Dommages collatéraux [Opaline]

Beaucoup de choses s’étaient déroulées depuis qu’il était revenu à la vie. Même avant, d’ailleurs. Mais maintenant qu’il avait la possibilité de faire des choix différents de son ancienne vie et avait un nouveau regard sur la galaxie et ses ficelles, il aurait été idiot de ne pas saisir cette chance que la Force lui présentait sur un plateau d’argent.

Maul avait apprêté un vaisseau pour se rendre sur l’une des planètes qui fut la première victime du courroux de l’Empereur nouvellement couronné : Caamas. Du moins, de manière officieuse… les rapports officiels certifiaient que ce n’était absolument pas le cas mais cela n’avait pas empêché les rumeurs de se propager et les planètes encore intactes de prendre peur et de se joindre à l’Empire.

Et comme chacun sait, les rumeurs et les légendes ont toutes un fond de vérité.

Le Zabrak avait besoin de voir cela de ses propres yeux. Non pas que ce soit une obligation, mais sa rancune envers l’Empire – et en particulier Palpatine – pour avoir détruit tout ce à quoi il tenait et l’avoir jeté comme un outil devenu inutile demeurait présente. Visiter cette planète était un devoir moral qu’il s’obligeait à tenir pour conserver cette colère en lui.

Il ne fut pas déçu.

À peine son vaisseau entra-t-il dans l’atmosphère de Caamas qu’il put constater de lui-même à quel point l’écosystème de cette planète avait été dévasté. Des ruines à perte de vue où la nature avait repris ses droits. Les Ithoriens de cette planète avaient payé le prix fort pour s’être opposé à l’Empire. Il ne compatissait pas à leur sort, il savait ce qu’il en coûtait de tenir tête à Sidious.

Mais s’il pouvait glisser un grain de sable dans les rouages de l’Empire, il ne se gênerait nullement.

Maul sortit brusquement de ses pensées en percevant un écho dans la Force. Un écho qu’il ne connaissait pas. Pas un Jedi, cela se rapprochait davantage du Côté Obscur. Par réflexe, sa main se porta à la canne où était dissimulé son sabre-laser.

- Qui va là ?

Les yeux jaunes cerclés de rouge du Zabrak tombèrent sur la silhouette féminine qui venait de prendre la parole. Une jeune fille d’apparence menue. Ce qui le surprit fut qu’elle mangeait une sucrerie.

Bien qu’elle ne l’avait pas – encore – attaqué et n’avait pas une attitude hostile à son égard, sa vigilance demeura accrue. Il ne la connaissait pas, pas plus qu’il ne savait ce qu’elle pouvait faire. Dans tous les cas, il distinguait sans mal le Côté Obscur en elle et son instinct lui soufflait de ne pas baisser sa garde.

Il laissa lentement retomber sa main de son sabre dissimulé, montrant par là qu’il ne comptait pas non plus l’attaquer.

- Et que me veut la souris perchée sur son rocher ?

Dans la périphérie de son champ de vision, il nota qu’il n’y avait personne d’autre hormis eux. Pourquoi une adepte du Côté Obscur était-elle ici ? Grande et vaste question… surtout que l’Empire avait délaissé cette planète depuis le regrettable « accident » qui avait coûté la vie à bon nombre de créatures.

Passer le temps ? Ici ? C’était bien la première fois qu’il entendait ce genre d’argument. Surtout que, comme elle l’avait souligné ensuite, cette planète était morte. Du moins, en ce qui concernant bon nombre de ses créatures et habitants. Il ne tenait qu’aux Ithoriens de tenter de refaire des cultures de plantes ayant existé et de coloniser de nouveau leur monde.

Maul continua d’observer la jeune fille qui semblait en faire tout autant, comme s’ils se jaugeaient réciproquement.

- Je suis venu voir de mes yeux le résultat d’un… accident, répondit-il en mettant l’emphase sur le dernier mot pour bien faire comprendre qu’il n’y croyait absolument pas.

Les Caamasis étant un peuple pacifiste de nature, l’Empereur avait bien avancé ses pions en frappant cette planète inoffensive. L’exemple pour la postérité, comme diraient certains. Le résultat avait été au-delà de toutes espérances, de ce qu’il en avait appris. Bon nombre de planètes prompt à discuter l’Empire de Palpatine s’étaient aussitôt couchées. Bien sûr, il en restait quelques-unes qui avaient leur fierté. Sans compter que les Caamasis encore vivants avaient été emprisonnés par l'Empire.

- Tu viens d’ailleurs ?

La question avait été brute de décoffrage et sans aucune forme. Ce qu’elle lui avait dit sur le fait qu’elle avait connu ce monde plus jeune l’avait fait tiquer. Déjà qu’il estimait qu’elle était assez jeune, il doutait qu’elle voulait parler de quelques années plus tôt. Peu de parents laissent leurs enfants voyager ainsi dans la galaxie.

Voir la folie de l’Empire. C’était plutôt bien résumé.

- En effet.

Une réponse assez simple qui ne nécessitait pas plus d’explication. Et la folie, il la voyait… tout comme il la ressentait. Ce n’était pas comme dans ces données dont il avait entendu parler par le passé concernant Nathema et son Seigneur Sith qui avait tué tout ce qui se trouvait sur cette planète. Y compris la Force elle-même.

Les changements sur Caamas étaient plus visuels que morals.

Son attention se reporta pleinement sur la jeune fille qui venait de lui répondre. Sa non-appartenance à cette planète était certaine, mais elle lui confirma ce qu’il pensait déjà : elle ne venait pas de cette époque. À laquelle appartenait-elle exactement ? Il n’en savait rien et ne tenait pas vraiment à le savoir. Pas pour le moment.

- Tu ne sembles pas porter l’Empire dans ton cœur, nota-t-il tandis qu’il s’approcha d’une des ruines pour en soulever la mousse du coin de son pied de métal pour voir ce qui se cachait dessous.

- Je ne cherche rien.

Il fit quelques pas de plus dans la mousse végétale qui avait recouvert les ruines aux alentours. Ses yeux balayèrent avec lenteur les nombreux édifices aujourd’hui écroulés mais qui, fut une époque, avaient dû s’élever haut vers le ciel de cette planète. De quoi rendre malade tous ceux qui appréciaient la beauté de Caamas.

Pourquoi ils avaient tout rasé ? Lui avait la réponse.

- Les Caamasis se sont opposés à l’Empire et son tyran. Leur planète a servi d’exemple pour la galaxie.

Le Zabrak reporta son attention sur la jeune demoiselle.

- Toute époque à ses conflits, même si on ne les voit pas toujours.

Souvent, il s’agissait de la guerre constante entre le Côté Obscur et le Côté Lumineux. La galaxie n’était que le grand plateau de jeu sur lequel les pieds représentant chaque avatar de ce pendant opposé s’affrontait sans relâche.

- Et de quelle époque viens-tu ?

Il ne pouvait lui donner tort concernant les guerres, quand bien même il en était aussi un agent malgré lui. Les missions d’assassinat n’avaient pas été là par hasard… elles avaient servi un but bien plus grand.

Le Zabrak arrêta toutefois son mouvement et dévisagea très clairement la « fillette » mangeuse de bonbons qui continuait tranquillement son festin.

Naga Sadow ? Incroyable… elle avait connu l’un des deux Seigneurs Sith s’étant disputé la « succession » du plus grand Seigneur Sith que cette galaxie ait pu offrir : Marka Ragnos. On racontait que le spectre de ce dernier était venu mettre un terme à l’affrontement lui-même.

Si cette gamine avait connu de tels personnages, elle était encore moins à prendre à la légère que son apparence le suggérait.

- Je suis d’ici… et un peu d’ailleurs : je suis mort il y a trois ans, répondit-il assez simplement.

Ce qui, en soit, n’était pas faux. Le temps avait continué de s’écouler alors que la Force l’avait ramené dans son monde. Bien sûr, cela n’avait rien à voir avec les millénaires qui les séparait de Marka Ragnos.

Maul secoua légèrement sa tête non sans un léger sourire quelque peu amusé. Des questions ? À une époque, il en aurait eu. Des centaines, même. Maintenant, ce n’était plus vraiment le cas.

- Non, je n’en ai pas.

Il se mit à marcher lentement, enjambant soigneusement certaines ruines tout en continuant de regarder autour de lui. Combien de temps serait nécessaire pour faire en sorte que cette planète soit de nouveau habitable ? Beaucoup de temps, de son point de vue. Tout avait été tué sur place, il faudrait un long moment avant que quelque chose ne repousse sur ce sol damné.

- Détrompes-toi : j’ai été absent que trois ans mais cela a semble-t-il suffit à mettre le bordel dans les affaires que j’avais en cours.

Le Zabrak préféra ne pas entrer dans les détails. Il ne la connaissait pas et même les personnes qu’il estimait connaître ne savait pas tous les détails de sa vie privée.

Mentalement, il prit bonne note sur le fait qu’elle se proposait d’étancher sa curiosité quant à l’époque de Marka Ragnos et de ses descendants. Pour l’heure et comme il l’avait fait comprendre, ce n’était pas sa priorité : les temps anciens resteraient anciens et attendraient sagement qu’on vienne explorer leurs secrets.

Maul ne répondit pas vraiment à la question rhétorique qu’elle se posait. Bien sûr, il avait quelques réponses sous le coude mais il doutait qu’elle veuille les entendre. Comme il doutait qu’il valait mieux éviter de trop argumenter ou enclencher un débat houleux avec cette jeune fille. La mention concernant les poisons ne fit que conforter cette opinion.

Il leva la tête d’une stèle ébréchée qu’il était en train d’examiner pour la regarder.

- Tu devrais regarder du côté du marché noir, la plupart des plantes utilisées dans les poisons et qui n’ont l’air de rien se retrouvent souvent là-bas sous couvert de fleuristes. Je peux t’aider à en avoir si tu me fournis une liste précise, ajouta-t-il en reportant son attention sur la ruine.

S’il s’y connaissait ? Bien sûr. Après tout, il avait une organisation criminelle à charge. Le marché noir était donc un second lieu de vie pour lui.

- Au fait, comment te nommes-tu ?

Le Zabrak avait un « léger » doute sur le fait que son interlocutrice aimerait qu’il l’appelle « gamine » ou « fillette ». Très léger doute.

Le Zabrak n’aurait su dire si elle avait raison ou tort : il n’était pas si éloigné de sa « mort » pour comparer les époques dans lesquelles il avait vécu et celle actuelle. Aussi il n’insista pas sur ce sujet. Elle trouverait son bonheur quand elle le trouverait, les empoisonneurs étaient assez tatillon sur ce principe et il le savait.

Opaline, donc. Un nom étrange mais à consonance assez jolie. Les surnoms le firent sourire quelque peu, cela ne l’étonnait pas. Même si quelque chose lui murmurait que peu de gens se permettaient de l’appeler ainsi… sauf en toute connaissance de cause.

- Maul, répondit-il à son tour.

Il se pencha pour récupérer une sorte de pierre polie qu’il observa un moment avant de la rejeter à terre. Il s’adossa ensuite contre le muret de pierre recouvert de lierre détruit de ce qui semblait être un ancien temple dissimulé.

- Dis-moi, Opaline… tu es une utilisatrice du Côté Obscur, n’est-ce pas ? Pourquoi l’Empire te rejetterait ?

Maul sentit clairement de la rancune et de la colère venant de la « gamine » en question. Le genre de chose que peu de Seigneurs Sith aimeraient croiser en chemin… pourtant, cela semblait être le cas. Laissée à vagabonder seule dans la galaxie alors qu’elle aurait très bien pu être utile à l’Empire pour ses talents d’empoisonneuse. Il misa sur le fait que, justement et comme elle l’avait dit, elle était trop jeune pour être prise au sérieux.

Il l’observa un moment, se demandant de qui elle parlait avec ce « Seigneur Fou »… personne ne lui venait à l’esprit, pas même son ancien maître.

- Attends.

Une brève idée venait de germer. Elle était encore frêle, mais elle pouvait prendre racine et convenir. Pour peu qu’on lui donnait une terre où s’enraciner correctement. Et puis, si personne ne désirait avoir une telle plante dans les pattes…

- Tu pourrais rejoindre mon organisation. Comme tu l’as deviné, je suis un adepte de la Force mais je n’appartiens ni à l’Empire ni à cette rébellion : j’ai mon propre camps. Tu dis avoir des talents avec les poisons, pourquoi ne pas les mettre à profit pour nuire à cet Empire qui t’a rejeté ? L'Empire et tous les autres.

Le Zabrak l’observa un instant en silence.

- À moins que tu ne désires absolument pas te mêler de ça et préfère rester dans ton coin.

Des questions. Plein de questions. S’il était venu sur Caamas pour voir de lui-même de quoi l’Empire était capable – quand bien même il en avait eu une vague idée par le passé – il ne s’était certainement pas attendu à débaucher une probable collaboratrice. Comme quoi la Force pouvait être assez surprenante.

Maul leva ses deux mains à hauteur de poitrine comme s’il tentait d’arrêter le flot d’interrogations de son interlocutrice.

- Je te propose de travailler pour moi. Vois cela comme un job : tes talents sont mis à contribution pour notre syndicat et, en échange, tu as une paie et un toit.

Bien sûr, les détails pouvaient être discutés comme tout travail.

- Des missions d’assassinat, de la recherche d’informations, de la mise en vente sur le marché noir… il y a tellement de possibilité que la liste serait trop longue à te dire. Sans compter que cette planète n’est pas vraiment le lieu pour en discuter.

Le vieux pruneau ridé ?

Sur ce point, elle devait probablement parler de Palpatine. Il avait vu les holo-transmissions du Sénat tout comme il avait vu le visage de l’Empereur lorsque celui-ci l’avait torturé durant ces jours sombres passés dans une prison. Rien qu’à ce souvenir, la colère commença à bouillir doucement en lui. Il dut serrer les poings pour la maîtriser tout en la laissant doucement infuser dans ses veines.

- Le vieux pruneau, oui…

Maul inspira lentement et expira profondément pour calmer l’adrénaline. Il allait proposer quelque chose à la fillette survoltée lorsqu’elle prit elle-même les devants. Mieux et plus intéressant ?

- Je t’écoute : que proposes-tu ?

Oui, il l’écoutait.

Probablement quelque chose que peu de seigneurs Sith avaient dû faire, semble-t-il.

Un sourire des plus carnassiers étira ses lèvres lorsqu’Opaline lui conseilla de canaliser cette colère qui bouillait en lui comme de la lave en fusion. Oh, il n’allait pas se priver. Il était apte à maîtriser sa colère pour la laisser se diluer en lui et lui servir en combat tout en maîtrisant la Force sans le moindre mal. Ce n’était pas maintenant que cela allait changer.

Toutefois, il évita de mentionner le fait que même sa colère ne lui avait été d’aucun secours lorsqu’il s’était retrouvé face à Sidious. L’Empereur était bien trop puissant. Sa maîtrise et connaissance de la Force était bien supérieur à la sienne.

Ses épaules s’affaissèrent légèrement tandis que son corps se détendait.

- Il n’y a aucun coin intéressant sur cette planète, tu le sais aussi bien que moi.

Après tout, toute végétation luxuriante et vie animale était morte. Il ne restait que quelques plantes envahissante comme le lierre ou la mousse où la nature peinait à reprendre ses droits.

- Nous sommes… sur Dathomir.

Maul prenait un énorme risque en acceptant implicitement de l’emmener dans la base de l’Aube Écarlate sur sa planète natale. Mais toute implication mérite une forme de risque, n’est-ce pas ? Sans compter que les compétences de la fillette âgée de plusieurs milliers d’années seraient on ne peut plus bénéfique pour le syndicat.

- Je peux te donner les coordonnées précises et on se retrouve là-bas d’ici une semaine. Cela te donnera le temps de savoir si oui ou non, tu désires vraiment nous rejoindre. Qu’en dis-tu ?