Respect entre ennemis

Bon… Soit Thrawn avait mené l’opération lui-même , soit on lui avait vendu la mèche et il lui avait ensuite collé un garde du corps. Eli lança un petit coup d’œil en biais un peu agacé au Noghri, qui resta complètement indifférent, bien trop occupé à surveiller les alentours et tous ceux qui passaient. Le jeune homme préparait une liste mentale de tous les arguments possibles pour prouver qu’il n’avait pas besoin de protection et que tout allait très bien, prenant le temps de le faire car il se doutait bien que l’amiral allait s’amuser à tous les casser un par un aussi sec si ce n’était pas imparable. Assis dans un fauteuil roulant, toujours, il soupira une énième fois en regardant les dernières informations sur Lysatra arriver. C’était une catastrophe… La quasi-totalité de la population était morte et les survivants ne pouvaient même pas rentrer chez eux.

Ces dernières heures, Eli avait passé tout son temps à essayer de reprendre contacts avec proches, membres de la familles, amis ou connaissances. De toutes les personnes contactées, seules quatre avaient répondu. Seulement y penser lui donnait les larmes aux yeux et il s’efforça de se concentrer sur autre chose, refusant de pleurer devant qui que ce soit. Il attendra d’être complètement seul pour se laisser aller et pleurer ses morts, sa famille et les amis d’enfance… Il inspira profondément, jetant un regard par la petite baie. D’autres destroyers de la 7ème Flotte continuaient d’arriver, il y allait sans doute avoir une réunion avec tous les amiraux. En attendant, Eli avait prévu une autre sorte de « réunion ». Il avait demandé à rencontrer Luke avant qu’il ne parte, ne serait-ce que cinq minutes, pour lui dire merci.

Sans son aide, ils auraient pu mettre cinq mois de plus à trouver un vaccin, des mois où le nombre de morts n’aurait cessé d’enfler, bien de quoi liquider plus de la moitié de la galaxie. Alors peut-être que l’Empire se foutait pas mal de ce « détail » et gardait le Jedi comme un criminel recherché, Eli s’en fichait, il tenait à le remercier. Une rencontre initialement prévue sur la station, avant qu’on ne lui fasse remarquer qu’avec presque toute la 7ème Flotte en orbite… Ils allaient donc se retrouver plutôt sur un des vaisseaux de l’Ascendance Chiss, encore dans le secteur pour le moment. Pour le coup, Thrawn ne pourra pas se permettre de tirer dessus, Jedis à bord ou pas, peu importe ce qu’avait ordonné l’Empire. Eli releva la tête lorsqu’il entendit des bruits de pas puis que la porte s’ouvrit.

– Bonjour…

Ça restait bizarre, comme situation, mais peu importe, être dans des camps opposés n’empêchait pas le respect. Et Eli n’avait jamais été du genre sanguinaire, à vouloir écraser ou humilier les autres.

– Je voulais simplement vous dire merci. Les chercheurs auraient pu mettre des mois et des mois de plus, sinon, et ça aurait été bien plus dramatique. Comment ça a été possible ? Vous aviez déjà rencontré ce cinglé ?

Tout l’Ordre Jedi devait se réunir, à nouveau, cette fois pour le nouveau Conseil et, Luke l’espérait, pour parler de l’avenir de l’Ordre, ce qui devait changer, pour éviter un nouvel ordre 66. Si parler de ça était prévu à l’ordre du jour, en tout cas… Il pinça un peu les lèvres, avec un léger signe de main pour Lorana qui partit dans un autre couloir pour aller rencontrer il ne savait qui, parmi les Chiss, à propos d’une vieille histoire datant de peu de temps avant sa mort. Lui-même devait rencontrer un lieutenant-colonel impérial, qui avait demandé la veille s’il pouvait lui parler. Allez donc savoir pourquoi… Il avait dit oui car il était curieux, sans voir pourquoi un agent de l’Empire voudrait lui adresser la parole pour autre chose que des menaces ou il ne savait quoi. Ce n’est qu’en entrant dans la salle qu’il le reconnut, ce type était celui arrivé le premier dans le service de soins intensifs, dans un état… disons, bien grave. Celui dont Plagueis s’était servi de jouet, comme bien d’autres, il avait une chance infernale d’être encore en vie. Luke lui rendit son salut avec un léger temps d’arrêt, peiné en le voyant dans un tel état. Il avait passé… deux ou trois heures avec le Sith, c’est ça ? On ne souhaitait même pas ça à son pire ennemi.

– Je voulais simplement vous dire merci. Les chercheurs auraient pu mettre des mois et des mois de plus, sinon, et ça aurait été bien plus dramatique. Comment ça a été possible ? Vous aviez déjà rencontré ce cinglé ?

– « Merci » ? Vous… Enfin, de rien.

Qu’un impérial vienne exprès jusqu’ici pour juste dire merci, ça semblait tellement improbable… Evidemment, il n’y avait pas que des sales types dans l’Empire, par contre, aucun n’était encouragé à rester poli ou reconnaissant envers un ennemi déclaré. Luke franchit la courte distance les séparant puis s’assit à l’autre bout de la petite table. Le garde du corps de Vanto le suivit du regard, visiblement prêt à lui sauter à la gorge au moindre faux mouvement.

– Sinon, pour vous répondre, oui, je l’avais déjà croisé. Il m’avait fait avaler ce poison sous le coup de colère, ensuite, j’ai passé quelques mois assez douloureux. Mais ça m’a permis de développer une certaine résistance contre cette saleté. Tous les Siths ne sont pas aussi cinglés, c’est celui-ci qui est… un vrai malade, on va dire.

De toute manière, des psychopathes, il y en avait dans toutes les factions, dans la galaxie toute entière, appartenir à l’une ou l’autre ne permettait pas de vous classer directement dans une case définie. Les cinglés, malheureusement, n’étaient pas une espèce en voie de disparition… Luke imaginait très bien ce que cet homme avait dû subir entre les mains de Plagueis… Le Sith avait déjà assassiné pas mal de ses « cobayes », de ses propres mains, empoisonnés des mondes, et on pouvait maintenant lui amputer la galaxie dévastée par la maladie et le génocide d’un tiers de ses habitants, ce qui n’était pas rien. Le Jedi ignorait si d’autres Siths, au cours des millénaires passés, s’étaient aussi « amusés » à créer ce genre de saloperie ou en avaient tué autant, avec des moyens plus classiques.

– Honnêtement, vous avez eu une sacré chance de vous en tirer en vie. Je trouve assez bizarre, par contre, que vous disiez merci. Vous êtes plutôt censé arrêter les criminels recherchés, pas leur dire merci.

C’était vraiment si bizarre que ça, de s’entendre dire merci de la part d’une personne d’un camp opposé ? A moins qu’Eli ne trouve parfaitement logiques et ordinaires des actions qui pourraient le faire passer pour un traître aux yeux de l’Empire ? Il se frotta un peu les yeux, réfléchissant à cette question pendant que le Jedi venait s’asseoir à son tour près de la table. Il ne comprenait déjà pas que, sitôt le vaccin trouvé, il n’y ait même pas eu un temps général de latence, un cessez-le feu d’au moins quelques jours, par simple « remerciement » pour cette collaboration bien suivie par tous. Enfin, ils avaient beau être en guerre, après une histoire pareille, un effort aurait pu être fait… L’Empereur devait considérer que n’avoir pas tiré sur les rebelles pendant cinq mois était déjà un effort plus que conséquent.

– Sinon, pour vous répondre, oui, je l’avais déjà croisé. Il m’avait fait avaler ce poison sous le coup de colère, ensuite, j’ai passé quelques mois assez douloureux. Mais ça m’a permis de développer une certaine résistance contre cette saleté. Tous les Siths ne sont pas aussi cinglés, c’est celui-ci qui est… un vrai malade, on va dire.

– Je l’ai bien noté…

Jamais il n’avait eu aussi peur de toute sa vie… Et jamais il ne s’était retrouvé non plus dans une telle situation de danger, à vrai dire. Avec l’amiral qui contrôlait toujours tout, dans chaque situation, difficile de se sentir vraiment en danger ou à la merci d’un ennemi, même s’il lui était arrivé d’avoir peur. Eli eut un petit frisson, les yeux fermés, une main contre le front et le coude sur la table. Le visage grinçant du seigneur Sith et son chuchotement, juste dans le creux de l’oreille, allaient lui rester gravés dans la mémoire jusqu’à la fin de ses jours, c’était certain. Il ne comprenait pas comment une personne pouvait avoir l’esprit détérioré à un tel point, comment on pouvait travailler sur un projet aussi meurtrier sans une once de remords… Pire, en s’en amusant ! C’était déjà arrivé ou Plagueis avait-il fait une première ? Et si d’autres, un jour, en faisaient autant ? Les ysalamaris ne suffisaient à se protéger de tout ce que produisaient les sensitifs, preuve en était encore avec cette pandémie.

– Honnêtement, vous avez eu une sacré chance de vous en tirer en vie. Je trouve assez bizarre, par contre, que vous disiez merci. Vous êtes plutôt censé arrêter les criminels recherchés, pas leur dire merci.

– Ça n’a rien de bizarre… Être ennemis n’empêche pas un certain respect. Je ne veux pas trop penser à ce que ça aurait pu donner s’il avait fallu encore des mois supplémentaires avant le vaccin. Lysatra est ma planète natale, mes parents ont survécu mais j’ai perdu toute ma famille, des amis d’enfance… Alors oui, je suis reconnaissant que d’autres planètes aient pu être plus épargnées, que cette saleté ne se soit pas répandue encore plus loin. Vous pourriez même être l’ennemi public numéro un que ça me passerait au-dessus de la tête.

Il inspira à nouveau, relâchant son souffle avec lenteur, et surtout, surtout, surtout, ne pas se mettre à pleurer. La sensation de vide était particulièrement affreuse, il ne pouvait juste pas s’empêcher d’attendre, comme si ses proches pouvaient réapparaître d’un coup. Attendre comme si ce n’était qu’un long cauchemar, dont il allait bien finir par se réveiller. Eli passait des moments de déni à des moments où la réalité, dure et brutale, frappait dans toute sa splendeur. C’était un peu comme une part d’innocence conservée jusqu’ici et qui avait brusquement volée en éclats. Il acceptait « plus facilement » que des personnes soient tués au combat, c’était la guerre, mais là, là ! Là, ce n’étaient que des assassinats, orchestrés par un malade mental, un génocide de masse, rien de plus.

– Voilà tout, reprit-il. C’est tout. Je me fiche que l’Empire ne soit pas reconnaissant, moi je le suis. Et je devais vous le dire.

Il n’y avait rien à ajouter. Si Luke comptait repartir, c’était le moment où jamais, tant que les vaisseaux Chiss étaient encore là et fournissaient une ouverture, une brèche par laquelle il était possible de passer sans aller tourner autour des destroyers impériaux. Eli attendit qu’il parte pour relever la tête vers le Noghri et lui demander s’il ne voulait pas le laisser un peu seul. Ils étaient dans une petite pièce, sur un vaisseau Chiss, avec une seule entrée, ça devrait aller, au niveau de la sécurité. Non ? Eli attendit, le voyant hésiter, puis fut soulagé lorsqu’il quitta la pièce, se postant près de la porte. Le visage fourré entre les mains, il lutta encore un moment contre les larmes avant de les laisser enfin couler, librement, en s’obligeant à ne pas faire de bruit. Juste cinq minutes… Dix minutes… Après il enfermera tout ça au fond de lui et s’efforcera de ne plus y songer.