Manœuvres communes

Il y avait les fortes têtes dont elle se méfiait comme de la peste et ne souhaitait pas avoir affaire à elles, à cause de leurs sautes d’humeurs intempestives et leurs comportements imprévisibles, comme le général Skywalker, puis les têtes brûlées dont on pouvait faire quelque chose, malgré leurs comportements parfois tout aussi douteux, comme le capitaine Fel. Pour cette fois, deux choses, plus précisément. D’une part, une affaire de manœuvres communes avec l’Ascendance Chiss, idée ramenée par ledit capitaine et qui avait pu être acceptée et mise en place, suite à de longs échanges avec leurs voisins, d’autre part, l’idée du général Skywalker sur la manière de « faire la main » au capitaine. Faro désapprouvait formellement l’idée de le jeter comme ça en conditions réelles, pensant qu’il serait plus judicieux de profiter de ces fameuses manœuvres pour le mettre en condition. Particulièrement en voyant l’état de stress de l’intéressé face à cette question.

Une tension qu’elle comprenait. Plus ou moins. Moins que plus, pour être tout à fait honnête, car à ses yeux, il semblait évident que pour surmonter les obstacles et la peur, s’impliquer autant qu’on le pouvait demeurait le plus sûr des moyens. Dans un environnement maîtrisé, ceci dit, pour les premières fois. Le général était si impatient, comme toujours… Bien que lui ait toujours foncé dans le tas sans réfléchir, ça ne voulait pas dire pour autant que la méthode était bonne à appliquer pour tous. Du moins, pas pour ceux ayant besoin de plus de temps pour avancer, ça serait contre-productif. Elle releva les yeux sur son interlocuteur, après avoir terminé la lecture du rapport, concernant les derniers détails pour la mise en place de ses manœuvres. Ils se trouvaient dans son bureau, sur le destroyer Orion, dont elle se chargeait actuellement de l’inspection et supervisait les dernières réparations et changements prévus.

Le second destroyer, Sirius, était prêt depuis déjà longtemps, n’ayant pas subi de lourds dommages lors de la dernière mission, contrairement à ce vaisseau. Les deux allaient être impliqués dans ces manœuvres. Bien sûr, ce ne sera pas l’ensemble des FID qui y participera. Une part étant stationnée dans l’Espace Sauvage, l’autre patrouillant dans les Régions Inconnues. Le but n’était pas seulement d’apprendre à mieux coopérer avec leurs alliés en cas de besoin mais aussi et surtout à mieux former leurs recrues les moins expérimentée à ce type de grands combats. En plus de leur apprendre à s’adapter rapidement à des situations étranges ou imprévues.

« Très bien, » reprit-il en posant le pad sur son bureau. « Le programme de ces manœuvres a été orienté afin d’être principalement formateur, pour chacune des deux parties engagées. Étant donné votre manière personnelle de nouer des liens avec les membres de la base des deux espèces, vous aurez en charge de préparer une manœuvre aux commandes d’un croiseur léger, avec un équipage mixte. Cependant, avant toute chose, je devais vous parler d’un point important. La confiance est de rigueur, avec nos hommes. Mais il y a-t-il une raison de penser que des membres de l’Ascendance puissent profiter de cette situation pour tenter à nouveau de vous tuer ? »

Soontir avait comme un mauvais pressentiment… Il avait déjà connu ce genre de situations, exercices de combats, simulations sur le terrain, manœuvres militaires et tout ce qui s’ensuit, l’Empire en organisait également très régulièrement. Et même si c’était lui qui avait poussé l’idée, il n’aurait pas cru être convoqué pour en parler avec un des responsables de la base. Ces derniers temps, il trouvait qu’il passait quand même beaucoup de temps avec des officiers supérieurs, bien trop à son goût. Et le pire, c’est qu’à chaque fois, il avait l’impression de s’enfoncer tout droit dans un traquenard. La vice-amirale terminait de consulter le rapport. Durant ce temps, il laissait vaguement balader son regard sur le bureau et les abords, les bras croisés, assis face à elle. Pourquoi avait-elle convoqué sur le destroyer, d’ailleurs, plutôt que la base juste en-dessous ?

"Très bien. Le programme de ces manœuvres a été orienté afin d’être principalement formateur, pour chacune des deux parties engagées. Étant donné votre manière personnelle de nouer des liens avec les membres de la base des deux espèces, vous aurez en charge de préparer une manœuvre aux commandes d’un croiseur léger, avec un équipage mixte. Cependant, avant toute chose, je devais vous parler d’un point important. La confiance est de rigueur, avec nos hommes. Mais il y a-t-il une raison de penser que des membres de l’Ascendance puissent profiter de cette situation pour tenter à nouveau de vous tuer ?"

Quand on parlait de traquenard… Il décroisa les bras rapidement et se redressa, tentant tant bien que mal de cacher le stress qui resurgissait malgré lui. Tout en maudissant intérieurement le général Skywalker et l’ensemble de sa lignée sur quatorze générations. C’était de lui, cette obsessions-là ! … Que de lui, non ? Hum, bon, bref.

"Non, je ne crois pas, vice-amirale. Enfin, je veux dire, avec l’armée, je n’ai aucun problème particulier, il est plus probable que ceux derrière des attaques soient plutôt des civils anti-sensitifs ou je ne sais plus trop quoi."

Et les circonstances ne seraient pas favorables, de toute manière, ce serait trop risqué. Tout en répondant ça, il avait réfléchir sur la meilleure façon de tourner ses phrases, pour le vrai problème, selon lui, dans cette affaire. Même si, oui, d’accord, ce n’était qu’un simple entraînement, pas une véritable situation de combat, que ça n’engageait personne à rien, que ça ne portera à aucune conséquence et qu’il ne s’agissait que de se former. Se former pour… Heu… D’accord, chut, du calme, ne pas paniquer. Il se racla légèrement la gorge, ravalant comme il pouvait la peur, pour rester parfaitement clair dans ses propos et sa tenue globale.

"Je ne pensais pas qu’on puisse me demander de commander un croiseur, étant donné mon poste habituel, dans ces manœuvres, simplement car… Eh bien, je n’ai jamais mis les pieds sur une passerelle et je n’ai aucune idée de ce qu’il faut y faire précisément, dans cette situation. Je risque surtout de gâcher la mise en place."

Pouvait-il fuir ou disparaître de ce bureau…. Mmh, non, peut-être pas. Par contre, à quel moment s’étaient-ils tous passé le mot pour l’obliger à rentrer dans ce jeu-là … ?

Mmh… D’accord… Bon, même si cela écartait temporairement le problème, Karyn n’était pas très emballée et espérait que ça se calme rapidement. Cela posé, ça ne devrait pas causer de soucis particuliers pour les exercices conjoints. En toute logique. Dans tous les cas, il devrait sincèrement respirer un grand coup, à quoi bon être aussi tendu ? D’ordinaire, en plus de ça, on ne demandait pas spécialement l’avis des gens avant de leur faire changer de grade, encore moins prendre le temps d’adaptation, avec eux, il avait de la chance que ça soit possible ici. Sans doute car le Grand Amiral avait décidé de le prendre comme élève, d’ailleurs.

« Je ne pensais pas qu’on puisse me demander de commander un croiseur, étant donné mon poste habituel, dans ces manœuvres, simplement car… Eh bien, je n’ai jamais mis les pieds sur une passerelle et je n’ai aucune idée de ce qu’il faut y faire précisément, dans cette situation. Je risque surtout de gâcher la mise en place. »

« Félicitations, capitaine, vous venez d’expliquer précisément pourquoi vous avez besoin de suivre cet entraînement, » sourit-elle ironiquement, en se renfonçant légèrement dans son fauteuil. « Il s’agit d’un exercice, pas d’une situation de combat réel. Les erreurs et approximations que vous y ferez serviront à vous améliorer par la suite. Il est évident que les adversaires figurés dans la manœuvre n’auront pas pour ordre de se jeter sur vous et mettre fin le plus rapidement possible à la séance, sans laisser le temps à qui que ce soit d’apprendre. De plus, vous serez assisté d’un second, qui vous aidera à prendre la main. Sans décider à votre place, attention. D’avoir, pour une fois, le droit à l’erreur devrait vous détendre. »

Elle se leva tranquillement puis alla faire couler un peu de café, avant de lui demander s’il en désirait un aussi. Pour sa part, elle n’était pas tant inquiète. Certes, il avait un caractère… Particulier. Mais c’était également le cas du Grand Amiral et il avait prouvé que ce n’était pas un obstacle, en soit, pour progresser. Au contraire, lorsque c’était bien manié, cela devenait un atout essentiel. Elle revint rapidement, avec les tasses de café en main et les posa sur le bureau, avant de se rasseoir.

« Ce qui vous gêne vraiment, c’est à la fois de vous retrouver éloigné du pilotage et d’avoir trop de responsabilités en mains, vis à vis de vos hommes, n’est-ce pas ? »

Elle souffla légèrement sur la tasse de café brûlante, avant de boire une gorgée. Il ne fallait guère forcer pour comprendre ça, en vérité, étant donné ce qu’elle avait lu de son caractère. Il refusait de s’imaginer dans un rôle trop différent de ce qu’il avait toujours connu, en particulier car ce rôle était tout ce qui lui avait permis de construire puis conserver sa vie. Telle une situation figée dans la glace, qu’il carignait de voir fondre.

« Travailler d’autres domaines que votre champ de compétence initial ne vous empêchera pas de poursuivre ce dernier, » poursuivit-elle en se réchauffant les mains avec la tasse. « Bien au contraire, un officier se doit de maîtriser plusieurs domaines et de poursuivre sa formation, tout au long de sa vie. Vous avez déjà gagné la confiance de vos hommes sur vos différentes missions. Qu’est-ce qui vous effraie à l’idée de le faire à partir de la passerelle d’un croiseur qu’à partir d’un cockpit d’appareil de chasse ? Simplement la portée de vos décisions ? Si vous les prenez avec la même volonté de faire au mieux et préserver autant la vie de vos hommes, ça ne peut plus mal se passer qu’avant. Vous avez simplement peur de quitter votre zone de confort. »

"Félicitations, capitaine, vous venez d’expliquer précisément pourquoi vous avez besoin de suivre cet entraînement. Il s’agit d’un exercice, pas d’une situation de combat réel. Les erreurs et approximations que vous y ferez serviront à vous améliorer par la suite. Il est évident que les adversaires figurés dans la manœuvre n’auront pas pour ordre de se jeter sur vous et mettre fin le plus rapidement possible à la séance, sans laisser le temps à qui que ce soit d’apprendre. De plus, vous serez assisté d’un second, qui vous aidera à prendre la main. Sans décider à votre place, attention. D’avoir, pour une fois, le droit à l’erreur devrait vous détendre."

Mouais… L’idée ne l’emballait toujours pas plus que ça. Il y en avait certainement beaucoup qui seraient très enthousiastes et volontaires, pour cette opportunité et il n’en faisait clairement pas partie. Il accepta le café d’un vague signe de tête, en retenant un soupir de toutes ses forces. Il hocha aussi la tête à la question qu’elle lâcha, en revenant s’asseoir avec les tasses, car ça résumait bien la situation. C’était ça, oui… Sans compter qu’au fond, il avait toujours du mal à croire que ses supérieurs hiérarchiques puissent sincèrement vouloir le pousser là-dedans. Comme un blocage. C’était peut-être une question de confiance personnelle, comme disait Syal. Peut-être ! Une « simple » crainte d’échouer, commettre des erreurs. Pire encore, causer du tord aux autres.

"Travailler d’autres domaines que votre champ de compétence initial ne vous empêchera pas de poursuivre ce dernier. Bien au contraire, un officier se doit de maîtriser plusieurs domaines et de poursuivre sa formation, tout au long de sa vie. Vous avez déjà gagné la confiance de vos hommes sur vos différentes missions. Qu’est-ce qui vous effraie à l’idée de le faire à partir de la passerelle d’un croiseur qu’à partir d’un cockpit d’appareil de chasse ? Simplement la portée de vos décisions ? Si vous les prenez avec la même volonté de faire au mieux et préserver autant la vie de vos hommes, ça ne peut plus mal se passer qu’avant. Vous avez simplement peur de quitter votre zone de confort."

"C’est possible," marmonna-t-il.

Il ne savait toujours pas vraiment à quel moment, exactement, il avait merdé et attiré l’attention sur lui, encore moins leur inspirer ce type d’idées. Mais il se sentait vraiment idiot de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. C’était on ne peut plus désagréable de se sentir acculé ou piégé. Surtout face à quelqu’un qui fourrait le doigt là où ça faisait le plus mal. Par contre, est-ce qu’elle sous-entendait qu’il pourra parfois continuer le pilotage même en occupant ce poste ? Si c’était le cas, un tel avenir serait déjà plus engageant. Parce que rester coincé sur une passerelle, éloigné du terrain, c’était une simple vision d’horreur. Mmh, bref, inspirons tranquillement, pour le moment, on ne discutait que d’un simple exercice. Dans des conditions passables. Bordel, et dire que c’était lui qui avait lancé l’idée de manœuvres conjointes… Il n’arrivait jamais à la fermer au bon moment !

"Serait-il possible, avant le début des manœuvres, de voir en amont tout cela et… Se familiariser un peu avec l’environnement ? Je voudrai limiter un maximum le nombre d’erreurs potentielles, malgré tout."

Manière de dire qu’il rendait les armes, c’est bon… Puisqu’il n’avait pas le choix, de toute façon… Autant s’efforcer d’y mettre de la bonne volonté, quand bien même il y allait à reculons. Définitivement, Soontir ne comprenait pas les plus carriéristes ou ceux rêvant de ces opportunités-là, tant ça apportait un lot considérable de complications, de stress et d’une montagnes de nouvelles compétences à apprendre.

Karyn n’avait jamais rencontré qui que ce soit montrant une aussi mauvaise volonté devant la possibilité de monter en grade, au sein de l’armée, que ça soit ici ou lorsqu’ils étaient toujours loyaux à l’Empire. D’autant plus après qu’autant de personnes, selon son dossier, lui aient déjà rappelé son devoir. Certes, il y avait au moins un gros avantage, inutile de s’inquiéter qu’il fasse passer ses ambitions avant le bien de son équipage. Mais l’inconvénient restait de taille, face à une personne aussi bornée. Elle fut cependant agréablement surprise, lorsqu’il se résigna à ce qui l’attendait pour l’exercice et montra enfin plus de coopération. Mieux valait tard que jamais ! Elle retint un petit soupir, ayant une pensée émue pour le colonel, qui aurait sans doute beaucoup aimé entendre ça.

« Commencez par lire ceci, » lança-t-elle en ouvrant un des tiroirs de son bureau et en sortant un livre très épais, qu’elle lui tendit. « Il s’agit d’un ensemble des règles, codes, fonctions et travail, concernant la passerelle. »

Elle le lui prêtait avec plaisir, il pouvait même le garder, ‘sil le voulait, étant donné qu’elle avait déjà un double de cet exemplaire. Même avec plusieurs années d’expérience derrière soi, se rappeler les règles de temps à autre ne faisait aucun mal. Bien qu’il serait mieux qu’il puisse observer sur place et en direct, mais pour ça, il y aura quelques petites formalités à régler en amont. Le temps de trajet, vers le lieu des manœuvres, pourrait bien y servir. Mmh, elle y songera un peu plus tard. En attendant, elle termina rapidement son café, puis se leva, en lui disant de la suivre. Son bureau se trouvait à portée immédiate de la passerelle et actuellement, peu de monde s’y trouvait. Deux techniciens étaient occupés, avec un sous-officier, sur l’une des consoles.

Un autre, en pleine maintenance également, se trouvait embourbé sous un renfoncement d’une autre console, dans la partie basse de la passerelle, seules ses jambes et quelques fils électriques dépassaient. Les techniciens et le sous-officier saluèrent, à leur entrée, mais le troisième, empêtré dans son travail, ne remarqua pas le mouvement. Karyn ne le dérangea pas, peu gênée par ce genre de choses car le travail, et surtout le soin accordé au travail, passait bien avant. Elle présenta plutôt la passerelle au capitaine, avec tranquillité, très à l’aise dans ce type de lieu. Si, bien sûr, les surfaces et certaines consoles changeaient, d’un destroyer à un croiseur, les fonctions principales demeuraient identiques.

« Vous connaissez déjà les droits et devoirs d’un officier. La partie plus technique, dans ce type de poste, s’apprend avec le temps, les erreurs comme les réussites. Et beaucoup d’observation, cela reste le principal moyen d’apprendre. »

Il devra également s’habituer à la « vue », que l’on avait, depuis cet endroit, sur un champ de bataille. Elle ne doutait pas qu’il la trouve plus limitée, les premiers temps, tant ils étaient loin de pouvoir faire les mêmes tourbillons au milieu des ennemis que dans un chasseur rapide. Une stabilité relative, certes, le vaisseau bougeait tout de même, mais en comparaison de ce que les pilotes pouvaient réaliser, il aura forcément ce sentiment de pur immobilisme. Peut-être même de plus grande vulnérabilité ? Après tout, il est vrai qu’une fois les boucliers d’un vaisseau éventré, sa taille le rendait plus lent à manœuvrer pour esquiver les tirs ennemis. La passerelle était, depuis toujours, l’une des cibles idéales, dans un combat.

« Chaque personne connaît son poste sur le bout des doigts, la sélection pour travailler ici n’est pas prise à la légère. Vous devrez cependant avoir un œil sur tout et être capable de réagir rapidement et efficacement. Rester sans cesse à l’écoute de ce qui se passe ou se dit. »

"Commencez par lire ceci. Il s’agit d’un ensemble des règles, codes, fonctions et travail, concernant la passerelle."

D’accord, d’accord, d’accord… Il parvint à retenir une grimace et la remercier, en récupérant l’épais bouquin. Super… Au secours ? Il suivit le mouvement lorsqu’elle se leva et lui dit de la suivre, partant derrière elle, le livre sous le bras. Jusqu’à la passerelle du destroyer. Au secours, définitivement… Il survola du regard les deux étages de la passerelle, de moins en moins à l’aise. On pouvait vraiment apprendre à être à l’aise ici ? Et comment pensaient les gens qui avaient sincèrement envie d’y travailler ?? La vice-amirale, en tout cas, semblait être parfaitement à l’aise en lui présentant l’ensemble. Il essayait de retenir ce qui servait à quoi, imaginant plus ou moins à quoi devait ressembler l’ambiance, lorsque tout le monde était à son poste. Il ne se sentait tellement pas à sa place qu’il avait le sentiment d’avoir commis une infraction, en venant ici, alors même qu’il avait juste suivi sa supérieure.

Elle insistait beaucoup sur l’observation. Mmh… Pour ça, il faudra surtout qu’il ait l’occasion d’en observer un en œuvre, justement, ce qu’il n’avait jamais fait non plus. C’était possible seulement pour ceux et celles travaillant déjà à ces différents postes. Ce qu’il voyait des vaisseaux, lui, c’était principalement le hangar et les zones réservées aux pilotes, pour les entraînements ou les quarts de repos. Parfois les salles de réunions et débriefing, avant les batailles et ça s’arrêtait là. Il aperçut par les baies un autre destroyer, stationné tout proche, entouré de quelques petites navettes. En maintenance également, peut-être. Nirauan semblait bien petite, vue d’ici, comme toujours. Ah, bon sang, même si on lui parlait « seulement » d’un croiseur, dans un exercice, il sentait la pression monter et lui tordre le ventre. Il leur avait pourtant répété des dizaines de fois qu’il n’était pas taillé pour ça.

"Chaque personne connaît son poste sur le bout des doigts, la sélection pour travailler ici n’est pas prise à la légère. Vous devrez cependant avoir un œil sur tout et être capable de réagir rapidement et efficacement. Rester sans cesse à l’écoute de ce qui se passe ou se dit."

Il lança un regard vers les écrans, éteints, lèvres un peu pincées, puis de nouveau vers les consoles. C’est à ce moment que le second technicien s’extirpa de là-dessous, eut un mouvement de surprise puis se leva vivement pour saluer la vice-amirale. Tiens, ce genre d’intervention pouvait arriver à n’importe quel moment et combien de temps duraient-elles ? Il ne s’était jamais posé ce genre de question… Il fallait dire qu’ils ne restaient que très peu dans le vaisseau et le but était justement d’éviter qu’il ne subisse de dégâts majeurs, soit en le défendant, soit en attaquant les premiers et ainsi détournant l’attention.

"Et donc… Pour ça, il faut vraiment rester ici ou est-ce possible de le faire depuis un autre point d’observation ?"

Karyn répondit au salut du jeune technicien puis lui fit un geste d’apaisement, en signe que ce n’était rien. Plutôt contente qu’il se soucie autant de son travail et ne perdait pas de temps à observer ce qui se passait autour, ce n’était pas sa tâche. Elle reporta le regard sur le capitaine, à sa question, sentant bien son inquiétude croissante. Décidément, les gens trop passionnés par un poste peinaient à se projeter sur d’autres perspectives, alors que l’évolution était la norme, pour qui faisait correctement son travail, dans une armée. Du moins, si vous n’aviez pas d’adversaire politique acharné ou si vous n’aviez pas été pris en grippe par un officier supérieur.

"Il existe des profils atypiques effectuant effectivement leur travail en se trouvant à un autre poste que la passerelle," glissa-t-elle d’un ton neutre, voyant très bien où il voulait en venir. "Toutefois, ce sont des profils possédant une expérience solide en la matière, avec de l’entraînement derrière eux, ça ne s’improvise pas. Pour ce faire, il faut tout d’abord maîtriser le travail demandé en tant que commandant, ici même, avant de pouvoir envisager le mener sans être présent sur place. De plus, pour un maximum d’efficacité, la personne doit parfaitement connaître son équipage, les tâches et rôles de chacun, pouvoir communiquer rapidement et se comprendre mutuellement sans longs discours. Tout cela demande du temps."

Et si peu le faisaient, c’est bel et bien car apprendre à connaître et se lier avec son équipage, ne serait-ce que ceux impliqués sur la passerelle, demandait bien des efforts et de l’énergie. Peu désiraient y mettre autant d’envie, par manque de temps, parce qu’ils pouvaient changer fréquemment de poste, parce qu’ils jugeaient cela inutile tant qu’ils menaient correctement leur travail, parce qu’ils pensaient perdre en efficacité s’ils ne travaillaient pas sur place, les raisons étaient multiples. De plus, il était nécessaire de pouvoir nouer des liens facilement et les entretenir, posséder un sens relationnel aigu, en plus d’être doué d’un bon sens de commandement. Si le second point pouvait se travailler, le premier dépendait entièrement du caractère de la personne. Toute la difficulté résidait là.

"Si cela peut vous motiver, pensez bien aux efforts à fournir en amont," ajouta-t-elle tout en terminant de lui faire faire le tour. "Tout comme aux efforts à fournir pour arranger les susceptibilités de chacun. Ou les conflits relationnels. Par exemple, en cas de conflit xénophobe, il y a des manières de remettre à sa place une personne autre que la confronter sèchement. Lorsque les rappels verbaux ne suffisent pas à calmer ou encore, repousser les explications à plus tard, une fois le combat fini, des sanctions sont déjà prévues dans le code militaire. Ne pas laisser ses propres émotions prendre le dessus est une chose primordiale à apprendre. C’est bien toujours cela qui vous a causé des ennuis, n’est-ce pas ?"

Possible à condition d’être à l’aise ici, parfaitement connaître son équipage et disposer d’une bonne communication avec eux. Bon. Il n’était plus très sûr de quoi en penser. Surtout qu’elle discutait de tout ça comme si l’exercice à venir allait être suivi de plusieurs autres. Ou pire encore ! Suivi d’un temps où il devra le faire pour de bon, sur le terrain. Beuh… Mais oui, si à force de travail et de patience, ce serait possible de concilier les deux, bien sûr que c’était plus motivant. Il glissa faiblement sa main libre contre son insigne, très peu rassuré. C’est qu’il avait déjà fait souvent le yo-yo, avec son grade, mais jamais dans l’idée d’en faire plus, surtout ici. Et puis, en venant chez les FID avec Syal, il pensait qu’on allait le reléguer dans un coin et qu’il pourra se contenter d’entraîner tranquillement ses élèves.

"Tout comme aux efforts à fournir pour arranger les susceptibilités de chacun. Ou les conflits relationnels. Par exemple, en cas de conflit xénophobe, il y a des manières de remettre à sa place une personne autre que la confronter sèchement. Lorsque les rappels verbaux ne suffisent pas à calmer ou encore, repousser les explications à plus tard, une fois le combat fini, des sanctions sont déjà prévues dans le code militaire. Ne pas laisser ses propres émotions prendre le dessus est une chose primordiale à apprendre. C’est bien toujours cela qui vous a causé des ennuis, n’est-ce pas ?"

"Pas systématiquement, tout de mê…"

Le reste de sa phrase mourut sur ses lèvres, alors qu’il se repassait à la chaîne toutes les fois où il avait eu des problèmes et surtout pourquoi. Les raisons étaient toujours identiques… Soit il s’était opposé pour la défense de son équipe ou de valeurs, soit il s’était importé contre un comportement infect. A chaque fois, la réaction venait d’un sentiment d’injustice, de colère ou autre. Il fonctionnait ainsi, tout simplement. Parlons-en, des conflits xénophobes, tiens, garder son calme face à un gros con, c’était facile à dire ! Le respect de la hiérarchie avait bon dos, quand il était utilisé pour justifier le manque de réaction. Trop de personnes s’en servaient pour pouvoir se comporter comme des ordures vis à vis des personnes moins haut gradées !

"Il reste un point où je ne peux pas changer, vice-amirale," reprit-il avec un soupir, "c’est accepter de la boucler et ne pas réagir, face à un supérieur hiérarchique se comportant soit comme un gros con, soit comme un pauvre type sacrifiant au hasard la vie des autres, sans la moindre considération. J’entends bien qu’il y a des manières de le faire, si vous êtes vous-même dans une meilleure position, c’est sûrement plus facile."

Quoi qu’il arrive, pour lui, laisser qui que ce soit jouer avec les vie des « simples soldats », comme c’est craché avec mépris, ce n’est pas négociable. Mais oui, oui, forcément, si c’est vous qui commandiez, il y avait plein d’autres moyens d’envoyer bouler les cons et les empêcher de nuire, c’était certain. Simplement car c’était votre rôle de le faire, pour le coup. Restait que dans une situation où les hauts gradés n’étaient pas là pour s’en charger ou pire, commettaient eux-même ces actes…

"De toute façon, se cacher derrière le fait de ne pas être assez haut placé pour renier paisiblement les valeurs morales les plus basiques, c’est un peu trop facile. S’il y a bien une chose que j’apprenais à mes élèves, c’était ça. C’est… C’est sans doute pour ça que l’Empire m’avait accusé après leur désertion, tiens."

Petite réalisation, des années après, lui qui s’était simplement dit, à l’époque, que l’Empire cherchait tout bêtement un bouc émissaire, car ils avaient été incapables de récupérer les fugitifs. Un grand sourire de fierté illuminait son visage, en y repensant. Ils avaient suivi leurs principes, sans se laisser impressionner, c’était bien tout ce qui comptait.

Merci d’ainsi confirmer son ressenti. Et il en rajouta en embrayant sur ses positions, déjà bien claires pour tout le monde, dans la base. Il avait raison, cependant, c’était à la fois facile et un devoir lorsqu’on se retrouvait en charge d’autres personnes. Si ce n’était pas le cas, soit la personne manœuvrait plus finement pour éviter les ennuis elle-même, au passage, soit elle ne se posait pas tant de questions et y allait franchement. Inutile de préciser quelle méthodes avait choisi le capitaine. Enfin, tout s’apprenait… Une fois qu’il sera plus avancé dans le sujet, naturellement, il finira par faire évoluer ses méthodes. Là encore, ça ne l’inquiétait pas plus que cela. Il ne fallait que laisser du temps, rien de plus, rien de moins.

"De toute façon, se cacher derrière le fait de ne pas être assez haut placé pour renier paisiblement les valeurs morales les plus basiques, c’est un peu trop facile. S’il y a bien une chose que j’apprenais à mes élèves, c’était ça. C’est… C’est sans doute pour ça que l’Empire m’avait accusé après leur désertion, tiens."

"C’est bien de vous en rendre compte, capitaine, mieux vaut tard que jamais."

Elle passa la porte d’accès à la passerelle, puis conclut en lui disant de veiller à bien étudier le livre, avant même leur départ pour le site des manœuvres. Il avait de quoi travailler, entre cela et tout le reste. Tout comme elle-même, ayant pas mal de choses sur le feu en ce moment. Après un salut formel, elle le laissa repartir vers la navette lambda l’ayant amené sur le destroyer, puis repartit vers son bureau. En effet, en ce moment, ce n’était pas le travail qui manquait et pas seulement à cause des manœuvres à préparer. Sa nomination l’avait prise par surprise, à son retour. Plonger directement dans le bain avait débouché sur une période de transition chargée, où beaucoup de points étaient à reprendre. Bref, en ce moment, c’était encore la course, le temps qu’elle retrouve un rythme de croisière acceptable et prenne ses propres marques.