Le jeune homme faillit bien lui demander pourquoi elle pensait tout à coup à porter ou non une robe, avant de se rappeler que c’était censé être la norme, pour les femmes, dans les fêtes civils, dans les bals et autres trucs du même genre. Il s’en rappelait maintenant en repensant au bal de Manaan, où Thrawn l’avait obligé à aller. Par bonheur, et grâce à l’arrivée de Veeren, il n’avait pas dû rester bien longtemps, on pouvait dire qu’elle lui avait sauvé la mise, sur ce coup-là. Il se demandait aussi ce qu’était devenue la fille avec qui il avait un peu dansé, si elle avait vraiment caché quelque chose, qui elle était en réalité. Des questions qui resteront à jamais sans réponses, à ne pas en douter, il ne la reverra sans doute jamais. Même s’il s’agissait d’une rebelle, il ne pourra pas tomber dessus avec le poste qu’il occupait. Dommage, il aurait voulu avoir certaines réponses.

– On se retrouve tout à l'heure, en ce cas ?

Il hocha la tête, convenant ensuite avec elle d’une heure et d’un point précis où se retrouver, avant d’aller de son côté. C’est en chemin pour retourner à le chambre d’hôtel où il s’était installé qu’il revit la scène du bal, le type que sa cavalière imprévue avait fui… Plagueis… Sur le moment, Eli n’avait pas vraiment fait attention à cet homme étrange qui avait écarté pas mal de monde de lui et littéralement été trouver l’Empereur lui-même sans la moindre encombre, mais aujourd’hui, le souvenir lui revenait, très précis, presque douloureux. Ce bal, décidément, avait été très riche en événements, la fin tragique. Assis dans un coin, dans le transport, il ferma un peu les yeux, avec le sentiment que ce bal s’était déroulé il y a plus d’un siècle. Tout s’était enchaîné si vite, après ça, il y avait aussi les ennuis sur Coruscant, puis le voyage vers Csilla, et enfin, la pandémie.

Eli rouvrit les yeux, avec un léger soupir, chassant cette idée de son esprit. Avec le recul, il se demandait comment il aurait pu réagir, sinon. Aller retrouver ses parents lui avait semblé si évident, sur le moment, il ne s’était pas attendu à une maladie aussi violente et virulente, encore moins à tomber sur un Sith fou furieux dans la maison où il était né. Personne n’aurait pu s‘attendre à ça, à part l’Empereur, peut-être. Bah, peu importe, à présent, y réfléchir ne ramènera personne, il ferait mieux de passer à autre chose. Avec le temps, ça ira mieux. En arrivant à l’hôtel, il y passa une bonne heure à juste se reposer et s’obliger à faire le vide, ne plus penser à rien, oublier complètement le reste de la galaxie. Il put dormir un peu, avant de quitter à nouveau l’hôtel, cette fois sans essayer de semer son garde du corps. De toute façon, ça ne servait à rien.

Le soir venu, il alla retrouver Amélia à l’endroit convenu. Les abords de la plage étaient déjà animés, Eli ignorait ce qui était fêté, exactement, ce soir, il avait juste cherché le premier truc venu pour se changer les idées. Et même s’il s’agissait d’une fête à la gloire des rebelles ou contrebandiers, ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid.

– Je n’ai plus participé à ce genre de fêtes depuis que je suis adolescent, avoua-t-il avec un petit sourire. Les cérémonies militaires sont barbantes. Vous savez danser ?

– Il est un peu tôt pour danser, non ? Pourquoi ne pas se contenter de les regarder, pour le moment ? Ou de goûter aux cocktails de fruits ?

Pour lui, ça n’avait pas une grande importance, donc comme elle voulait. D’autres personnes arrivaient peu à peu, comme eux, l’ambiance était plutôt détendue. Il suivit jusqu’au bar Amélia, tout en entendant au passage des brides de conversations. Certaines tournaient autour d’une sorte de festival qui devait avoir lieu très bientôt sur Corellia, d’autres autour de l’actualité dans les Mondes du Noyau, il entendit aussi certain parler nouveau gouverneur impérial, installé depuis quelques mois maintenant. Eli aussi en avait entendu parler, il semblait que l’homme était un des plus corrompus qui soit, un non-fait, à ses yeux, ce n’est pas comme si c’était nouveau, dans le monde politique. Les sénateurs et gouverneurs parfaitement honnêtes, il n’en avait rencontré aucun. Tout le monde a des secrets à cacher, même si ça peut ne pas être trop grave.

De toute manière, si l’armée lui avait bien appris une chose, c’est qu’il ne fallait pas trop se poser de questions, sur les sujets sensibles. Des enquêtes en apparence anodine pouvaient rapidement se révéler dangereuses, voire vous conduire à des secrets que vous auriez préféré ignorer, ou qui pouvait vous apporter de graves ennuis. Celle sur l’Étoile Noire en avait été une belle, par exemple. Il trouvait encore hallucinant que l’Empire soit parvenu à camoufler si longtemps un projet aussi énorme que celui-là… Ils pouvaient être très bons, dans le domaine. Au bar, il prit un jus de fruit local, s’assurant bien qu’il n’y avait pas d’alcool dedans. Sur Corellia, on ne savait jamais. La musique était plus forte, maintenant, la fête s’étendait peu à peu sur la plage, à mesure que le soir tombait. Rien à voir avec les cérémonies à collet monté auxquelles il avait dû assister.

– Vous avez déjà participé à des fêtes semblables ? Moi non.

– Pas depuis que je suis dans l’armée. Sinon, sur Lysatra, il y avait régulièrement des fêtes de village, des festivals, aussi. Pas mal de fêtes locales, j’en voyais sur les autres planètes quand j’accompagnais mes parents, à leur travail.

Ça ne ressemblait pas exactement à ça, bien sûr, mais c’était toujours agréable. Il en décrivit l’ambiance un peu plus précisément à Amélia. Les parades agricoles, concours et jeux organisés pour les enfants, courses de speeders et autres activités du même styles, danses… Penser à ça lui redonnait un peu le sourire, il n’avait eu aucun souci particulier, à l’époque. Une vie simple, en famille et avec les amis, où les échos du reste de la galaxie étaient particulièrement faibles, voire inexistants. Inspirant un peu, il repoussa de nouveau ces souvenirs, histoire de conserver son calme. Puis but quelques gorgées le temps de se redonner contenance, tout en regardant les premiers danseurs se lancer sur une piste improvisée, dans le sable. Il aurait peut-être dû se changer quand même, finalement, d’autant plus qu’il faisait chaud. Bah, tant pis.

– Sinon, j’ai surtout vu des cérémonies militaires et des « fêtes » qui n’en sont pas vraiment. Des réunions d’arrivistes venus gonfler leurs relations sociales, rien de très intéressant. Coruscant est un bon endroit, pour ça.

Cette planète était franchement oppressante, il ne comprendra jamais pourquoi tant de personnes tenaient à y vivre. Trop peuplée, polluée… Rien d’agréable, ou bien il n’avait pas ouvert assez les yeux.

– Dans un avenir utopique, on pourrait avoir une République et un Empire cohabitant pacifiquement dans cette galaxie, avec Coruscant comme point de rencontres et d’échanges. Vous pensez que ce serait réalisable ? D’ici deux ou trois siècles, peut-être, il faudra au moins ça pour changer les mentalités.

– Dans un avenir utopique, pourquoi pas, mais pour cela, il faudrait changer les dirigeants de l'empire, non ? J'ignore pourquoi mais je vois mal l'empereur accepter que des mondes quittent sa nation pour refonder une république.

– Je le sais bien.

C’était utopique, de toute façon, et quoi qu’il arrive, on ne revenait pas à des systèmes passés ayant déjà prouvé qu’ils étaient faillibles. C’était comme imaginer qu’ici, sur Corellia, les personnes pourraient faire confiance à leur ex-général robot une seconde fois, impossible, autrement dit. Il voudrait bien savoir ce qui avait traversé l’esprit des gens, à chercher ainsi une forme d’indépendance, alors que leur planète était dans les Mondes du Noyau, qu’il ne fallait que quelques heures à Coruscant pour envoyer tous les renforts Impériaux possibles, y compris les plus lourds, et qu’ils n’avaient pas eu assez de temps pour savoir s’ils pouvaient ou non avoir confiance en l’ex-second de Bonteri, une fois ce dernier disparu quelque part dans l’Espace Sauvage. Demander ça directement aux concernés ne serait pas la meilleure chose à faire, cela dit., pas la peine de ramener un sujet aussi brûlant sur le tapis, surtout au milieu d’une fête. Il tenait à rentrer de ce voyage en vie et entier.

– Dites-moi plutôt, à quoi ressemblerait une fête digne de ce nom, pour vous ?

– Un peu comme celle-ci, sourit-il en pointant la foule sur la plage avec son verre. Sans uniformes ou discours guindés, à l’air libre, avec des membres de sa famille et des amis. Avec moins de tensions dans l’air, aussi, sur un monde plus tranquille. Pas de timbrés dans le coin qui font leurs expériences.

Breeef. Une fête simple sans dingues ou sans tarés voulant détruire des planètes toutes entières ! Ce n’était pourtant pas compliqué. Il trinqua avec Amélia, faisant au moins l’effort de plus sourire et se concentrer sur le moment présent. Il aimerait bien aussi, de nouveau assister à une des grandes foires qui avait bercé son enfance, des occasions idéales pour retrouver de vieux amis et se détendre, mener son commerce et s’amuser. Il raconta l’une de ces foires de campagne à Amélia, comme il en existait des centaines à travers tout l’Espace Sauvage. Une des plus grandes où il avait été, à douze ans, avait réuni plus d’un millier de personnes, natives de la planète ou venues d’ailleurs dans le secteur, il avait sept ans et c’était la première fois qu’il avait assisté à une course de chasseurs. S’il avait trouvé ça alors impressionnant, depuis, il en avait vu d’autres, au point que ça en avait perdu de son charme.

– Je n’aime pas vraiment les Mondes du Noyau, avoua-t-il. Mais ça doit être parce que la première impression a été très mauvaise.Il y a des planètes magnifiques ici aussi, comme Alderaan, une fête là-bas, ça doit valoir quelque chose.

Si la capitale avait fini d’être reconstruite, du moins… Tarkin n’y avait pas été de main morte. Bon, ça, pas la peine de l’ajouter, ça remontait à des mois, un an, même, les travaux étaient sans doute tous terminés, depuis le temps.

– Il y aura de nouveau les fêtes du Jour de l’Empire, bientôt. La nouvelle vague des fêtes guindées. Vous vous êtes déjà retrouvée coincée là-dedans ?

– Pas si je peux l'éviter. Ce genre de pseudo fête pour célébrer la naissance d'une dictature ne me passionne pas. Et puis, je n'ai jamais vu un défilé militaire comme une fête. Pour une fête, il faut de la musique joyeuse, entraînante, pas une marche militaire.

Les fêtes de cette fameuse semaine en servaient pas qu’à célébrer la naissance de la dictature ou divers massacres au nom de l’Empire ou la gloire de la nation, c’était aussi des lieux de rencontre intéressants. Des moyens de se faire des relations. De rencontrer des partenaires discrètement, nouer des liens, arranger des contrats, plus ou moins légaux, s’occuper des affaires économiques et politiques. Il y avait largement de quoi faire, quand on jouait avec tout, et tout le gratin de la sphère politique allait s’y retrouver, bien entendu. Cette année encore, ce sera le nid des intrigants et autres arrivistes, comme d’ordinaire, le rendez-vous annuel incontournable des politiciens. Au moins, avec un peu de chance, il ne sera pas obligé de s’y rendre, cette fois-ci. Il verra bien, connaissant Thrawn, il attendait sûrement avec un autre plan tordu en tête, pour les prochains mois.

Enfin bref, d’ici là, il avait un peu de temps. A la fin de ses vacances forcée, s’il faudra du temps avant de retourner dans l’Espace Sauvage, le temps de voyage à lui seul allait prendre des jours entiers. Eli s’assit sur un petit muret juste à côté du bar, verre en main, observant un moment les danseurs se rassembler sur la piste. Au fond, même ici, il n’arrivait pas réellement à se détendre, quand bien même c’était plus facile qu’auparavant. Ce qu’il aimerait vraiment, ce serait se trouver avec la famille ou de vieux amis, dans un endroit où l’Empire n’avait jamais mis les pieds, et où on ne se demandait pas en permanence si on était suivi ou surveillé. Il devra faire attention, d’ailleurs, même si le BRI n’avait jamais fait mine de le convoquer ou autre, on ne savait jamais.

Il ne savait pas non plus s’il devra retourner dans l’Ascendance à un moment ou un autre, ni pour y faire quoi. La dernière fois ne s’était pas si mal passé que ça, mais bon, Eli n’avait pas réellement compris ce que Thrawn avait attendu de lui, au juste, en l’envoyant avec Veeren, la dernière fois. Quant à lui poser la question platement, ça ne servira à rien, il n’aura pas de réponse. Mais bon, il finira bien par comprendre tout seul tôt ou tard, non ? Il parla un peu avec Amélia de sujets plus légers, qui n’engageaient à rien, tout ce qui pouvait faire éviter de revenir sur des affaires plus graves ou juste y penser. La fatigue lui pesait, malgré tout… Il finit par se relever, après avoir terminé son verre, adressant un sourire à Amélia.

– Merci pour tout, c’était une journée agréable. On se reverra peut-être un jour.

Quoi qu’il en doutait mais il n’avait pas pour habitude de donner des adieux définitifs aux gens. Il lui tendit donc la main pour lui dire au revoir, au moins content d’avoir pu passer avec elle des moments parfaitement normaux et innocents, c’était devenu très rare…