Mettre la fatigue de côté

Le matin, c’était toujours un peu plus compliqué. Et dire que ce n’était en plus que les premières semaines… Autant dire qu’elle n’était pas rendue à la fin. Ewime plaça les mains contre son front et les tempes, allongée encore sur le dos dans son lit, puis ferma les eux, s’appliquant à respirer doucement. Après les nausées, qui avaient finies par s’estomper toutes seules au bout de quelques jours sans qu’elle n’y fasse rien, c’était sa maladie qui semblait se réveiller de plus belle. Surtout le matin, au réveil, et parfois en fin de journée, si elle se sentit un peu plus fatiguée. Elle attendit le temps qu’il faut, sans bouger, respirant calmement, que les vertiges s’estompent à leur tour. Patience… Au bout de presque une heure, elle put se lever sans avoir le sentiment qu’elle allait chuter vers l’arrière, puis rejoignit la salle de bain d’un pas encore hésitant. L’eau chaude l’aida encore un peu à se réveiller et se remettre d’aplomb. Une fois sortie, elle s’habilla avec des gestes un peu maladroits, puis retourna s’asseoir, sans jamais cesser ses exercices de respiration.

Un problème la tiraillait, depuis quelques jours… Elle avait lu que prendre des médicaments, lorsqu’on était enceinte, pouvait nuire au bébé en développement. Or, des médicaments, elle en avait… Elle suivait un traitement quotidien depuis l’âge de seize ans, moment où la maladie s’était déclarée chez elle, deux pilules toutes simples qu’elle avalait tous les matins pou être capable de vivre en indépendance et sans risques. Mais ce traitement n’allait-il pas faire de mal à son enfant… ? Elle en avait parlé au médecin, qui avait alors décidé de faire des tests et voir ensuite ce qu’il convenait de faire ou non. En attendant de recevoir les résultats, Ewime hésitait à prendre son traitement, de peur qu’il ne fasse du mal à son enfant, surtout si tôt, alors que la grossesse débutait à peine, elle avait peur de perdre son bébé… Dès le début, car elle suivait un traitement et ignorait, pour le moment, l’impact qu’il aura sur lui. C’était pour cela qu’elle ne l’avait plus pris, ces trois derniers jours, et en conséquence, les troubles revenaient en force.

Ce n’est pas qu’elle se fichait d’être malade, mais il n’était pas question que ça affecte l’enfant, d’une manière ou d’une autre. Inquiète, elle se décida à contacter dès maintenant son médecin habituel, depuis chez elle, pour savoir ce qu’elle devait faire. Les résultats de ses examens n’arriveront pas avant plusieurs jours encore… Si elle ne soignait pas encore quelques jours durant, il arrivera un moment où elle ne sera même plus capable de se déplacer toute seule ou de se débrouiller. Durant son appel, ce fut ce point que pointa son docteur, qu’elle mettra aussi le bébé en danger si elle faisait une mauvaise chute ou si elle perdait ses facultés. Il fallait choisir entre les deux risques en attendant d’être fixée, somme toute ? Pas du tout rassurée, elle finit tout de même par accepter de suivre son traitement le temps d’avoir les résultats. Si seulement elle avait su, elle se serait renseignée sur tout ça plus tôt… L’idée d’être enceinte ne l’avait même pas effleurée, pour être honnête, car elle s’était imaginée avoir encore quelques années devant elle. C’était aussi pour ça qu’elle n’avait pas pensé à se protéger, avec Thrawn.

Ewime dû passer la matinée chez elle, pour se reprendre et le temps aussi que les médicaments reprennent leurs droits sur la maladie. Maintenant, elle se demandait si c’était pour ça, que son grand frère avait tant insisté pour qu’elle ait quelqu’un pour veiller sur elle, ici, parce qu’il s’était douté qu’elle préférera ne pas se soigner pour ne pas risquer la vie du bébé. Et donc qu’elle en sera assez mal. Il la connaissait assez bien pour avoir deviné. En début d’après-midi, elle se sentait enfin assez bien pour sortir vaquer à ses occupations. Se tenir occupée était bon aussi, elle ne pensait pas à ses angoisses. Au bout d’une heure, elle avait même retrouvé son sourire habituel, comme si de rien n’était. C’est en passant à la bibliothèque qu’elle remarqua que le jeune Eli était là, lui aussi. Elle ne s’était pas attendue à le revoir sur cette base avant, au bas mot, deux ou trois mois, tiens… Il lui semblait un peu fatigué, à première vue. S’approchant, elle posa une main sur son épaule et le salua avec un sourire, demandant si tout allait bien.

« Je vous croyais parti pour une longue mission. Vous en avez déjà terminé ? Vous semblez assez fatigué. »

Voilà presque… deux semaines, maintenant, qu’ils étaient sur cette base. Les jours passant, Eli s’était peu à peu calmé. Grâce à la présence de Tayla mais aussi avec le repos imposé par le médecin. Dormir plus, moins s’impliquer dans les affaires de l’armée pour le moment, prendre le temps de respirer de ne pas ressasser les idées noires sans cesse. Nirauan avait l’avantage d’être à l’écart, même si ça restait l’Empire, mais ça, Eli essayait de ne pas trop y penser. Il avait repris, depuis une semaine, les entraînements au corps à corps, parfois avec armes à feu quand l’occasion se présentait, pour avoir une occupation mais aussi se remettre d’aplomb. Tant qu’il venait sans trop protester à ses rendez-vous de suivi médicaux, Cooper lui fichait la paix là-dessus, il lui avait donné les consignes à suivre, à charge pour Eli de les suivre, histoire de rester tranquille. Il n’avait pas envie de se battre avec le médecin.

Depuis une semaine, il ne portait même plus son uniforme. C’était idiot à dire, mais sans lui, il respirait beaucoup plus librement et perdait enfin le sentiment de trahir à la fois sa famille et les survivants de Lysatra, sans oublier tous ceux ayant péris dans la pandémie. Seul le commandant Parck lui avait une remarque sur le sujet, d’un ton pincé, en lui disant d’au moins le mettre le jour où Thrawn reviendra. Oui… D’ici là, il avait le temps… S’il fallait encore se déguiser, très bien, il le fera, s’il n’avait pas le choix. Eli soupira un peu en y repensant, puis se re-concentra sur la lecture de son livre. Pas un document pour le travail, pour une fois, c’était une simple histoire, qu’il avait trouvé au fond d’un carton, prenant la poussière. Il ne savait même pas comment ce livre était arrivé là, il était rare d’en trouver sur la base.

Il lisait depuis une trentaine de minutes quand quelqu’un posa une main contre son épaule. Tournant la tête, il croisa le regard de Chaf’… Hum, Ewime, qui lui souriait en lui disant bonjour. Il le lui rendit, lui trouvant, à elle aussi, les traits tirés. Et oui, ça allait bien, très bien… Il hocha la tête pour le lui confirmer, en déposant un marque-page dans le livre.

– Je vous croyais parti pour une longue mission. Vous en avez déjà terminé ? Vous semblez assez fatigué.

– Non, ce n’est pas terminé. J’ai juste été renvoyé ici car je ne supporte plus l’Empire.

A elle, il ne voyait pas de raison de le cacher, après tout, elle était bien la mère d’une Jedi. Elle savait aussi ce qui était arrivé, comment et pourquoi, donc après tout… Il haussa un peu les épaules, sans cacher sa lassitude vis à vis de tout ça.

– Et vous, vous allez travaillez à long terme ici, finalement ? Votre peuple l’accepte ?

« Non, ce n’est pas terminé. J’ai juste été renvoyé ici car je ne supporte plus l’Empire. »

« Ah... »

Il était très… Hum… Direct. Vraiment. Ou très désabusé. Ou les deux. Sur le moment, la jeune femme n’avait pas trouvé autre chose à répondre, simplement très surprise, le fixant en serrant un petit dossier contre elle, dans ses bras. En résumé, il avait été renvoyé au beau milieu d’une mission et était sûrement, au passage, obligé de rester sur cette planète en attendant la suite ? Et il prenait ça comme ça ? Sans vouloir juger trop vite, elle trouvait tout de même qu’il était sur une pente dangereuse, il risquait de s’attirer beaucoup d’ennuis, s’il ne gardait pas ce genre de chose cachées. Enfin, ici, ce n’était sans doute pas si grave, à moins qu’il ne le dise aussi en face au commandant de la base. Ce dont il serait bien capable, comme elle y songea ensuite…

« Et vous, vous allez travailler à long terme ici, finalement ? Votre peuple l’accepte ? »

« Oui. Ils acceptent plus ou moins que des personnes viennent ici, nous ne sommes pas très nombreux, mais le Conseil n’est pas foncièrement contre. De toute manière, il serait difficile de l’empêcher. »

Elle s’assit à son tour, face à Eli, un peu fatiguée malgré tout à cause de la nuit qu’elle avait passée, même si elle se sentait tout de même bien mieux que ce matin. Avec ça, elle s’inquiétait maintenant un peu pour ce jeune homme… Le peu qu’elle avait vu de lui, jusqu’ici, était ce qu’il avait montré lors de la mission du Vol vers l’Infini, ce qui remontait déjà à un moment, et il ne lui avait pas paru aussi désabusé qu’il l’était aujourd’hui. Même si, oui, déjà à cette époque, il présentait quelques signes avant-coureurs. Sachant qu’il était ami avec son compagnon, Ewime se demandait si Thrawn ne l’avait pas envoyé ici simplement pour qu’il ne puisse pas aller se perdre on ne sait où sans préparation, avec cette envie de tout plaquer. Ce serait dangereux, avec la mentalité de ce régime, il serait sans doute aussitôt tué, s’il se faisait prendre.

« Pardon mais je reste un peu surprise. Je peux facilement comprendre que vous ne vouliez plus servir l’Empire après ce qui est arrivé. Mais si vous n’aviez pas été envoyé ici… Où auriez-vous pu bien aller ? Vous connaissez des endroits sûrs ? »

Une question à demie rhétorique, elle sentait que non, il n’avait pas de réelles idées sur la façon de procéder. Le ton de la voix, la posture. Il était perdu, en colère, aussi, sans doute. Autre détail, il ne portait plus son uniforme, comme tout un chacun ici, et ce malgré son grade. La rupture était pleinement consommée, si on pouvait dire…

« Avec ça, que deviendrez-vous ? Vous avez passé votre vie dans l’armée, c’est sans doute dans ce cadre que vous vous en sortez le mieux. A moins que vous n’ayez l’intention de rejoindre les Rebelles ? »

– Oui. Ils acceptent plus ou moins que des personnes viennent ici, nous ne sommes pas très nombreux, mais le Conseil n’est pas foncièrement contre. De toute manière, il serait difficile de l’empêcher.

Sans doute. Eli ne savait pas vraiment comment leurs politiques fonctionnaient, il la croyait sur parole. Lorsqu’elle s’assit en face, il faillit lui demander si elle ne voulait plutôt prendre l’air, puis se tut, conscient d’être mal placé pour ça. A la place, il alla vite fait mettre un peu de café à chauffer, puis revint à sa place, en attendant.

– Pardon mais je reste un peu surprise. Je peux facilement comprendre que vous ne vouliez plus servir l’Empire après ce qui est arrivé. Mais si vous n’aviez pas été envoyé ici… Où auriez-vous pu bien aller ? Vous connaissez des endroits sûrs ?

– Je ne serai pas parti dans les cinq minutes.

Elle avait elle aussi le don de mettre le doigt pile là où ça faisait mal. Non, il ne connaissait pas vraiment d’endroits sûrs où mettre sa famille, être sûr qu’ils soient hors de danger, ou bien une autre solution… Si seulement il pouvait disparaître sans que ce ne soit pris comme une désertion, ses parents seraient à l’abri même en restant où ils étaient, et dans ce cas-là, il n’aurait pas besoin de les effrayer ou les faire partir. Bah, il ferait bien d’arrêter de rêver, c’était complètement impossible de filer comme ça, comme si l’Empire allait accepter gentiment un tel départ. Et il ne voulait pas non plus que Tayla ait des ennuis, la laisser seule, ou la mettre en danger. Le plus simple serait encore de se faire une raison, rester à sa place, la boucler et faire comme si de rien n’était. Son cœur se soulevait de dégoût à cette seule pensée.

– Avec ça, que deviendrez-vous ? Vous avez passé votre vie dans l’armée, c’est sans doute dans ce cadre que vous vous en sortez le mieux. A moins que vous n’ayez l’intention de rejoindre les Rebelles ?

– Non, je me vois mal rejoindre la Rébellion après avoir passé autant de temps dans l’Empire. Et je ne crois pas non plus au retour d’une République, on a déjà vu ce que ça donnait. S’ils combattaient pour un autre type de régime, démocratique toujours, là oui, mais si c’est pour en revenir à ce qui était autrefois, c’est inutile. Vous voulez du café ?

Ou de l’eau, ou autre chose, ce qu’elle voulait. Lui en tout cas voulait se réveiller un peu. Il prépara avec rapidité ce qu’il fallait, tout en lui disant qu’il ne savait pas encore vraiment ce qu’il devait faire, de toute façon. Impossible de reprendre sa vie là où il l’avait laissée, avant d’entrer à l’académie.

– On verra bien, de toute façon… Je dois d’abord attendre le retour de Pellae… Enfin, de Thrawn. Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre.

« Non, je me vois mal rejoindre la Rébellion après avoir passé autant de temps dans l’Empire. Et je ne crois pas non plus au retour d’une République, on a déjà vu ce que ça donnait. S’ils combattaient pour un autre type de régime, démocratique toujours, là oui, mais si c’est pour en revenir à ce qui était autrefois, c’est inutile. Vous voulez du café ? »

« Oui, merci. »

En un sens, même si elle était un peu perplexe et perdue, Ewime trouvait aussi ce jeune garçon totalement adorable. Comme Feesa, d’ailleurs, il était mignon, et ne le réalisait peut-être pas. En l’écoutant, en revanche, elle comprenait de moins en moins pourquoi il était rentré dans une telle armée… Maintenant qu’elle en savait plus sur la Marine Impériale, ses méthodes à travers la galaxie et la mentalité de la majorité des officiers, fortement conditionnés, elle peinait à comprendre ce qui avait bien pu pousser un garçon comme lui à entrer là-dedans. Son instinct maternel la poussait à prendre Eli dans ses bras pour le câliner et lui dire de ne pas s’inquiéter, que tout se passera très bien, et elle ne se retint que parce ça ne se faisait pas comme ça, voyons, il n’était pas son fils. A la place, elle le remercia pour le café, ajoutant du sucre dedans, avant de se mettre plus confortablement contre le dossier de sa chaise. Il faisait partie de ces personnes qui étaient mignonnes sans le vouloir ou sans s’en rendre compte, par leur caractère et leur comportement.

« On verra bien, de toute façon… Je dois d’abord attendre le retour de Pellae… Enfin, de Thrawn. Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre. »

« Sans doute pas à du mauvais, il vous aime bien, ça se voit. Si vous restez ici ensuite, ce sera déjà différent de l’Empire, non ? Et ça ne vous mettra pas en danger pour rien. »

Ni lui, ni sa famille. A ses yeux, ça restait une bonne solution, mais peut-être que Thrawn avait songé à autre chose, c’était à lui de voir ça. Elle sourit à Eli pour le réconforter un peu, voulant voir autre chose que de la colère ou de la tristesse, dans son regard. C’était aussi son rôle, ici, faire en sorte que tout le monde puisse vivre, travailler et s’entendre sans qu’il n’y ait de problèmes, peu importe leur nature. Elle jouait souvent les médiateurs à cause de différences culturelles, même si rien ne lui interdisait de travailler sur d’autres terrains. Elle but un peu de café, trouvant par contre le goût bizarre, mais ça, c’était le cas déjà depuis trois ou quatre semaines. Depuis le mariage, en fait, certains aliments avaient des goûts étranges, alors qu’elle les avait toujours bien aimés avant.

« Si vraiment vous ne pouvez être soldat, il y a d’autres métiers possibles. Cette base va s’agrandir, après tout, peu à peu. Par exemple, d’ici quelques mois, en cas de besoin, je pourrai vous confier notre bébé quelques heures, si je dois partir pour Csilla, je suis sûre que Thrawn n’y verra aucun inconvénient. Si vous avez des enfants un jour, ils pourront aussi jouer ensemble. »

– Sans doute pas à du mauvais, il vous aime bien, ça se voit. Si vous restez ici ensuite, ce sera déjà différent de l’Empire, non ? Et ça ne vous mettra pas en danger pour rien.

Ici ? Sans doute… Eli ne répondit pas, eut juste un vague signe de la main, puis baissa la tête sur sa tasse de café. Il ne voulait pas l’embêter avec ça, de toute façon, elle n’y pouvait pas grand-chose et lui non plus. Quant à Thrawn, le connaissant, il sera sûrement capable de sortir une solution complètement incongrue et hors des clous, c’était aussi pour ça qu’Eli préférait attendre et voir. Depuis le temps, il avait appris à se méfier et à ne pas se faire d’idées, étant donné que son supérieur avait le chic pour trouver des plans tordus. Qui fonctionnaient, soit, mais tordus tout de même. Au moins, d’ici à ce qui le revoit, il aura le temps de se remettre vraiment en forme, surtout avec l’aide de Tayla. Et, peut-être, avoir les idées plus claires.

– Si vraiment vous ne pouvez être soldat, il y a d’autres métiers possibles. Cette base va s’agrandir, après tout, peu à peu. Par exemple, d’ici quelques mois, en cas de besoin, je pourrai vous confier notre bébé quelques heures, si je dois partir pour Csilla, je suis sûre que Thrawn n’y verra aucun inconvénient. Si vous avez des enfants un jour, ils pourront aussi jouer ensemble.

– Vous… Vous êtes enceinte de…

Il la fixa bêtement, bouche bée, comme s’il venait juste de lui pousser une seconde tête, la main levée et serrant sa cuillère sans bouger. Puis l’information se fraya enfin un chemin jusqu’à son cerveau et il en eut les larmes aux yeux, tant il fut touché.

– Félicitations ! A tous les deux, c’est formidable, comme nouvelle.

Et ça redonnait instantanément le sourire, il était très heureux pour elle mais aussi pour Thrawn, car il avait toujours cru qu’il ne pourra jamais avoir d’enfants avec une femme de son peuple, à cause de son exil. Mais ça ne se voyait pas du tout, encore, ça devait être récent, moins de deux mois, sans doute, ou quelque chose comme ça, il ignorait à partir de combien de semaines une grossesse commençait à se voir. C’était pour cela qu’elle semblait fatiguée, voire un peu malade ? Eli perdit un peu son sourire en réalisant qu’elle devait rester seule, pour le coup, c’était là le souci principal lorsque votre compagnon était dans la Marine ou l’armée. Ce n’est qu’une fois l’émotion un peu passée qu’il réalisa le reste, qu’il pourrait jouer les babysitteurs. Il ne… Enfin, il ne savait pas trop s’il était capable de bien s’occuper d’un bébé.

– Je ne sais pas si je suis capable de veiller sur un enfant, par contre, je ne l’ai jamais fait de ma vie. Vous allez rester ici même en étant enceinte ? Être seule pour cette période, ce n’est pas génial.

« Vous… Vous êtes enceinte de… »

La jeune femme allait ajouter autre chose, mais la réaction du jeune humain la fit se taire d’emblée. Un si grand sourire, même les larmes aux yeux, et elle fut touchée à son tour. Il était adorable. C’est aussi pour cela qu’elle eut un peu de mal à le croire lorsqu’il dit ensuite qu’il ne savait pas s’il était ou non capable de veiller sur un enfant. A ses yeux, il avait déjà le caractère et la maturité pour, pour le reste, ce n’était qu’une question de confiance en soi. Personne n’avait jamais aucune expérience là-dessus ! Enfin… Sauf pour ceux et celles ayant dû s’occuper de frères et sœurs plus jeunes qu’eux, après le décès des parents, ça arrivait, malheureusement. Sinon, comme tout le monde, il y avait une part de conseils suivis et une part d’improvisation, c’était très naturel, on agissait toujours du mieux possible, selon la façon dont on le sentait. Il le verra le jour où lui-même aura un ou plusieurs enfants. Pour sa part, Ewime avait vu plus souvent des femmes s’inquiéter bien plus durant la grossesse qu’après, une fois l’enfant né. Évidemment, tout dépendait de chacun et chacune, ce serait trop simple si toutes les femmes vivaient cette période de la même manière.

« Vous allez rester ici même en étant enceinte ? Être seule pour cette période, ce n’est pas génial. »

« C’est le lot de toutes les femmes ayant un compagnon engagé dans l’armée ou bien dans un travail l’empêchant de rentrer tous les soirs chez lui. Je ne suis pas vraiment seule non plus, il y a du monde, sur cette base, et mon frère vient aussi me voir. Si je préfère rester sur cette planète, c’est aussi parce que la situation du père de ce bébé pourrait soulever quelques problèmes, si son identité s’apprenait. »

C’était comme ça, Ewime ne pouvait pas lutter contre le poids des traditions et n’avait de toute manière aucune idée de comment les assouplir. C’était pour cela qu’elle avait, en quelque sorte, « abandonné », acceptant par avance ce qui risquait d’arriver si cette affaire se dévoilait en détails. Arrivera ce qui arrivera, comme on le dit. Seul Formbi restait encore très réticent à cette idée. Il était si protecteur ! Un petit sourire attendri lui éclaira le visage, alors qu’elle s’interrompait pour boire un peu de café. De toute manière, il restait plusieurs mois avant qu’il ne doive accepter la réalité, en face, il avait le temps de se faire à l’idée. Sans oublier que Namia attendait elle aussi un enfant, de quoi occuper plus encore les pensées de son cher frère. Au moins, lui avait fait les choses parfaitement dans les règles. Rencontre réglée au millimètre entre leurs deux familles, mariage dans les normes voulues par la société, puis enfin, premier enfant en cours de route.

« Vous savez, c’est normal de penser qu’on peut ne pas être capable de bien s’occuper d’un enfant avant qu’il ne soit là, prêt à naître. Surtout lorsque la situation n’est pas forcément très stable ou sûre avant la naissance ou lorsqu’il y a des circonstances particulières. Ça ne sert par contre à rien de trop s’angoisser. Pour ma part, je pense que vous êtes parfaitement capable de veiller sur un enfant. »

Elle le ressentait ainsi, voilà tout. Peut-être se trompait-elle complètement, impossible de le savoir, un ressenti n’était pas une vérité absolue.

« Vous n’avez pas déjà des neveux ou des nièces ? »

– C’est le lot de toutes les femmes ayant un compagnon engagé dans l’armée ou bien dans un travail l’empêchant de rentrer tous les soirs chez lui. Je ne suis pas vraiment seule non plus, il y a du monde, sur cette base, et mon frère vient aussi me voir. Si je préfère rester sur cette planète, c’est aussi parce que la situation du père de ce bébé pourrait soulever quelques problèmes, si son identité s’apprenait.

– Je vois…

Son peuple n’oserait quand même pas l’exiler elle ou le bébé qu’elle portait simplement parce que le père l’était, n’est-ce pas ? Il faillit poser la question, puis se ravisa, de crainte de la rendre inquiète ou la blesser. Même s’il n’en pensait pas moins. Garde l’esprit ouvert, comme on dit… Il pinça un peu le nez, se retenant de faire la moindre réflexion sur le sujet, puis but un peu de café pour se donner une contenance. Il releva un peu les yeux lorsqu’elle reprit la parole, esquissant un bref sourire, quoi qu’il n’était pas sûr de la suivre là-dessus. Il n’y avait peut-être pas de cours pour être un bon parent, mais tout de même, certaines personnes devaient être « de base » plus qualifiées que d’autres. Les personnes plus matures, plus attentives, aussi, ou qui étaient capables de prendre soin des autres et de les entourer d’affection, le plus possible.

Donc non, pour le moment, il ne pouvait être répondre être sûr qu’il en sera capable, il n’avait jamais eu d’enfant dans les bras et ignorait presque tout sur le sujet. En avoir lui-même un jour… Il y avait pensé, parfois, jamais sérieusement, pour être honnête. Il fallait au minimum avoir une vie posée, pour ça, et ce n’était pas le cas, surtout en ce moment. Tout en tournant la cuillère dans la tasse, il essaya de s’imaginer avec un bébé dans les bras, que ce soit le sien ou celui d’un autre. L’image était tellement bizarre… Adorable, mais bizarre. De toute façon, il ne pouvait pas savoir s’il était assez mature pour être père.

– Vous n’avez pas déjà des neveux ou des nièces ?

– Non, je suis fils unique. Ce n’était pas très fréquent que les couples aient plus d’un enfant, d’où je viens. J’aurai bien voulu avoir une petite sœur ou un petit frère, quand j’étais plus jeune, mais ça ne s’est pas fait.

Plus car sa mère voulait poursuivre les voyages commerciaux avec son père et ne pas rester trop longtemps seule sur Lysatra. C’était pour cela qu’elle l’avait embarqué avec elle alors qu’Eli était encore dans son berceau. Il supposait que ça avait déjà été compliqué avec un seul enfant en bas âge, alors avec deux, impossible. Mais au moins, avec les enfants vivant dans le même coin, dans le village où il avait grandi, ils avaient pu passer du temps ensemble, ça compensait l’absence de frères ou de sœurs. Mais bref, changer de sujet, il n’avait pas envie de s’éterniser sur celui-ci pour garder la face, faire comme si de rien n’était.

– Comment ça peut se passer, maintenant, pour vous ? Vous pourrez vous marier quand même ou ça sera impossible ?