La lettre officielle était très froissée, maintenant, il n’avait eu de cesse de la plier, la déplier, la relire jusqu’à la nausée, jusqu’à en connaître chaque virgule par cœur, avant d’être certain qu’il avait compris. Pourtant, il continuait de la relire encore. Incapable d’accepter la réalité. Il avait épousé Enea il y avait plus de dix ans… Ils s’étaient rencontré lors d’une exposition, leurs deux familles se connaissaient vaguement, à cette époque-là, les choses s’étaient déroulées dans les règles et tout s’était bien passé. Ils avaient traversé une période très douloureuse, lorsqu’ils s’étaient rendu compte qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants biologiques, mais ils s’en étaient sorti ! Tous les deux. Mais aujourd’hui… Il ne pouvait accepter qu’elle croyait à sa culpabilité. Dix ans de mariage pour en arriver là ! Elle… Pourquoi…

Fartha la reposa sur le côté puis se frotta le visage entre les mains, avec un soupir. Il n’arrivait même plus à pleurer. L’accusation ignoble de tentative de meurtre et de complot, le divorce exigé par sa femme, fanny qui s’était également fait arrêter, la jetée en prison, la peur du procès à venir et surtout, la peur terrible de se faire exiler. Cette idée-là le terrorisait plus que tout. S’il se faisait exiler, où irait-il ?! Et pour devenir quoi ?! Il ne pourra jamais plus exercer son travail et il ne savait rien faire d’autre… Que pourra-t-il apprendre pour travailler, où et comment, avec qui ? Comment se débrouiller ? Il ne savait pas grand-chose des autres mondes, hors de l’Ascendance, il ne l’avait même jamais quitté de sa vie toute entière, à part deux ou trois rares occasions, pour de très courts voyages.

Il ne pourrait pas aller non plus sur Nirauan… Pas alors que là-bas aussi, on pourrait penser qu’il était bien coupable. Il ne savait pas si Formbi allait y croire, ici, il avait trop peur de la réponse pour oser envoyer ne serait-ce qu’une lettre. Il avait peur aussi de la réaction de dame Ewime… D’une main, il essuya une larme qui avait réussi à émerger, complètement abattu. Comment ça avait bien pu arriver… ? Ces preuves, dont on lui avait déjà parlé en interrogatoire… Comment avaient-ils sorti tout ça, c’était complètement aberrant ! En se rasseyant sur le bord de couchette, il s’efforça encore d’y réfléchir mais il avait les idées assez embrouillées. Il faut dire qu’il n’était plus du tout parvenu à s’endormir, depuis plusieurs jours. L’épuisement venait s’ajouter à la colère et la peur, il avait le sentiment de ne plus être bon à rien. Un bruit de pas, tout à coup, le fit sursauter. Un gardien s’était arrêté, avec un collègue, devant la porte.

"Vous avez une visite," annonça-t-il d’un ton neutre.

Son avocat, sans doute… Ou quelqu’un du Clan… Ou quelqu’un pour parler du divorce… Il suivit les deux gardiens sans rien dire, le cœur très lourd. C’est une fois rentré dans la pièce prévue pour les visiteurs et la porte refermée qu’il réalisa que c’était Formbi, le visiteur en question. Fartha aurait voulu lui dire aussitôt qu’il n’y était pour rien, vraiment pour rien, que jamais il n’aurait commandité une pareille horreur, mais aucun son ne parvint à sortir de sa bouche. Trop peur que son ami croit le contraire. Il avança quand même d’un pas, tout en priant pour rester bien droit et l’air normal.

"Jamais je ne… Je te jure… Je te le jure, jamais je n’aurai fait ça…"

Aller voir son meilleur ami dans une prison… Jamais il n’aurait osé croire qu’un pareil jour arriverait. Le choc était passé mais la colère n’en était que plus grande encore et les choses progressaient beaucoup trop lentement à son goût. Il se frotta un peu le visage puis observa plus attentivement cette pièce. Bien qu’on lui ait assuré qu’elle ne comportait pas de micros, simplement des caméras, pour laisser une certaine intimité aux visiteurs, il avait du mal à croire que ça ne soit pas le cas. Parler librement ici n’était pas une option, hélas, mais il pouvait au moins rassurer un peu son ami et le réconforter. En attendant qu’il arrive, Formbi en profita pour se détendre un peu, reprendre ses esprits et ne pas afficher un air trop grave. Le but était de lui remonter le moral, pas de l’assommer un peu plus encore. Namia lui avait longuement répété de faire des efforts pour plus sourire et être encourageant, ça fera du bien à son ami.

Fartha arriva peu de temps après. Avec une tête qui effraya Formbi… Il s’avança aussi vers lui, aussitôt, sans trop savoir quoi faire, puis la première phrase tremblotante que lâcha son administrateur le fit réagir par réflexe. Il l’attrapa littéralement pour le serrer bien fort contre lui, comme il l’avait fait une fois avec Feesa lorsqu’elle s’était sentie mal. Il ne le lâcha pas durant un long moment, en lui répétant qu’il savait – bien évidemment ! – qu’il ne pouvait pas être le véritable responsable de cet acte. Ce n’était même pas la peine de le dire ! Bien sûr qu’il ne le pensait pas coupable ! Formbi ignorait encore pourquoi et comment un tel coup avait été monté mais il le découvrira, ça, c’était une évidence… Il fera absolument tout ce qui était en son pouvoir pour le découvrir.

"Assis-toi, allez…"

Il avait vraiment l’impression que son ami allait littéralement s’effondrer sur place s’il le relâchait trop vite, c’était assez impressionnant. Il tremblait si fort ! Avec tout ce qui lui était tombé dessus en si peu de temps, rien de plus normal. Formbi l’incita à prendre place sur le banc et s’assit en face de lui, sur l’autre banc, posant les bras contre la table étroite. Il avait su il y a peu que Enea avait demandé le divorce, une décision qu’il avait eu beaucoup de mal à comprendre. Fartha avait perdu à la fois sa liberté, sa réputation, son travail et son épouse, en moins d’une journée… Formbi lui prit les mains, pour les serrer dans les siennes, toujours dans l’idée de lui faire se sentir soutenu.

"Beaucoup ne croient pas à ta culpabilité, pas plus qu’à celle de Fanny, reste rassuré. Je ne suis pas le seul à rechercher la vérité. Je sais bien que c’est affreux, pour toi, mais reste patient. Ne te laisse pas aller. Ça va bien se passer. Dis-toi que même si le pire arrive, tu auras toujours un endroit où aller le temps que la vérité soit rétablie. Et tu n’y seras pas rejeté ou accusé, je te l’assure."

Il ne pouvait le dire à haute voix sans savoir s’il n’y avait réellement pas de micro mais il pensait évidemment à Nirauan. Jamais sa sœur ne le croira coupable, elle non plus. Et puis, bon, ça lui faisait mal de l’admettre, même intérieurement, mais il pensait que Thrawn ne sera pas assez bête non plus pour le croire.

"J’ai appris pour… Pour Enea," reprit-il le plus doucement possible. "Je suis vraiment désolé. Est-ce que tu veux que j’essaye d’aller lui parler ?"

Il s’était attendu un peu à tout sauf à ça. Vraiment pas à ce que Formbi avance si vivement pour le serrer fortement dans ses bras. Car il n’était pas du genre tactile et encore moins à exprimer facilement ce genre d’émotions. S’il était colérique, il avait en revanche toujours eu beaucoup de mal à laisser aller des sentiments plus doux ou affectifs. Très surpris, donc, mais aussi très touché. Il l’écouta répéter en boucle qu’il savait qu’il ne pouvait pas être coupable, lui arrachant au passage un poids des épaules et l’aidant à respirer plus librement. Tête posée contre son épaule, yeux fermés, il s’autorisa à se laisser aller, au moins un petit moment. Brève pause, qui lui fit du bien malgré tout… Perdre, en plus de tout le reste, son amitié avec son plus grand ami aurait été le dernier coup de masse, qui l’aurait achevé. C’était certain.

C’est en tremblant toujours qu’il s’assit ensuite, à la petite table, sur le banc. Installé en face, Formbi lui attrapa les mains, sur la table, pour les serrer. Fartha voulut lui dire merci, bafouillant un peu, es mots restés coincés dans sa gorge. C’était… Enfin… Il avait juste du mal à tout encaisser. Tout s’était passé trop vite et trop soudainement. Des accusations bien trop graves. Si encore il avait réellement commis un acte contre les lois de l’Ascendance, en toute connaissance de cause, pour aider un objectif important ou il ne savait quoi… Là, bien sûr, être jeté en prison aurait été la conséquence normale et acceptée. Mais ici ! Il inspira doucement, espérant retrouver ses esprits, se calmer pour de bon. Rien que le fait de savoir qu’on était pas seul, ça faisait un tel bien. Surtout depuis que son épouse… Pour lui, c’était même plus grave que l’accusation elle-même.

"Beaucoup ne croient pas à ta culpabilité, pas plus qu’à celle de Fanny, reste rassuré. Je ne suis pas le seul à rechercher la vérité. Je sais bien que c’est affreux, pour toi, mais reste patient. Ne te laisse pas aller. Ça va bien se passer. Dis-toi que même si le pire arrive, tu auras toujours un endroit où aller le temps que la vérité soit rétablie. Et tu n’y seras pas rejeté ou accusé, je te l’assure."

Comment ça, un endroit où aller ? Hors de l’Ascendance ? Où ça ? Il ne pensait quand même pas à Nirauan ! Admettons, par miracle, que la jeune dame ne croit effectivement pas, elle non plus, qu’il était coupable, mais tous les autres, dans la base ? Leurs chefs ou responsables ? Que pourront-ils en penser ? Un homme arrivant comme ça, exilé pour tentative de meurtre… Il n’y avait aucune chance que l’accueil se passe bien. Fartha grimaça un peu mais n’eut pas la force d’engager le débat. Ni celle de penser encore et encore que ça risquait pourtant bien de se terminer par un exil.

"J’ai appris pour… Pour Enea. Je suis vraiment désolé. Est-ce que tu veux que j’essaye d’aller lui parler ?"

Si la proposition le toucha, une fois de plus, il hésita beaucoup. Voudra-t-elle seulement parler ? Depuis cette affaire-là, il savait qu’elle avait quitté leur maison pour aller se réfugier chez son frère et sa belle-sœur. Elle n’avait répondu à aucune de ses lettres ou de ses appels, ce qu’il avait envoyé chez son frère n’avait reçu aucune réponse non plus. Il n’avait pas très envie d’attirer des ennuis supplémentaires à son ami, en l’embarquant dans ses problèmes de couple, alors qu’il déjà autant à faire en ce moment.

"Je te remercie. Beaucoup, sincèrement. Mais ne va pas t’ajouter ça sur le dos. C’est… Peut-être qu’à force, elle acceptera de répondre à un de mes messages. Peut-être après le procès. Laisse-lui le temps de réfléchir et s’apaiser."

Finalement, ça ne concernait qu’eux deux. S’ils ne parvenaient plus à se parler maintenant, rien ne prouvait que ça ne sera pas le cas par la suite ! Et puis, peut-être avait-il aussi mal tourné ses messages, leur formulation, ça devait également être de son fait, si elle ne répondait pas. Il n’était pas question d’attirer des ennuis à Formbi pour ça aussi. Ni à qui que ce soit, d’ailleurs. A la place, d’un ton se voulant le plus sûr possible, il assura à son meilleur ami qu’il allait gérer ça peu à peu et qu’il n’avait pas besoin d’aide. Y réfléchir à froid n’était pas encore possible, pour être tout à fait honnête, mais enfin… Formbi venait déjà de lui ôter une bonne part de stress, c’était un cadeau très précieux. En venant ici lui assurer qu’il le croyait innocent, Formbi lui avait déjà ôté une bonne part de stress et de pression. C’était un présent très précieux.

"Qui d’autre refuse de croire à notre culpabilité ? Je n’arrive pas à comprendre comment on a bien pu en arriver là. C’est tellement aberrant ! Je comprend très bien le choc après cet acte affreux, mais… Comment… Que va-t-il se passer, maintenant ?"