Récemment rentrée sur Coruscant, de retour de mission, je prends un peu de temps pour moi. Déambulant dans les rues de la planète ville, mes yeux ont plaisir à s'attarder sur toutes les petites scènes que m'offrent ces boulevards pleins de vie. Au coin d'une ruelle, la devanture lumineuse d'une boutique m'intrigue et, probablement inspirée par les nombreux cliquetis des carillons, je passe le pas de la porte sans réfléchir. L'ambiance qui règne dans la petite boutique est apaisante, presque relaxante. Une musique se fait doucement entendre, sa mélodie enivrante s'écoulant lentement le long des murs où sont fièrement suspendus d'autres carillons. Je ne suis plus sur Coruscant, non, l'odeur présente ici, émanant de bâtons d'encens, m'amène à penser à d'autres horizons, plus exotiques, plus sauvages. Des images de Kashyyyk, Naboo, Toydaria me viennent en tête. Tout y est très raffiné, de la tapisserie brune, fleurie et soyeuse, aux guéridons en bois accompagnant de confortables et luxueux fauteuils. En plus des différents carillons, des portraits de diverses personnes coincés dans leurs cadres ovoïdes, s'amusent à orner le mur sans logique apparente. J'apprécie ces petites surprises que réservent la capitale, ces moments hors du temps qui viennent nous délivrer de cette immense jungle où ces endroits sont des oasis qui colorent ce grand désert de béton.  

J'ai pensé être seule dans la boutique, parcourant du doigt les différents articles dans une sorte de transe admirative mais la voix d'un homme me surprend.

Puis-je vous être d'une quelconque aide madame ?

Sa voix suave et mystérieuse invite elle aussi au voyage.  D'une carrure assez risible, il n'en reste pas moins élégant, vêtue d'un costume s'accordant parfaitement avec le ton général de l'échoppe. Son visage paré d'un sourire tout aussi élégant, ses grands yeux verts pétillent, leur attention focalisée sur le point d'incidence de mon regard. A l'abri sous une vitrine, il présente les différents travaux qu'il exécute, de la gravure avec et sur tous types de métaux. La finesse de son travail est remarquable.

Pas le moins du monde, monsieur, lui dis-je de façon détachée. J'apprécie seulement la finesse de vos créations et le caractère... atypique de votre boutique.

S'inclinant légèrement, il ne juge pas nécessaire de poursuivre et s'efface lentement vers l'arrière boutique. A ma grande surprise, il en ressort deux personnes qui ne veulent visiblement pas s'attarder plus longtemps. Seulement l'un d'eux me reconnaît. Et moi aussi.

Ca alors, Raine Athalia !

Kenan Griby. Il a l'air infiniment plus ravie de me voir que moi de le voir à en juger par le grand sourire qu'il m'adresse. J'ai du mal à croire que je puisse tomber sur ce genre d'énergumène ici et c'est pourtant bien lui qui me fait face, ses grandes dents blanchies pourraient presque me renvoyer mon reflet.

Alors, commence-t-il tournant lentement autour de moi, comment ça va depuis la dernière fois, dit-il en posant doucement ses mains sur mes épaules.J'imagine que tu ne sais pas où se trouve Caléris, me demande-t-il, à nouveau face à moi.

Comment pourrais-je oublier ? Déplumer des gens aux cartes fait partie de nos passe-temps avec Joyo, on en a l'habitude mais celui-ci, en plus d'avoir une rancune tenace, est un joueur hargneux qu'on ne dépouille pas si simplement. Il s'avère même que Caléris lui doit de l'argent. Or je ne sais pas où se elle se trouve en ce moment. Son regard change alors qu'il attend ma réponse, sérieux, pénétrant, ses pupilles braquées sur les miennes. Il est plus grand que moi mais je doute qu'il fasse le poids, même à deux contre un. Cela dit, l'idée de mettre le bazar dans une si jolie boutique ne m'enchante pas. J'essaye donc de calmer le jeu.

Ecoute, Keyan c'est ça ?

Kenan, me rectifie-t-il sèchement.

Je vois que tu es un brin rancunier et c'est compréhensible. Laisse moi cependant te proposer un marché. J'ai à faire en ville sous peu, c'est d'ailleurs tout dans ton intérêt que je puisse m'y rendre.

Je marque une pause, intrigué par le comportement du second homme. Ce dernier ne peut s'empêcher de faire sonner les carillons. Tous les carillons.

Ian, tu veux bien arrêter, s'il te plaît. Tu disais, reprit-il après que son collègue est stoppé son manège dans un haussement d'épaule désintéressé.

Une fois mon affaire terminée, je contact Caléris et on pourra régler notre petit différent autour d'une partie.

Il recule de quelques pas et semble plongé dans une profonde réflexion, sa main gauche jouant entre les poils de sa barbe. Ses yeux ne me quittent pas pour autant.

Tu crois que tu tiendrais combien de temps sans l'Empire derrière toi, me lâche-t-il dans un grognement susurré au creux de mon oreille.

D'un signe de main il invite son collègue à le suivre dehors et, avant de disparaître, me glisse qu'il m'attend dans un bar, quelques étages plus haut, sans oublier de préciser que le monde s'abattra sur moi. Ce ne sont pas littéralement ses mots, mais c'est l'idée. Jetant un œil à l'heure, je réalise que je ne ferais pas honneur à ma ponctualité. A quelle vitesse passe le temps ici ?

C'est en accusant un retard de quelques minutes que je me présente, ainsi que mes excuses, à Elena. Ayant enfilé une simple robe noir, ni trop chic, ni trop banale. Une chance que je n'ai pas eu à me battre plus tôt. J'aurais fait mauvaise impression au milieu de tous ces officiers. Je m'installe, souriante, ravie de revoir Elena. Le Romunga nous offre le cadre idéal pour un petit repas entre amies, son éclairage sobre et élégant, sa nourriture exquise et sa clientèle impeccable sont un terreau fertile à une excellente soirée. L'eau me vient à la bouche quand j'énumère mentalement les plats que me propose cette carte. Bien que tentée par chacun des mets présent au menu, je me décide finalement lorsque le serveur fait son apparition pour prendre notre commande. Mon ventre gargouille quand il repart en direction des cuisines.

Et bien, ça commençait à faire un petit moment qu'on ne s'était pas vu ! Je te remercie pour l'invitation, c'est toujours agréable de bien manger, en bonne compagnie de surcroît. Mais dis-moi plutôt, comment vas-tu ?

Les mains croisées sur la poitrine, je suis impatiente de savoir ce qu'elle a à me raconter.

J'opte pour une salade en entrée, quelque chose de léger pour préparer le plat de résistance. Mon oeil a bizarrement été attiré par l'intitulé de l'épais pavé de viande rouge: Délice Carné . Avec sa cuisson saignante, sa sauce aux baies acides et son émulsion de choux-fleurs, ce plat me donne l'eau à la bouche. Je fais cependant l'impasse sur un dessert et me contenterai certainement, à la fin du repas, d'un simple café. Mais pour commencer, un apéritif, quelque chose de fort avec des glaçons. Le serveur s'en va, accompagné de mon regard qui ne tarde pas à se perdre sur une table ou une autre, prenant le temps d'apprécier cette luxueuse compagnie. Et cette vue. Ce n'est si pas souvent que j'ai l'occasion de voir Coruscant de cette façon. Tout semble si... logique.

Il est vrai qu'avec nos emplois du temps, il est difficile de conserver des liens avec nos amis et proches mais c'est une partie du métier, non ?

Je ne peux que confirmer. En y réfléchissant, il me vient en tête le nombre d'amis perdus de vue, le nombre d'événements manqués à cause du travail. Ce nombre me fait presque peur. J'y ai finalement rencontré de nouvelles personnes, certaines que je côtoie presque tous les jours depuis un bon bout de temps. Au final, je ne pense pas avoir perdu au change.

Pour ma part, je vais bien, et je me repose d'une mission bien stressante. Hélas, je n'ai pas trop le droit d'en parler Le BSI n'a pas envie qu'on répande des rumeurs sur ce genre de chose.

Comment pourrais-je lui en vouloir ? Je jouis probablement d'une plus grande liberté d'action, je suis soumise au même règlement. Techniquement on ne communique pas entre nous, les différents corps d'armée, d'autres le font pour nous. Mais, comme pour tout, des informations viennent à fuités et ne perdent pas leur temps pour se propager aux oreilles de qui le veut bien. Et au final, les révélations de telle ou telle mission ne sont une surprise que pour un petit nombre. J'imagine que j'entendrais tôt ou tard des échos d'une mission impliquant Elena.

Mais je suis contente quand même, et fière dans la façon dont mon équipage m'a suivi. Et de ton côté, quoi de neuf ?

Je donnerai cher pour monter sur le pont de son vaisseau, officier sous ses ordres le temps d'une mission, ou inversement, qu'elle vienne garnir les rangs de mon escouade. Cette idée me fait sourire. Je suis heureuse qu'elle aille bien et je crois bien être heureuse tout court.

Le serveur arrive, une carafe d'eau, une bouteille de vin et un verre contenant un liquide vermeil qui enrobe deux cubes parfaits de glaces. Au toucher le verre est froid et l'alcool est plus visqueux que liquide. Je lève mon verre à notre santé avant d'y boire une bonne gorgée. Le goût est semblable à celui de la fraise. Une fraise à laquelle on aurait fais passer un lourd traitement chimique qui, en bouche, foudroie mes papilles gustatives. puis, étrangement, quand l'alcool fais son chemin il cesse de brûler et sublime la fruit sous tous ses aspects aussi bien acide, que sucré. Un coup de fouet revigorant.

Et bien figure toi que j'ai moi aussi des gens dont je peux être fière. Tu dois certainement te souvenir de Caléris, et bien celle-ci me colle toujours autant au train. J'ai pu petit à petit reconstituer une escouade, pendant ce temps on m'envoyait où mes talents pouvaient servir. Tu t'imagines que j'ai vu quelques champs de bataille. Faudrait que je te présente les trois autres.

Je continue de lui expliquer que l'escouade est au complet depuis quelques mois seulement, tout en sirotant mon verre et que, finalement, je n'ai pas été aussi inexploitée que j'ai pu le craindre. Nos entrées arrivent avec un timing parfait, les glaçons résonnent encore dans le verre que je viens juste de déposer qu'ils s'éloignent déjà, emportés par le serveur. A l'instar de ses fruits de mer, ma salade est colorée et prometteuse de voyage pour mes papilles. Du jaune, du orange et une nuance de vert très sombre se mélangent parmi tous les grains de ce qu'il me semble être de la semoule, du moins un mélange entre de la semoule et du maïs. Etrangement appétissant.

J'ai rarement mangé quelque chose d'aussi sophistiqué. Jamais à vrai dire. Je pourrais me perdre dans cette rosace végétale, volontairement happée par ce festival de couleurs qui s'offrent à mes yeux. Jaune, vert et rose sont organisés en torsades autour d'un anneau de ce qu'il me semble être une mousse de… betterave, oui c’est bien de la betterave, quoi qu'ayant un aspect assez gélatineux. Et le motif se répète, ses arrangements alternés dans une logique que je ne cherche pas à saisir. Cependant, malgré une assiette alléchante, la crainte d'une surcharge de goût en bouche me fait hésiter à prendre une première bouchée. Je décide donc d'attendre, finissant mon cocktail d'une longue gorgée, puis, d'un signe du doigt, invite le serveur à me rapporter la même chose.


Je vois que tu as une bonne équipe, tant mieux.


Pas la meilleure, pas encore. Mais avec un peu de temps et quelques entraînements supplémentaires, je doute que les rebelles puissent nous résister bien longtemps.  


Cela m'inquiète un peu ces missions commandos, alors que les rebelles deviennent toujours plus nombreux et violents.


Son inquiétude me va droit au cœur. Cela dit, je lui fais remarquer que l'Empire sait ce qu'il fait quand il nous envoie... et bien là où il nous envoie. L'arrivée de mon second verre nous interrompt brièvement après quoi je tente de me montrer plus rassurante.


Tu n'as vraiment pas à t'en faire, je t'assure. Une gorgée. Je ne vais pas te mentir, ça chauffe par moment... souvent. Et je m'en plains pas, loin de là, tu me connais, tu sais comment je marche. Plus ça barde, mieux je me sens. Une autre gorgée comme pour célébrer ces glorieux moments. Mais tu as raison, pour les rebelles, précise-je, ils semblent avoir de la ressource et c'est pas la réussite qui leur manque. Mais compte sur moi pour leur saper le moral du mieux que je peux.


Je me décide, finalement et après avoir vider  , à piquer les premiers légumes de mon assiette avec la pointe de ma fourchette et commence à satisfaire mon désir de curiosité et mon besoin de simplement manger après une journée à fureter dans les rues de Coruscant. Pois et betterave viennent tapisser l'intérieur de ma bouche balayant doucement l'acidité du cocktail pendant que poivrons et carottes, au délicates notes sucrées, s'attèlent à me faire découvrir une nouvelle palette de combinaisons gustatives et sensitives.


D'ailleurs, tu sais si ton unité va être rattachée à un secteur ou si tu restes freelance, me demande-t-elle.


Freelance... Le mot me plaît bien, même si je vois ce qu'elle entend par là, je pense que c'est ce qui correspond le mieux à l'escouade. Pas de véritable affectation, une liberté d'action conséquente, un environnement optimal pour l'escouade Claw en somme. Mais de manière générale, l'Empire nous désigne une cible et on se met en marche lui fais-je savoir. Et avec les récentes activités rebelles, ce n’est pas la marche qui manque.


Mais c’est une situation qui me convient. Alors si les supérieurs devaient continuer à agiter leurs doigts dans tous les sens, grand bien leur fasse. Cette salade est un pur régal, articule-je, des légumes encore en bouche, je m’en voudrais de ne pas te faire goûter.  


Je lui tend une assiette  de légumes hauts en couleur au dressage encore intact malgré mes gourmands coups de fourchette.


Et qu’en est-il de toi hm ? Dans quelle région de la galaxie tu fais comprendre aux rebelles qu’on ne déconne pas avec nous ?


Je sens que l’alcool, bien que jusque là très discret, a déjà bien entamé son ascension jusqu’au système central, sublimant au passage le moindre détail du restaurant, de ses clients, son personnel, ses tables et ses chaises, ses lumières et cet léger mais très appréciable courant d’air qui parcourt la pièce et fait se dresser les poils de mes bras. Je me sens bien.

Tu n'as vraiment pas à t'en faire, je t'assure.. Je ne vais pas te mentir, ça chauffe par moment... souvent. Et je m'en plains pas, loin de là, tu me connais, tu sais comment je marche. Plus ça barde, mieux je me sens. Mais tu as raison, pour les rebelles, ils semblent avoir de la ressource et c'est pas la réussite qui leur manque. Mais compte sur moi pour leur saper le moral du mieux que je peux.

Cela ne me surprenait pas vraiment. Raine était une commando de choc et douée avec cela. On ne pouvait arriver à un tel niveau sans aimer ce qu'on faisait. Je le savais aussi non pas parce que j'ai mené des opérations avec elle mais pour ce qu'on disait sur elle, dans son dos, sur Carida. Les femmes étant peu nombreuses,, on est donc devenues amies mais j'ai du me taire plusieurs fois, vu que certains disant ce genre de chose étaient des instructeurs.

D'ailleurs, tu sais si ton unité va être rattachée à un secteur ou si tu restes freelance, lui demandais-je, avec une réponse affirmative de sa part.

Mais c’est une situation qui me convient. Alors si les supérieurs devaient continuer à agiter leurs doigts dans tous les sens, grand bien leur fasse. Cette salade est un pur régal, des légumes encore en bouche, je m’en voudrais de ne pas te faire goûter.

"Merci bien."

Je goutais donc à sa salade, sans rien dire sur ce que je pensais de la façon dont elle se comportait devant moi. Elle était mignonne à se montrer timide devant une simple salade de légumes, délicieuse certes. Franchement, difficile de dire en la voyant ainsi, dans sa robe, qu'on avait affaire à un soldat redoutable ! Franchement, je pense qu'aucun de ses hommes ne la reconnaitraient s'ils nous croisaient. Pour moi, même si j'appréciais la cuisine, c'était différent : j'ai toujours connu cela. Je suis née avec une cuillère en argent, quoi, et l'alimentation à l'académie avait été un soucis au début, autant que le sexisme.

"Délicieux, en effet."

Et qu’en est-il de toi hm ? Dans quelle région de la galaxie tu fais comprendre aux rebelles qu’on ne déconne pas avec nous ?

"On va me renvoyer dans la Bordure Extérieure, bien sur. Après tout, n'est ce pas là qu'une femme capitaine prouvera le mieux son incompétence ? Et si elle ne le fait pas, au moins elle ne pourra pas montrer que ses supérieurs le sont !"

Tout en agitant ma fourchette comme une baguette, j'avais pris le ton qu'employait un des instructeurs de Carida, qu'on connaissait toutes les deux car il formait au maniement des armes légères. Je me souviens très bien de son premier cours, dans lequel Raine et moi nous sommes rencontrées. Il était là, à parler et nous expliquer comment on doit faire pour utilise nos pistolets, mettre les chargeurs, les armer puis utiliser les cibles. Ensuite, bien sur, il a voulu montrer ce qu'il ne fallait pas faire, donc il a pointé sa baguette vers l'élève officier présente -moi- pour passer en première. Il savait aussi que je venais d'une famille riche donc il pensait que je serais nulle et qu'il pourrait me gourmander, ce qui le faisait sourire d'anticipation. Sauf que je savais déjà tirer, et que j'avais pris ce cours pour monter ma moyenne, non que j'en ai eu besoin au final, et ma performance le mit de mauvaise humeur. Pour se dérider, il fit passer Raine en second... et elle fit encore mieux que moi. Et depuis, il nous a pris en grippe, même alors que nous étions systématiquement dans les mieux notées de son cours. A moins que ce ne soit à cause de cela. Pour lui, après tout, les femmes ne savent pas se battre !

"Mais comme pour toi, cela ne me dérange pas," repris-je avec mon ton habituel. "Après tout, c'est là où je serais la plus utile. Tu veux goûter ?"

Je n'avais pas un plat aussi simple que sa salade, mais une assiette de fruits de mer, des huîtres principalement. Ce n'était pas un plat pouvant être cultivé sur Coruscant, pas plus que quoi que ce soit en fait, et cela devait même coûter une fortune pour en faire venir. J'imagine très bien des transports dédiés uniquement à cela, pour le plaisir des riches de la planète. N'ayant pas eu la même timidité culinaire que mon amie, j'avais davantage avancé dans mon entrée qu'elle, comme d'habitude d'ailleurs. Mais je ne sais plus si elle a déjà mangé un tel met avant, donc j'étais prête à lui expliquer comment faire, si elle décide de franchir le pas.

On va me renvoyer dans la Bordure Extérieure, bien sûr. Après tout, n'est ce pas là qu'une femme capitaine prouvera le mieux son incompétence ? Et si elle ne le fait pas, au moins elle ne pourra pas montrer que ses supérieurs le sont !

Moarmoran Slice ! Bon sang, elle l'imite toujours aussi bien ! Si bien que je laisse échapper un franc rire de surprise. Ce bon vieux salopard d'instructeur Slice. Quand j'y repense, j'aurais certainement fait une meilleure instructrice que lui, Elena aussi, à vrai dire, n’importe qui touchant sa cible à plus de vingt mètres aurait amplement fait l'affaire. Je ne me souviens pas être ressortie d’un des ses entraînements en ayant appris quelque chose que je ne savais pas déjà. Et à l’heure qu’il est, Slice est sûrement encore en train de vanter l’excellence de son DC-15. Bah ! Pour avoir tiré avec, il n’avait rien d’extraordinaire si ce n’est un manque évident de punch. Je dirais qu’on a le fusil qu’on mérite.


Mais comme pour toi, cela ne me dérange pas, reprit-elle naturellement, après tout, c'est là où je serais la plus utile.


La Bordure Extérieure. On y voit de tout et principalement du mauvais. Un officier a largement de quoi y faire ses preuves et dans le cas d’Elena, je doute qu’elle s’abstienne de montrer l’étendue de ses capacités, surtout face à ses supérieurs masculins.


Tu veux goûter, finit-elle en me proposant de chaparder dans son plateau de fruits de mer.


Non merci, ça ira, fais-je en levant les deux mains au-dessus de la table en signe de refus.


Il y a longtemps que je n’ai pas mangé de fruits de mer. Vraiment longtemps. Et je ne compte pas mettre un terme à ces années d’abstinence de plaisirs iodés aujourd’hui.


Crabes, huîtres et autres joyeusetés maritimes ornaient également mon assiette le soir où je découvrais les saveurs de l’océan pour la première fois. Je me souviens m’être régalée avec le crabe et ses pinces généreuses en chair, avoir grimacé de dégoût en avalant ma première huître sous le regard amusé de mes parents pendant que leurs amis riaient de bon cœur. Et puis c’est une demi-douzaine de ces mollusques visqueux qui furent confrontés à l’appétit, soudainement déclaré pour cet animal à la mâche si particulière,  d’une enfant de dix ans. Il y a bien eu un moment, alors que je mangeais je ne sais plus quoi, mais ça avait été cuit peu de temps avant d’être mangé, où quelque chose de bizarre venait de franchir le seuil de ma gorge, un je ne sais quoi qui ne laissait rien présager de bon. Il ne fallut que quelques heures à mon système digestif pour me faire comprendre que quelque chose n’allait pas. Quelle nuit atroce j’ai passé. A peine consciente lors des moments où je régurgitais, le reste est encore plus flou. Le sommeil s’est fait attendre toute la nuit, jusqu’au petit matin, me laissant aux mains de mon intoxication, sujette à une confusion permanente, ne sachant distinguer le vrai de l’illusion, incapable de donner un sens à ce que je voyais où entendais. Un état de détresse que ni la tendresse de mon père, ni les caresses de ma mère ne purent apaiser.


J’en garde un très mauvais souvenir, continue-je en riant avec plus de réserve.


Je ne compte pas m'épancher sur les détails qui pourraient lui couper l'appétit, mais je lui explique tout de même de quoi il en ressort. Picorant dans mon assiette tout en lui racontant ma terrible nuit, je finis rapidement par effacer toute trace de salade de la porcelaine.


Je n’ai jamais retenté l’expérience depuis, termine-je alors que le serveur se dirige vers notre table, un plateau vide dans les mains.


Alors qu’il débarrasse la vaisselle vide, ma bouche se dessèche, comme si la dernière bouchée avait à son tour emporté avec elle ma salive. J’avise la bouteille d’eau, pose ensuite mon attention sur celle de vin avant de finalement opter pour un petit caprice: cette petite saveur douce acide à la robe vermeil. Je le laisse donc savoir au serveur qui s’en retourne aussi vite qu’il est venu et me sert tout de même un grand verre d’eau, la sensation désagréable d’avoir la langue qui colle est tenace.


Mais dis moi, comment comptes-tu occuper le reste de ta soirée, la questionne-je curieuse et espérant, peut-être, pouvoir lui proposer une fin de soirée plus mouvementée.