Une période de troubles

Les débris s’étaient éparpillés sur une vaste zone, au milieu de la poussière. Deux chasseurs seulement avaient eu le temps de prendre la fuite, les trois vaisseaux principaux avaient été détruits, ainsi que l’installation de communication longue distance de leurs ennemis. La troisième repérée et finalement détruite. Ils s’éloignèrent tout d’abord de la zone de combat, une fois les dernières mesures prises, puis l’amirale ordonna une vérification de tout le système ainsi qu’un inventaire des dégâts infligés au vaisseau. Cette fois, bien que les Grysks n’aient pas fui le combat, ils s’étaient révélés moins revendicatifs. La bataille avait été courte, plus qu’elle ne l’avait escompté. Les uns et les autres donnaient leurs rapports rapidement, sur l’état du vaisseau. Quelques réparations devront être menées mais rien de bien important, cette fois. Parfait. Les équipes de maintenance s’étaient mises au travail immédiatement, sous le commandement de son premier lieutenant.

Suite à chaque bataille, le rituel était le même. S’occuper des blessés s’il y en avait, réparer les éventuels dégâts, fournir un rapport de combat au haut Commandement, examiner la zone, puis finalement faire remettre l’équipage en route vers la mission suivante, dans la patrouille initiale ou encore vers un des chantiers navals en cas de besoin. Ce qui était le cas pour cette fois, car même si les dégâts étaient peu importants, ils venaient s’ajouter à d’autres plus ancien et Ar’Alani ne comptait pas prendre de risque, pour son équipage. La tension était en partie retombée sur la passerelle, dorénavant. Du moins, autant qu’il était possible. Une fois toutes ses tâches remplies, l’amirale quitta à son tour la passerelle, pour aller tout d’abord s’assurer par elle-même que tout se mettait bien en place.

Un peu plus d’une semaine sera nécessaire avant de rejoindre le chantier. En remontant le long d’une large coursive, l’amirale repéra un peu plus loin la jeune Vah’nya, qui observait les étoiles à travers une baie d’observation. Avec le temps, Ar’Alani avait appris à décrypter et comprendre toutes les mimiques et expressions, y compris les plus infimes, de ceux et celles avec qui elle travaillait depuis longtemps. Or, ce qui fleurissait dans le regard de la jeune navigatrice actuellement, c’était de l’inquiétude. Elle s’arrêta auprès d’elle, d’abord en silence. Il en fallait beaucoup, pour parvenir à inquiéter la jeune femme, d’une manière générale. Elle avait déjà passé trop de temps dans la Flotte de Défense pour réussir encore à s’inquiéter d’un peu de tout, ce n’était plus une enfant.

"Tu es troublée," commença-t-elle par dire en la regardant. "Crains-tu une nouvelle attaque des Grysks ou penses-tu aux troubles récents dans l’Ascendance ?"

Personne n’osait vraiment parler ouvertement du sujet mais l’amirale savait que ce sujet allait bon train, dans son équipage, que les rumeurs filaient très vite. D’autant plus avec les récents… événements… qui avaient éclaté comme un scandale dans les journaux. Aucun des amiraux n’en disait rien mais tous se préparaient, discrètement, à devoir s’interposer entre deux familles en cas de besoin.

Comme toujours, il fallait attendre la fin de la bataille dans ses quartiers. Vah’nya était installée dans le recoin d’un canapé, occupée à lire, enfin, à essayer. Ce n’était pas la bataille en cours qui la préoccupait, elle avait une grande confiance en l’amirale et tout l’équipage, ils allaient mener cette affaire sans aucun problème. Ce qui la perturbait, c’était bien ce qu’elle lisait dans les journaux depuis quelques temps. C’était de la folie pure… A chaque nouvelle qui tombait, elle avait l’impression qu’ils approchaient un peu plus d’une grosse catastrophe. Et le plus frustrant, dans tout ça, c’est qu’ils ne pouvaient rien y faire du tout ! Ni elle, ni la flotte, ni personne, en fait, ce n’était qu’une affaire de politique. Elle reposa le questis dans un coin du canapé et soupira encore plus fort, la tête renversée en arrière contre le dossier.

Un peu plus tard, la fin des secousses du vaisseau lui indiqua la fin du combat. Peu de temps après, l’état d’alerte cessa à son tour. Elle en profita pour rapidement remettre ses chaussures et sortir de cette pièce, sentant qu’elle allait étouffer si elle resta là. Après quelques minutes de déambulation sans but précis, elle finit par s’arrêter à l’une des baies d’observation et s’appuya contre la paroi, pour regarder les étoiles. Elle se perdit vite dans ses pensées, si vite qu’elle perdit même un moment le contact avec la réalité, un peu comme lorsqu’elle se connectait à la puissance de vie pour diriger le vaisseau, lors de son quart. Dans quoi s’engageait l’Ascendance, allaient-ils en arriver à un conflit ouvert entre deux familles, avec la flotte forcée de s’interposer au milieu, ou bien cela sera-t-il bien plus fourbe ?

L’arrivée de l’amirale, dans son dos, parvint à la surprendre, car elle ne prêtait plus du tout attention à ce qui se passait autour d’elle. Vah'nya se redressa aussitôt, pour la saluer comme il se doit. En se sentant un peu coupable de ne pas avoir fait attention à ce point, ce n’était pas très sérieux et professionnel. Heureusement, l’amirale ne semblait pas vouloir lui faire de reproches là-dessus.

⎼ Tu es troublée. Crains-tu une nouvelle attaque des Grysks ou penses-tu aux troubles récents dans l’Ascendance ?

Arrivera-t-elle un jour à lui cacher lorsqu’elle était troublée ou… L’amirale la connaissait, littéralement, depuis l’enfance, il y avait effectivement peu de chance que la jeune femme arrive un jour à lui cacher ce genre de choses. Elle ne comptait pas tenter de lui mentir, bien évidemment, ce serait infâme.

⎼ Je m’inquiète moins des ennemis extérieurs que des problèmes intérieurs, ces derniers temps. Ce qui s’était passé était déjà suffisamment grave… Accuser, maintenant, un Administrateur de meurtre, je trouve ça effarant.

Un avis qu’elle ne craignait pas de partager avec l’Amirale car elle savait qu’elle n’allait pas la rabrouer pour cela ni lui rétorquer de se taire et que ça ne la regardait pas. Par bonheur, sa supérieure avait l’habitude de laisser chacun et chacune s’exprimer, partager des opinions ou des idées, pas simplement suivre bêtement les ordres et ne jamais prendre d’initiative. Bien sûr, il y avait des cas particuliers, mais globalement, elle prenait bien les personnes en compte.

⎼ Pensez-vous que ça puisse être vrai ? Qu’il n’y ait pas un autre problème, caché derrière tout cela ? Ou bien que ça puisse être juste une attaque raciste ? Si c’est le cas, le lieutenant Vanto devrait lui aussi faire partir sa famille de Csilla, au cas où.

« Une affaire civile », voilà comment le Haut Commandement avait qualifié toute cette histoire, avant de poursuivre sur l’importance de ne laisser filtrer aucun commentaire, de la part de la Flotte, encore moins de laisser faire des ingérences. Sur le principe, l’amirale était d’accord. Sur le fond, comme ses collègues et ses supérieurs devaient eux aussi le savoir, ce n’était pas si simple. Néanmoins, pour le moment, ils ne pouvaient et ne devaient rien faire. Ne pas réagir, ne pas agir. La situation étant déjà bien assez compliquée. L’amirale soupçonnait bien, par ailleurs, par qui étaient arrivés les deux personnes ayant sauvé la vie de la jeune humaine. Si ce petit détail s’apprenait, la situation ne fera encore qu’empirer. Pourvu qu’il sache ce qu’il faisait… C’était une affaire politique avant tout, elle n’était pas sereine à l’idée qu’il s’en mêle, de près ou de loin.

"Pensez-vous que ça puisse être vrai ? Qu’il n’y ait pas un autre problème, caché derrière tout cela ? Ou bien que ça puisse être juste une attaque raciste ? Si c’est le cas, le lieutenant Vanto devrait lui aussi faire partir sa famille de Csilla, au cas où."

"Je n’accorde aucun crédit à la thèse de l’attaque raciste. Quant au lieutenant Vanto, j’ai pu entendre dire qu’il allait effectivement quitter Csilla."

Ne serait-ce que par simple mesure de sécurité. Ar’Alani ne le pensait pas en danger immédiat, ou sa famille. Cependant, mieux valait être plus prudent que pas assez. Quant au reste, il était encore difficile de se faire une idée. Les journalistes bavaient sur toutes les théories possibles et inimaginables, au milieu des faits avérés. Au milieu du sensationnalisme, faire le tri n’avait pas été très évident, de prime abord. Aujourd’hui, si les choses étaient un peu clairs, il restait une forte part de doute. On ne pouvait nier les faits de base mais pour elle, il était impossible de croire en la version officielle, présentée par la police et la justice. Peu de temps après l’attaque, elle avait eu l’occasion de parler avec l’Aristocra Sev'eere'uruodo, ensuite avec Mitth’ras’safis. Puis elle avait mené et fait mener, de son côté, ses propres recherches, concernant particulièrement ce fameux ancien docteur et son association.

Les résultats avaient été plutôt édifiants. Suffisamment pour lui faire accepter la théorie de Mitth’ras’safis. Il n’en demeurait pas moins que le fond de l’affaire était politique avant tout, hors, s’il y a bien un terrain très glissant, c’est celui-ci. Des preuves commençaient à être déterrées mais toutes devaient être confirmées et confortées. Un travail lent, car cette fois très personnel, il ‘était pas question d’impliquer officiellement qui que ce soit, de la marine, là-dedans. Se tournant plus franchement vers Vah’nya, elle lui posa une main sur l’épaule et serra légèrement, pour la réconforter.

"La justice doit poursuivre son travail et chaque partie doit travailler à amener plus d’éléments pour défendre sa propre cause. Nous n’avons pas à nous en mêler officiellement. Cette affaire ne concerne pas l’armée, c’est un problème politique. Les seuls devant s’en mêler doivent être des politiciens. Ou à la rigueur, des personnes ayant assez de sensibilité politique pour ne pas être noyé dans le courant."

Par pitié, que lui surtout ne s’en mêle pas plus qu’il ne l’avait déjà fait.  Il serait bien capable d’aggraver la situation. Elle remit sa main dans le dos, avec l’autre, en reportant le regard sur les étoiles.

"Bien plus que d’autres, tu dois te tenir à l’écart de ce type d’affaires. Tu es trop précieuse, pour la flotte, pour que nous risquions de te perdre, plus particulièrement de manière aussi stupide. Il n’est plus question que tu te rendes sur Csilla jusqu’à nouvel ordre."

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Ce qui a été appris sur le docteur : 6

Si ce n’était pas la thèse raciste, alors, c’était quoi ? Tout avait dégénéré si vite… Au moins, si Eli et Tayla quittaient la planète avec leurs enfants, ça sera déjà ça de pris. L’amirale ne reprit pas pas la parole immédiatement, elle affichait n air assez pensif. Vah’nya prit son mal en patience, attendant d’avoir son avis sur la question et ce qui était le mieux à faire. Elle s’inquiétait, oui. Ne se souvenant que trop bien de la vision qui l’avait frappée de plein fouet, juste après la mission de sauvetage du vaisseau FID et de la Dame des Chaf. L’Aristocra qui s’effondrait, foudroyé par un poison, la maison de Chaf’arth’aklio en cendres et lui-même blessé… Qu’il soit aujourd’hui arrêté, pour un motif aussi grave, ça lui déclenchait une alarme interne hurlant « complot !! ». L’amirale, elle, conservait une expression indéchiffrable et lui posa calmement, le temps de parler, la main sur l’épaule.

⎼ La justice doit poursuivre son travail et chaque partie doit travailler à amener plus d’éléments pour défendre sa propre cause. Nous n’avons pas à nous en mêler officiellement. Cette affaire ne concerne pas l’armée, c’est un problème politique. Les seuls devant s’en mêler doivent être des politiciens. Ou à la rigueur, des personnes ayant assez de sensibilité politique pour ne pas être noyé dans le courant.

Mais… Vah’nya dû se mordre la langue pour ne pas laisser échapper son fond de pensée et hocha juste la tête. La politique… Elle n’avait jamais été une très grand fan de ce milieu et l’était encore moins depuis que cette affaire-là avait débuté ! Pourtant, elle arrivait à la comprendre, lorsqu’elle prenait le temps de lire et qu’on lui expliquait. Mais elle s’en lassait vite… D’une part car c’était quand même très fourbe, d’autre part car tout changeait toujours très vite et constamment, il suffisait de tourner le dos une pauvre petite heure pour que l’affaire entière soit bouleversée. Même les batailles spatiales n’évoluaient pas aussi vite ! De toute façon, les batailles avaient au moins le mérite d’être claires. Un adversaire d’un côté, les autres en face, celui qui appliquait la meilleure stratégie le plus vite possible avait gagné. Point. Alors que la politique…

⎼ Bien plus que d’autres, tu dois te tenir à l’écart de ce type d’affaires. Tu es trop précieuse, pour la flotte, pour que nous risquions de te perdre, plus particulièrement de manière aussi stupide. Il n’est plus question que tu te rendes sur Csilla jusqu’à nouvel ordre.

Ne pas dire qu’elle trouvait qu’on la protégeait trop… ne pas le dire… Inspirer un bon coup… Voilà, très bien… Elle ravala bien vite la petite tirade qui lui avait brûlé les lèvres, pour se focaliser sur le plus important. Après s’être assurée qu’on ne pouvait les entendre car elle n’avait pas envie de lancer un débat dans tout le vaisseau.

⎼ Amirale, si vous vous souvenez, j’avais eu, à la fin de la mission commune avec les FID, une vision, concernant l’Aristocra Chaf’orm’bintrano, ainsi que son Administrateur…

Elle devait sans doute s’en souvenir, n’est-ce pas ? Vah’nya s’était, littéralement, effondrée, sous la puissance de ce qu’elle avait vu, ça l’avait profondément choquée. Elle avait absolument tout raconté en détails à l’amirale, plus tard et une fois calmée. Vah’nya attendit d’abord une confirmation, qu’elle s’en souvenait bien. En reparler avait le don de rendre la jeune femme assez nerveuse. Il fallait bien dire qu’elle n’avait eu que deux fois de telles visions, au cours de sa vie. La première s’était révélée relativement inoffensive et n’avait pas porté à beaucoup de conséquences par la suite. Tel un rêve brumeux qui s’était effacé peu à peu avec le temps. La seconde, en revanche, restait très claire dans sa mémoire, même aujourd’hui. Ce n’était pas que la violence de la scène mais aussi que ça puisse arriver dans leur peuple. Or, après l’attentat contre madame Safis…

⎼ Je sais que ça ne sera jamais considéré comme une preuve valable, mais peut-être qu’en expliquant bien, ça peut peut-être aider à… Vous savez, faire comprendre qu’il y a un réel danger, qu’il y a peut-être un complot contre ce Clan.

Son ton était de plus en plus hésitant car elle pressentait que ce type d’arguments ne passera absolument jamais. Voire qu’il ne ferait qu’aggraver la situation. Cela dit, c’était en partie à cause de cette vision qu’elle ne parvenait pas à croire à la culpabilité de l’Administrateur et de sa collègue assistante.

⎼ Vous ne pensez pas que ce serait bien d’en parler aux responsables de l’enquête ?

L’amirale était toujours partie du principe qu’il était préférable de faire preuve de trop de prudence que pas assez. A moins de se retrouver dans une situation très particulière ou exceptionnelle, bien sûr. En ayant un équipage sous son commandement, cela ne signifiait pas seulement devoir donner des ordres et s’assurer que tous accomplissent leurs tâches sans faillir, cela signifiait surtout préserver leurs vies. Dans le cas de Vah’nya, c’était d’autant plus vrai et important. Elle hocha simplement la tête à la jeune femme, pour lui confirmer qu’elle se souvenait de la vision dont elle reparla, en effet. Eh bien ? Ce que la jeune navigatrice ajouta ensuite débutait mal. Elle-même devait le savoir, d’ailleurs, car elle devenait de plus en plus hésitante. Peut-être il y avait-il réellement un complot politique. Avec les nouveaux éléments obtenus, oui, elle pensait que c’était possible. Mais ce n’était alors qu’une raison supplémentaire de faire preuve d’une prudence excessive.

"Vous ne pensez pas que ce serait bien d’en parler aux responsables de l’enquête ?"

"Non, pas du tout. Dans ce genre de cas, Vah’nya, lorsque tu ignores qui est impliqué exactement et qui ne l’est pas, il est préférable de rester sur ses gardes. De faire preuve de plus de méfiance. Si un complot est véritablement en cours, contre un Clan entier, tu dois te douter qu’il implique de très nombreuses personnes, dont certaines se doivent d’être à des postes stratégiques. Des postes leur laissant plus de marge de manœuvre, soit pour dissimuler certains faits, soit pour agir avec plus d’impunités. Mettre le doigt dans ce type de guêpier ne se fait pas sans préparation."

Se méfier de leur propre peuple ne lui posait aucun problème particulier, dans ce genre de cas, surtout lorsqu’elle commençait à découvrir des éléments choquants. Après tout, des personnalités toxiques et nocives, il en existait absolument partout. Le pire restant ceux absolument convaincus d’agir pour le plus bien du plus grand nombre alors qu’ils commettaient des atrocités sans nom. Agir pour le bien de l’Ascendance était une chose, le faire en sacrifiant sans vergogne au passage des civils qui n’avaient rien demandé, c’était inadmissible. Les personnes incapables de protéger l’Ascendance sans se comporter comme des barbares ne méritaient pas leur liberté.

"Pour le moment, ne parle à personne d’autre de cette vision. Tu dois rester à l’écart de tout cela."

Le ton était assez clair, ce n’était pas un conseil, c’était un ordre. Il y avait déjà eu bien assez de remous. Pour le moment, en tout cas. Mmh, elle devra également transmettre le même ordre au lieutenant Vanto, tant qu’il se trouvait sur Csilla. Même s’il ne devait finalement rester que peu de temps là-bas, avant de reprendre le travail, elle le pensait bien capable de s’attirer des ennuis à son tour. Involontairement, cela dit, il avait un certain talent pour cela. Enfin… Elle lui fera parvenir cet ordre aussi tôt que possible. D’ici là, elle s’intéressait à l’état moral de la navigatrice. Il était difficile de prédire s’il lui arrivera d’autres visions, comme la dernière fois, où si elle allait un jour développer d’autres manifestations plus étranges. L’Amirale l’espérait, secrètement, car cela pouvait être un repère supplémentaire, chez les navigatrices. Déterminer si, parmi elles, certaines ne pourraient pas conserver leur don, avec plus d’entraînement, par exemple.

"Il est essentiel que tu demeures l’esprit apaisé. Pour le moment, la Flotte ne peut et ne doit rien faire, concernant toute cette histoire. En revanche, toi, plus personnellement, je souhaiterai savoir si tu peux débuter ou non un nouveau type d’entraînement. Ta troisième vue est toujours en place, néanmoins, je souhaiterai savoir si tu peux aller plus loin. Pour, ensuite, repérer et former des jeunes navigatrices pouvant également le faire."

Elle doutait que Vah’nya puisse lui fournir cette réponse, bien entendu, il convenait cependant de lui en parler. C’était une idée qui la tenait depuis un moment, à présent, mais dont elle ignorait si elle réalisable.

⎼ Non, pas du tout. Dans ce genre de cas, Vah’nya, lorsque tu ignores qui est impliqué exactement et qui ne l’est pas, il est préférable de rester sur ses gardes. De faire preuve de plus de méfiance. Si un complot est véritablement en cours, contre un Clan entier, tu dois te douter qu’il implique de très nombreuses personnes, dont certaines se doivent d’être à des postes stratégiques. Des postes leur laissant plus de marge de manœuvre, soit pour dissimuler certains faits, soit pour agir avec plus d’impunités. Mettre le doigt dans ce type de guêpier ne se fait pas sans préparation.

Le sous-entendu était bien… Que même des personnes appartenant à la police, par exemple, pourraient être mêlées au complot ? Son estomac se tordit à cette seule idée, tant ça lui semblait complètement effarant. Mais en même temps… Mais compris… Elle répondit cela d’un ton neutre, à l’ordre de l’amirale, plongée dans ses réflexions. Et se sentant un peu dépassée par la situation. Des problèmes politiques, des tentatives de meurtre, c’était… C’était… Enfin… Elle avait plutôt l’habitude de voir des conflits entre familles et des magouilles, mais encore rien à un tel niveau. Elle n’avait jamais pensé que ça puisse atteindre un tel niveau. Machinalement, elle serra les bras contre elle, en un geste de protection très instinctif, et les frotta un peu. Elle ne regrettait pas, malgré tout, d’avoir abordé le sujet. En parler, juste en parlait, aidait déjà. En attendant de savoir quoi faire de plus efficace.

⎼ Il est essentiel que tu demeures l’esprit apaisé. Pour le moment, la Flotte ne peut et ne doit rien faire, concernant toute cette histoire. En revanche, toi, plus personnellement, je souhaiterai savoir si tu peux débuter ou non un nouveau type d’entraînement. Ta troisième vue est toujours en place, néanmoins, je souhaiterai savoir si tu peux aller plus loin. Pour, ensuite, repérer et former des jeunes navigatrices pouvant également le faire.

Développer un nouveau type d’entraînement… C’est à dire ? Essayer de développer plus ce don si elle le pouvait pour… Un peu comme faisait la jeune Humaine Jedi ? Enfin, ex-Jedi ? Vah’nya ne put pas répondre tout de suite, en pleine réflexion. Elle ignorait totalement si elle était capable de « faire plus » que la Troisième Vue. Il ne fallait pas… Un… Comment le dire… Un truc spécial, quelque chose de plus, qui vous permette d’aller plus loin ? Un truc en plus de ce don de troisième vue ? Ou bien cette vue n’était-elle qu’un des pouvoirs possibles liés à la Force ? Mais… mais non, si c’était le cas, les autres navigatrices ne perdaient pas non plus leurs dons ! Ou si ? C’est seulement à cet instant que Vah’nya réalisa qu’elle ignorait absolument tout, en réalité, de ce don et son fonctionnement. Elle l’avait toujours utilisé par pur instinct mais n’avait jamais su sa source et encore moins pourquoi il ne s’était pas tari chez elle.

⎼ Je veux aller plus loin, amirale, commença-t-elle d’un ton aussi confiant que possible. Mais j’ignore si c’est réalisable. Je ne sais pas vraiment d’où viens ce pouvoir, personne ne me l’a jamais expliqué, j’ignore également comment le détecter chez d’autres personnes. C’est tellement instinctif. Personne ne nous a jamais offert le moindre entraînement ou de simples explications. Et qui pourrait le faire aujour…

Vah’nya s’interrompit, tout à coup frappée par une parfaite évidence. Il y avait quelqu’un, aujourd’hui, qui pouvait expliquer et former. Pourquoi n’avait-elle pas pensé plus tôt à lui demander ?! C’était tellement évident que la jeune navigatrice n’en revenait pas de ne pas y avoir songé. Directement. Elle ravala sa salive, prenant une seconde pour faire passer ce grand moment de solitude.

⎼ Admettons qu’il soit prouvé que je puisse aller plus loin, comment s’y prendre alors ? La personne pouvant aider à la formation serait forcée d’intégrer l’équipage un temps, puisque je m’y trouve et elle aura peut-être déjà d’autres responsabilités l’attendant ailleurs. Sans oublier que le Haut Commandement pourrait sourciller à l’idée qu’une personne civile embarque pour de longs mois sur un bâtiment militaire, y compris pour ce genre de missions.

En vérité, les seuls et uniques civils tolérés à long sur les vaisseaux militaires étaient les tutrices des jeunes navigatrices. Certes, un mentor pour cette mission aurait, techniquement, un rôle se rapprochant de celui d’une tutrice, le côté maman d’adoption en moins. Mais ça restera difficile à faire avaler. En particulier si la personne en question était un peu, disons, différente du reste de l’équipage.

Elle était partante, voilà déjà une bonne chose. Ce n’était pas le genre de sujet que l’on pouvait imposer et l’amirale n’en savait pas assez non plus pour juger de ce qui était possible ou non. De toute manière, tout était déjà si flou… Ils ignoraient même pourquoi Vah’nya était, pour le moment, la seule ayant conservé son don. Pour l’amirale, c’était car elle aurait pu, potentiellement, faire pleinement partie de ces Jedis… Ne pas être une simple navigatrice, si elle avait été entraînée dès le plus jeune âge. Impossible à affirmer. Pour eux, elle était précieuse, très précieuse, si seulement ils avaient la possibilité de mieux comprendre ce qu’elle était et être capables de le repérer aisément chez les jeunes enfants… Le travail que menait le lieutenant Vanto était aussi part intégrante de ce processus, ils avaient besoin de savoir plus, ils avaient besoin, plus que jamais, de préparer cet avenir. En comptant, bien sûr, sur eux-mêmes.

Aujourd’hui, c’était devenu possible. Des échanges d’information avec d’autres factions ou communautés était possible, c’était pour ça qu’ils avaient pris contact avec l’Ordre Jedi, initialement. Mais pour elle, ce n’était pas suffisant. Ce n’était pas la meilleure solution. Tout simplement car les Jedis étaient à la fois trop peu nombreux et trop éloignés, pour être capables de se préoccuper des problèmes des Régions Inconnues. Ils avaient bien assez à faire ailleurs. De plus, leur peuple acceptait si mal l’aide extérieure qu’aller au-delà d’échanges informatifs ne plairait à personne. Pire encore, beaucoup souhaiteraient voir cet accord être annihilé pour de bon plutôt que de le voir étendu au-delà d’un accord aussi basique. Il fallait essayer, voilà tout, ils n’avaient pas beaucoup de choix ni de chance. Peu lui importait la susceptibilité de la société civile sur de tels sujets, ce qui comptait avant tout était la protection globale de leur peuple.

"Admettons qu’il soit prouvé que je puisse aller plus loin, comment s’y prendre alors ? La personne pouvant aider à la formation serait forcée d’intégrer l’équipage un temps, puisque je m’y trouve et elle aura peut-être déjà d’autres responsabilités l’attendant ailleurs. Sans oublier que le Haut Commandement pourrait sourciller à l’idée qu’une personne civile embarque pour de longs mois sur un bâtiment militaire, y compris pour ce genre de missions."

"Tu serais sans doute détachée de l’équipage durant un temps, dans un tel cas."

Certes, ce serait embêtant, pour eux, mais l’enjeu était plus important que cette contrariété. Ar’Alani n’aimait guère la savoir loin d’ici, soyons honnête, elle était néanmoins prête à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour garantir sa sécurité, le temps de cette formation. Si formation il était possible d’avoir, bien entendu. Dans quelles conditions, si tel était le cas, ça restait à déterminer. L’amirale continuait d’y réfléchir tout en discutant… Les possibilités, au niveau militaire, étaient essentielles. Ils n’avaient pas le droit à l’erreur.

"Pour le moment, cela ne peut vraiment se faire, la situation est encore très tendue, nous devons patienter, le temps que les choses s’apaisent. Puis mettre cela en place discrètement. Je peux d’ores et déjà t’affirmer que personne, au sein de la Flotte de Défense, ne trouverait rien à redire à ce type de programme. Je n’ai pas besoin de l’avis d’autres que le Haut Commandement pour débuter ce premier essai. Il va sans dire, néanmoins, que cela devra rester discret, comme d’autres affaires militaires."

Ce qu’elle savait, de toute manière, déjà parfaitement. Travailler sans hurler à toute la société tous leurs faits et gestes dans le détail était une habitude prise dès les premiers pas dans l’armée. L’amirale se radoucit un peu en voyant la tension émanant toujours de leur jeune navigatrice, un regard en biais. Elle avait beau faire partir de l’armée depuis bien des années, son statut particulier ne lui avait pas permis d’acquérir la froideur de la plupart des militaires, face aux situations sortant du lot commun.

"Je ne veux pas te mettre une pression supplémentaire sur les épaules, tu en as déjà bien plus que ton lot. J’ignore si cela va marcher et comment. Même si ça ne peut se faire, ça n’en diminuera pas moins ton rôle et ta place parmi nous."