant était doué dans le domaine et donc que sa méthode de travail devait en valoir bien plus la peine. En commençant à parcourir les infos, il ne put retenir un léger soupir, face à l’image de Csilla, vu depuis l’espace, puis plus proche. Les œuvres d’art datant de cette époque ne rendaient pas tellement justice à la planète. Une planète avec des teintes bleutées, grâce à ses quatre océans, où ressortaient en douceur les continents. Il secoua un peu la tête, espérant simplement qu’à force de temps, cette situation puisse revenir, puis se mit au travail. Le silence retomba rapidement, chacun plongé dans son travail, selon ce qu’ils s’étaient répartis comme tâches. A se replonger ainsi dans la situation globale de l’Ascendance durant l’ère Eda, il avait le sentiment de revivre ses cours d’Histoire, du collège.

Le vaste chantier spatial en orbite de Copero n’existait pas encore, en revanche, la planète était légèrement plus peuplée qu’elle ne l’était aujourd’hui. Il agrandit un maximum les documents numérisés sous ses yeux, manuscrits, pour déchiffrer la liste des clans présents sur Copero à cette période. Principalement des petites Familles et contrairement à ce que Rhonn avait affirmé il y a un moment, les Nith étaient loin d’être un Clan « mineur » de l’époque. Il s’agissait au contraire du plus important de la planète et faisait même parti des plus gros de l’Ascendance, bien qu’il n’approche évidemment pas de l‘importance et la puissance des Stybla, à ce moment-là. Cela dit, en taille et visiblement en pouvoir, ils rivalisait sans aucune peine avec d’autres clans anciens, dont certains allaient devenir les futures Familles Régnantes. Deux d’entre elles l’étaient encore aujourd’hui, par ailleurs.

"Burr'hon'nith avait lourdement minimisé l’importance de son Clan à cette époque," murmura-t-il en relevant brièvement le regard vers Eli, avant de le reporter sur les documents. "De ce que je lis dans tout cela, ce Clan possédait assez d’atouts pour tenir la comparaison face à d’autres d’importance. En revanche, il ressort clairement qu’il était mis un maximum au ban de la société, pourtant… On peut presque dire qu’il vivait en autarcie, comme une puissance étrangère se confrontant ouvertement au reste de l’Ascendance."

Plus ça allait, plus il comprenait les raisons de la guerre civile. L’Ascendance risquait bel et bien de se déchirer pour de bon, dans une situation pareille, voire de perdre Copero au passage. Tout ce qu’il lisait à présent témoignait d’une montée des tensions et des violences, le point de non-retour avait déjà été franchi allègrement, bien avant l’année -5022.

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Dés : Recherches, 3

"Oui, souvent pour mon métier ou des sujets plus personnels, bien que je n’avais pas une méthode comme la vôtre."

"Rien ne vous empêche de conserver la vôtre, si vous préférez."

Tant que ça l’aidait à progresser, peu importe la méthode, il proposait mais n’imposait jamais. Bien vite, seul le silence régna dans la salle, parfois entrecoupé de bruits de pas plus ou moins lointains, d’une toux légère ou du grincement éloigné d’une des étagères, ouverte trop peu souvent. Eli commença, avant toute chose, à compiler les informations sur cette époque du point de vue de l’armée de cette époque. Bien différente de celle actuelle, soumise aux ordres de l’unique Clan en charge, encore profondément mêlée aux affaires civiles et politiques. Tout cela couplé à ce qu’ils avaient découvert dans divers musées, chez les cousins de Rhonn ou sur Naporar, aidait à constituer une bonne image de ce que l’organisation représentait à ce moment-là. Seuls les grades étaient identiques. Le recrutement, les formations, le fonctionnement général et les missions effectuées différaient grandement.

Selon ce qu’il trouva au début des recherches, le quartier général ne se trouvait pas sur Naporar mais sur Csilla. Ce n’est qu’après la refondation complète de la Flotte Chiss, des années après le massacre et lorsque le Conseil des Familles avait été créé, que le quartier général actuel avait été bâti. Logique et attendu. Il commença par s’intéresser, plus précisément, au fonctionnement de cette ancienne armée, son commandement et les missions qui lui étaient allouées. Tout cela influençait fortement leurs liens avec la société civile… Certains documents étaient difficiles à déchiffrer, abîmés par le temps, les outils numériques n’aidaient pas toujours à améliorer leur qualité. Une expression revenait très souvent, à la fin de nombreux rapports militaires… Impossible encore de déterminer à quelle correspondait. Il la mis sur son carnet de notes, papier, pensant que ses collègues arriveront sans doute à l’expliquer.

"Burr'hon'nith avait lourdement minimisé l’importance de son Clan à cette époque. De ce que je lis dans tout cela, ce Clan possédait assez d’atouts pour tenir la comparaison face à d’autres d’importance. En revanche, il ressort clairement qu’il était mis un maximum au ban de la société, pourtant… On peut presque dire qu’il vivait en autarcie, comme une puissance étrangère se confrontant ouvertement au reste de l’Ascendance."

"D’accord… Rien que cette situation peut expliquer la guerre civile, s’il y avait un tel risque de fracture. Surtout dans une époque où la balance des pouvoirs était aussi déséquilibrée."

Une situation politique et militaire explosive, des pouvoirs inconnus et effrayants, un clan détesté faisant sécession et confronté sans cesse aux autres, la possibilité d’une déchirure nette de l’Ascendance à grande échelle, ça n’aurait pas pu bien se terminer. Le silence revint, alors que chacun s’enfonçait dans ses recherches. Eli recherchait en priorité l’organigramme officiel de l’armée à cette époque, ainsi que les rôles, missions et devoirs associés à chaque grade. Il en avait besoin pour déterminer la position de leur homme, à ce moment-là… Il finit par mettre la main dessus, au bout d’une heure supplémentaire, noyé dans des documents n’ayant pourtant pas grand-chose à voir. L’armée ne facilitait guère les choses, bien entendu, sur cette douce période… Une fois ça en main, il put en déterminer les mots-clés et les codes à utiliser, pour approfondir et dénicher enfin des premiers noms. Là encore, tout était très bien enfoui.

C’était un jeu de piste, chaque petit morceau éclairait une nouvelle partie du chemin. Mais même les archives les plus mal fichues ou celles ayant été rendues alambiquées exprès pouvaient être décortiquées, avec assez de patience. Il savait comment trouver les noms, restait à accéder aux dossiers militaires. Pas une partie de plaisir en approche. Une nouvelle heure, passa, puis une seconde… Il fouillait de plus en plus loin, suivant un mince fil rouge, pour déterrer le dossier de celui qui l’intéressait. Il s’était écoulé il ne savait combien de temps en tout lorsqu’il finit enfin par mettre la main dessus et l’ouvrit sur son écran. Une photo très formelle, visiblement prise par l’armée, de leur homme. A côté, son nom, Rers'eni'nith, son grade, lieutenant, accompagné de la mention majuscule « DÉSERTEUR ». Il avait donc quarante-sept ans, au moment de sa mort.

"Eh bah…" marmonna-t-il en faisant un léger signe à Thrass, pour qu’il puisse venir voir ça. "Il est passé huit fois au tribunal militaire pour insubordination et avait perdu plusieurs postes à cause de ça. En plus de plusieurs passages dans une prison militaire…. Il a aussi été dégradé trois fois. Il était cantonné sur une petite colonie de Svarchi, peu de temps avant sa désertion."

Les remarques cinglantes annotées dans le dossier par le supérieur de ce type ne laissaient pas planer de doute sur le caractère de cet homme. Il avait milité longtemps pour faire cesser les sanctions contre son clan puis face au manque de résultats, avait fini par rejoindre ceux répondant à la violence par la violence. Ce qui lui avait coûté son poste au commandement du dernier vaisseau où il avait servi. Il était décrit comme ayant un caractère « raide », peu discipliné, « téméraire ». Apparemment, sa hiérarchie était prête à le faire enfermer pour de bon, avant qu’il ne s’enfuit sur Copero, en entraînant d’autres avec lui… Et très peu de temps avant l’attaque.

"Fouiller son dossier va aider à le cerner et trouver comme l’apaiser, en combinaison avec ce que vous dénichez sur son Clan et la mentalité de l’époque. C’était vraiment une tête de… Enfin bref. Le calmer n’aura rien de simple."

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Recherches dans les archives, 3

"D’accord… Rien que cette situation peut expliquer la guerre civile, s’il y avait un tel risque de fracture. Surtout dans une époque où la balance des pouvoirs était aussi déséquilibrée."

C’est certain… Il hocha faiblement la tête, avant de se replonger dans ses recherches. La société civile de l’époque possédait un aspect troublant, au premier abord, ne serait-ce que parce que le modèle social des clans ne ressemblait en rien à ce qu’ils connaissaient aujourd’hui. Par exemple, le système d’adoption n’existait que pour les enfants orphelins, rien n’était encore prévu pour les adultes. On faisait partie de tel ou tel clan par la naissance ou par le mariage, rien d’autre. Lors des unions, les époux devaient décider s’ils appartiendront au clan du mari ou celui de sa femme, puis il n’était plus question d’en changer. Il n’y avait pas non plus moyen de renvoyer qui que ce soit de son clan, étant donné qu’il n’y avait aucun système d’adoption au mérite, on s’y trouvait pour la vie. Même en cas de divorce, ce qui le surprit assez, cette information ne s’étant pas trouvée, de mémoire, dans ses cours d’Histoire.

Ce système-là était d’ailleurs souvent décrié et pas seulement à l’école, lorsqu’une conversation arrivait sur ce sujet. Les adoptions d’adulte permettaient une liberté bien plus grande, pour le mouvement des compétences et des alliances entre Familles, apportant avec elles un jeu permanent d’influence fluctuante. De quoi assainir la société et faire évoluer les rapports de force, ainsi que les liens entre les clans. Dans l’ancien système, figé, il y avait certes pas mal d’avantages par rapport aux leurs, mais les inconvénients n’étaient pas négligeables. Cette manière « d’enfermer » les individus dans un seul Clan renforçait le côté communautaire à un point terrible et donc, avec lui, le sentiment de rejet, dès lors qu’une des Familles se retrouvait mise à l’écart. La période Eda était un exemple criant des dérives engendrées par ce système… Il notait les informations essentielles peu à peu, ajoutant parfois, dans les coins, des détails ici et là.

Il s’était écoulé il ne savait combien de temps lorsqu’Eli l’interpella et lui fit signe de venir voir. Thrass contourna la table pour allers ‘asseoir à côté de lui, découvrant sur l’écran le nom et le visage de leur fameux fantôme. Doué, pour l’avoir trouvé aussi vite ! Leur homme avait des traits plutôt communs mais un air visiblement tendu. Le découvrir ainsi procurait une sensation très étrange, sachant ce qu’il était aujourd’hui. Quant à son dossier militaire… Thrass siffla très légèrement, une grimace aux lèvres. Rebelle, militant, téméraire, avec des méthodes douteuses, ayant parfois répondu à la violence par la violence, insubordination à tout va, pour terminer en déserteur. Pas la peine de se demander pourquoi il avait été incapable de se fondre en paix dans la mort, celui-là ! En étant autant dévoré par la colère…

"Fouiller son dossier va aider à le cerner et trouver comme l’apaiser, en combinaison avec ce que vous dénichez sur son Clan et la mentalité de l’époque. C’était vraiment une tête de… Enfin bref. Le calmer n’aura rien de simple."

"Le premier problème sera surtout de l’engager à accepter une discussion," répondit-il en secouant légèrement la tête. "A cette époque, l’appartenance à un Clan se faisait uniquement par les naissances ou le mariage, aucun autre échange n’était réalisable. Le sentiment communautaire était considérablement plus fort qu’aujourd’hui. De nos jours, le peuple dans son ensemble passe devant le Clan et la Famille, quoi qu’il arrive. Pour eux, l’Ascendance n’était qu’un moyen de se préserver des ennuis du Chaos mais ne représentait pas un bloc unique à défendre, passant devant tout le reste. De fait, pour cet homme, ça ne servira à rien de lui parler du bien de l’Ascendance, il n’a pas grandit avec cette idée. Mais peut-être qu’en commençant par lui parler des siens puis de la manière de les faire revivre, en quelque sorte… Ne serait-ce que leur mémoire, à travers ceux voulant et pouvant s’entraîner à la Force."

Il trouvait difficile de réfléchir à la situation en adoptant le point de vue sociétal de l’époque, tant il était en totale opposition avec ce qu’il avait toujours connu et ce qu’il continuait de vivre de leurs jours. Et pourtant, se permettre de juger une époque si éloignée avec leurs valeurs actuelles serait une erreur grossière. Thrass plaignait d’avance le malheureux qui viendrait des failles directement de l’Ère Eda, s’adapter à leur temps lui torturerait l’esprit.

"On a une certaine chance, car on sait qu’il ne s’attaque pas aux femmes, malgré tout. Lorana peut apprendre à le voir et lui parler, elle est bien plus avancée que moi, dans l’apprentissage de ces dons. A force de creuser, on aura assez d’éléments pour déterminer quels sujets pourront le plus aider, oui. Il nous faut aussi interroger Rhonn, s’il accepte d’en discuter, avec son mentor."

Naissance, mariage et c’est tout ? C’était le système opposé à ce qui existait de leurs jours ? Il écouta attentivement Thrass lui détailler ce passif, comprenant mieux pourquoi ça avait pu en arriver là, avec ce type, tout à coup. Dans de telles conditions, il ne pouvait qu’encore moins écouter les ordres et recommandations de l’armée. Si la défense des siens passait bien avant une union plus globale… Effectivement, ils n’allaient pas pouvoir utiliser les mêmes leviers qu’aujourd’hui… Voilà qui promettait ! Il grimaça légèrement, en se frottant les yeux, puis hocha faiblement la tête à la suggestion du politicien. Pourquoi pas, oui, il y avait une chance que ça fonctionne. En revanche, s’ils partaient sur ce chemin, ils devront redoubler de prudence. C’est bien le genre d’affaires pouvant très vite leur exploser en pleine figure, s’ils ne prenaient pas assez de précautions, ces derniers temps.

"On a une certaine chance, car on sait qu’il ne s’attaque pas aux femmes, malgré tout. Lorana peut apprendre à le voir et lui parler, elle est bien plus avancée que moi, dans l’apprentissage de ces dons. A force de creuser, on aura assez d’éléments pour déterminer quels sujets pourront le plus aider, oui. Il nous faut aussi interroger Rhonn, s’il accepte d’en discuter, avec son mentor."

Pourquoi ne s’en prenait-il pas aux femmes, d’ailleurs, il n’y en avait pas dans l’armée à cette ép… Ah, si, pourtant, c’était déjà le cas. Un rapide coup d’œil vers les documents toujours affichés sous son nez lui permit de le confirmer. Bizarre, si c’était simplement un trait de caractère que ce type possédait de son vivant, comment cela avait-il pu lui survivre, en se retrouvant dans un état pareil ? Bien que ça les arrange, Eli aimerait bien comprendre pourquoi. Ils reprirent chacun leurs recherches, retrouvant le silence durant un long moment. Au fur et à mesure, il parvenait à se faire une idée précise du fonctionnement de la Flotte de l’époque, interne comme externe, ainsi que ses liens avec le reste de la population. L’âge pour devenir novice était légèrement plus élevé qu’aujourd’hui, de deux ans, mais la formation était similaire, à quelques détails près. Plus condensée, cela dit, sans doute trop, ça devait être pour cela que l’âge avait été ramené à treize ans.

Rers'eni'nith avait eu un début de carrière prometteur, de ce qu’il en lisait… Malgré son caractère jugé peu en raccord avec les principes de la Flotte. Mais plus la situation avec son Clan s’était dégradée, plus la sienne avait suivi. Eli parcourait et notait tous les petits détails, même ce qui semblait infime, pour mieux le cerner. Il ne stoppa que lorsqu’il fut temps, avec Thrass, de s’accorder une brève pause, déjeuner, avant de se remettre au travail. Téméraire était le mot revenant le plus souvent, pour le décrire, ce gars avait été du genre à foncer droit devant sans se soucier de sa propre sécurité. Ça lui rappelait quelqu’un, tout à coup… A force de fouiner, Eli mit enfin la main sur les noms des personnes l’ayant suivi dans sa désertion. L’adjudant Fis’esno’ri, tout d’abord. Un homme jugé comme « sans histoires », pourtant, avant qu’il ne suive le lieutenant dans la désertion. Son dossier était quasiment vide, malheureusement.

Le suivant était le major Van’ace’syz. Non sensible à la Force, comme l’adjudant d’ailleurs. Mais militant de la première heure, alors que la menace d’une guerre civile planait déjà. Il avait lutté longuement pour qu’une réforme profonde de la société soit menée, afin d’unir les Clans, mettre fin à ces oppositions. Si ce combat avait fini par porter ses fruits, la preuve de leurs jours, il avait d’abord fallu un lourd massacre… Cela dit, ça pouvait les aider. Ce type était un proche de leur fantôme énervé. Appuyer sur la réussite de son combat, le changement profond subit par l’Ascendance, pouvait peut-être aider ? A voir, il faudra d’abord en discuter avec Rhonn et son… Professeur, disons. Il parcourt ensuite le dossier du dernier déserteur, le sous-lieutenant Ros’ano’det. Camarade de promotion de Rers'eni'nith, ami proche, lui aussi militant. Dont le casier militaire était tout autant chargé que celui de son supérieur…

"L’Ascendance avait plus de contacts et liens extérieurs qu’aujourd’hui. C’est après cette période que la nation s’est repliée sur elle-même ? Ou plus tard ? Et pourquoi ?"

S’enfoncer dans le méandre des archives, pour beaucoup parfaitement noyées dans le flot et difficiles à déchiffrer, permettait de réaliser qu’il manquait des pans entiers de leur Histoire, par rapport à ce qui était enseigné sur le temps scolaire. Bien que ça soit prévisible, il ne pouvait s’empêcher d’en être un peu agacé. Le temps s’écoulait en silence, ils firent une petite pause pour déjeuner puis se replongèrent dans ce marasme. Il avait fini par mettre au clair les règles exactes des changements de clan, à cette époque, en recoupant avec celles du mariage. Ainsi que les hiérarchies sociales, les règles et convenances, sur ce qui concernait les relations amicales ou professionnelles entre les différents clans. Le plus important étant, à ses yeux, les formules de politesse et les gestes allant avec, car ça sera peut-être ça qui aidera à démarrer la conversation.

"L’Ascendance avait plus de contacts et liens extérieurs qu’aujourd’hui. C’est après cette période que la nation s’est repliée sur elle-même ? Ou plus tard ? Et pourquoi ?"

"Non, ça date d’il y a deux millénaires seulement. C’était plus une question de pragmatisme. Les routes étaient encore moins certaines qu’aujourd’hui et surtout, il existait plus de nations très agressives, proches de l’Ascendance, bien organisées et efficaces dans leurs attaques. Les bâtiments de commerce étaient souvent attaqués. Pour parer à ça, le trafic a peu à peu été diminué, puis d’autres moyens ont été mis en place. La Flotte s’est de plus en plus chargée des échanges restants, mais en faisant cela, les relations se sont distendues. A force de temps et d’ajustements, notre peuple s’est renfermé. Pour une meilleure défense globale et la protection des frontières, tout simplement. Le processus a pris du temps, une décennie ou deux, si je me souviens bien de mes cours. L’acquisition de nouvelles colonies et donc de nouvelles ressources a également aidé le phénomène."

Les siècles passant avaient installé cette mentalité fortement dans les esprits et voilà où ils en étaient aujourd’hui. Le côté pratique l’avait tout simplement emporté, comme toujours. Au regard de l’Histoire complète de leur peuple, le renfermement sur soi-même était « récent ». C’était une voie que bon nombre de peuples, dans le Chaos, avaient suivi aussi. Se replier, c’était mieux se protéger, on ne pouvait faire confiance à personne, dans leurs secteurs. Pour autant, grâce à la Flotte, certains échanges ou commerces perduraient, dans le Chaos comme dans l’Espace Sauvage, même si chez ces derniers, ce n’était qu’anecdotique.

"Les histoires ou légendes que vous avez pu entendre sur nous, enfant, viennent de ces périodes," sourit-il légèrement. "Je suis assez surpris qu’elles aient perduré, d’ailleurs, car depuis, commerçants ou militaires n’ont dû se rendre dans l’Espace Sauvage qu’à de très rares occasions. J’ignore ce que nos ancêtres y ont fait, pour y avoir laissé une réputation pareille. Surtout qui soit restée aussi longtemps."

Ils avaient déjà, globalement, une sale réputation dans le Chaos, ce qui s’expliquait facilement, soit. Mais dans l’Espace Sauvage, où on ne trouvait ni peuples aussi agressifs ni problèmes comme ici, pourquoi y avaient-ils aussi laissé des légendes pareilles… ? Ce passé trouble s’étendait énormément. Il secoua un peu la tête, replongeant dans ses recherches. Peut-être pourra-t-il découvrir quelque chose par rapport à ce sujet-là… Au bout d’un moment, en parcourant les listes des opérations extérieures, il finit par dénicher celles touchant la région concernée. Puis en grattant, trouva une opération pouvant avoir été à la source de ces légendes. Ou au moins en partie. Il y a un peu plus de deux millénaires, une colonie, composée d’Humains, avait tenté et raté une attaque contre Csilla. Ils s’étaient enfuis mais la Flotte les avait traqué jusque dans l’Espace Sauvage, pour y mener une répression sanglante.

La planète où s’était passé ce massacre était proche de Lysatra… Il montra cette affaire à Eli, pour voir si cela convoquait des souvenirs ou non. Il y avait d’autres histoires du même genre, certes, rares et plus éloignées, mais le tout pouvait alimenter ces fameuses légendes. Au fond, ces histoires n’étaient pas tant exagérées. Il semblait que Lysatra avait été visitée, à l’époque, par leur peuple, cependant, aucun combat n’y avait été mené. Mais les nouvelles allaient vite, dans ces régions, grâce aux commerçants et même aux pirates.

"Comme quoi, toutes les légendes ont un fond de vérité," dit-il en remettant l’écran en place, face à lui. "La première fois que vous avez vu Thrawn, vous avez pensé que c’était un guerrier dangereux et sanguinaire ?"

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Jet : 2

Oh, c’était moins vieux que ce qu’il avait cru. Enfin, c’était relatif, à leur échelle de vie, ça représentait quand même un sacré fossé. Donc la « fermeture » progressive s’était faite pour mieux protéger les populations et parce que le développement de l’Ascendance avait amené, peu à peu, à l’au-suffisance alimentaire. Logique, en effet, surtout dans le Chaos. Il hocha doucement la tête, tout en grignotant pensivement un bout de son crayon. C’était toujours difficile d’imaginer ce qu’était la vie, à une époque si lointaine. Surtout dans son cas, étant donné qu’il en découvrait encore sur la vie bien actuelle. On ne s’intégrait pas si facilement à un autre peuple, après tout, il en découvrait chaque jour. Thrass ajouta que les légendes qu’il avait connu dataient de ces périodes, bien que ça soit surprenant que ça ait perduré. Il trouvait ? Les mythes et légendes, ça ne s’oubliait pas si aisément.

Il replongea la tête dans ses études, continuant de noter au fur et à mesure. Bientôt, les notes s’accumulèrent tant qu’il fut contraint de faire une pause, pour un nouveau tri et mettre cela au propre. Au milieu de ce travail, son confrère lui annonça tout à coup qu’il avait trouvé. Enfin, trouvé une des raisons les plus probables. Après un attaque ratée contre la capitale, les Chiss auraient traqué et poursuivi les agresseurs jusqu’en dehors du Chaos, dans l’Espace Sauvage, pour se venger. La répression avait été si sanglante que toute la colonie avait entièrement disparu. Il tiqua sur le nom de la planète, la connaissant bien pour y avoir accompagné ses parents, parfois, y faire du commerce. Il n’y avait effectivement plus aucun Humain, sur place et ce depuis « des siècles », selon les locaux. Des siècles… Plus de deux millénaires, donc. Eh ben…

"Comme quoi, toutes les légendes ont un fond de vérité. La première fois que vous avez vu Thrawn, vous avez pensé que c’était un guerrier dangereux et sanguinaire ?"

"Bien sûr que n…"

Enfin… Il se sentit rougir, bien malgré lui, jusqu’à la racine des cheveux, gardant les yeux rivés vers son écran. Ça va, hein, ça n’avait pas duré si longtemps que ça ! Au début, oui, forcément, il s’était méfié ! Puis comme il avait jeté avec lui dans sa cellule pour lui « apprendre » le Basic, une belle blague, ça encore, ils avaient dû discuter et donc… C’était comme ça qu’il avait fini par peu à peu changer de point de vue, même s’il lui avait fallut du temps pour lui faire entièrement confiance.

"Il n’avait pas aidé non plus, après ce qu’il avait fait sur sa planète d’exil," reprit-il en essayant de faire passer la gêne. "Donc… Un peu, oui. Et puis, imaginez un peu la situation, on racontait ce genre d’histoires pour nous faire peur, quand on était gamin, pour qu’on ne reste pas à traîner dehors le soir, si on était trop jeunes. D’un coup, des années plus tard, je me retrouve nez à nez sur lui et en plus, mes chefs me faisaient jouer les traducteurs. Je n’avais que vingt ans et c’était aussi un de mes premiers voyages en étant cadet."

Il haussa un peu les épaules, préférant passer vite sur ce sujet. C’était aussi de sa faute, c’est lui qui avait lâché au capitaine qu’il savait parler le Sy Bisti puis qui avait avoué qu’il reconnaît l’espèce à laquelle appartenait le mystérieux combattant de la jungle. A partir de là…

Bien sûr que oui, donc ? Thrass glissa doucement la main devant sa bouche, pour cacher son sourire amusé, en le voyant autant rougir, après avoir bafouillé. Il imaginait bien ce qu’il avait dû ressentir, le pauvre, sur le moment. Bien qu’il était certain que son frère n’avait pas cherché un seul instant à se montrer comme un sauvage avide de sang. Au contraire, il avait certainement dû se montrer calme et poli, pour mieux étudier le jeune homme face à lui. Et Eli était tellement expressif… S’en rendait-il compte ? A tout instant, on pouvait lire en lui grâce à ses postures ou expressions, il ne savait jamais cacher ses humeurs ou états d’âme. Même sa femme n’avait pas autant de mal que lui à cacher le tout, c’était dire.

"Il n’avait pas aidé non plus, après ce qu’il avait fait sur sa planète d’exil. Donc… Un peu, oui. Et puis, imaginez un peu la situation, on racontait ce genre d’histoires pour nous faire peur, quand on était gamin, pour qu’on ne reste pas à traîner dehors le soir, si on était trop jeunes. D’un coup, des années plus tard, je me retrouve nez à nez sur lui et en plus, mes chefs me faisaient jouer les traducteurs. Je n’avais que vingt ans et c’était aussi un de mes premiers voyages en étant cadet."

"Ah, donc notre peuple sert d’épouvantail pour les jeunes enfants, là-bas."

Il ne savait pas trop si ça devait être flatteur ou vexant… Un peu des deux ? Enfin, après ce qu’ils venaient de lire, ça ne devrait pas le surprendre. Il ne creusa pas le sujet, Eli était déjà assez rouge comme ça, le pauvre. Plutôt poursuivre les recherches et agrandir plus encore la masse de notes déjà conséquentes. Ils y passèrent tout le restant de l’après-midi et une partie de la soirée, échangeant parfois sur certains points, avant de devoir quitter les archives, à l’heure de fermeture. Ils devront sans doute revenir le lendemain, pour compléter leur affaire, jusqu’à avoir assez d’éléments pour construire un plan d’approche assez solide et viable. Il salua Eli tranquillement, au sortir du quartier général, en lui donnant rendez-vous le lendemain matin, à la même heure. Pour sa part, il se dépêcha de rentrer, pour pouvoir appeler sa femme et voir les petits, en visio.