Le temps de la moisson [Rosas]

Le Zabrak se redressa quand elle fit de même sans son aide. Au moins y avait-il plus d’égratignures et autres blessures superficielles que des blessures plus graves comme des os cassés ou quoique ce soit d’autre. Au moins n’aurait-il pas besoin de la porter de nouveau ou de lui offrir une étreinte rassurante comme les deux dernières fois.

Ça aussi semblait être récurrent à chaque fois qu’ils se voyaient.

- Le goût ?

Il ne comprit pas vraiment de quoi elle parlait. Son geste avait été automatique, comme il le faisait souvent avec ses propres blessures qu’il pouvait avoir eu au bras ou aux mains. Comme pouvait le faire un animal sauvage pour se soigner. Il s’agissait plus d’un vieux réflexe qu’autre chose.

Quand bien même la Force pouvait apporter son aide pour se soigner, il préférait souvent conserver sa douleur qui lui rappelait son échec.

- De quel goût parles-tu ?

Le sang ?

Il mit quelques secondes à comprendre de quoi elle voulait parler. Ce « sang » donc. Il n’y avait même pas songé.

- Je n’ai même pas fait attention, c’est une habitude.

Le Zabrak l’observa cacher soigneusement les deux morceaux de métal dans une cavité de la montagne. Ensuite vint la colle… océan ou ville ? Il inclina légèrement sa tête sur le côté sans la quitter des yeux tandis qu’elle retournait chercher son speeder. Son esprit semblait choisir le « pour » et le « contre » des deux propositions.

- Là où nous avons peu de chance de croiser des impériaux.

Probablement du côté de l’océan si on suivait la logique. Pas d’Empire et peu de touristes… il ne s’en plaindrait nullement quand bien même la route serait longue.

Maul écouta les propos de la jeune femme concernant l’océan.

- Tu n’as jamais observé les mers sous la lune ? demanda-t-il alors qu’un léger sourire glissait sur ses lèvres.

Il en avait eu de rares occasions quand il était apprenti. Maintenant qu’il n’avait plus d’obligations envers qui que ce soit, c’était différent. Les rares fois où il avait observé la mer – ou n’importe quel autre océan – de cette manière restaient à jamais gravées en lui.

Le Zabrak s’approcha de Rosas et de son speeder.

- Tu sais que je peux aussi conduire si jamais tu es fatiguée.

Cela ne le gênerait pas, il avait coutume de faire de longs trajets de la sorte.

Au moins semblait-elle d’accord avec sa proposition de voir l’océan la nuit.

- Ça me va, répondit-il concernant l’accord pour le voyage.

De nouveau et comme les fois précédentes, le Zabrak s’installa donc derrière la jeune femme avant que celle-ci ne file en direction de leur destination.

L’avantage de ce genre de transport était qu’ils n’avaient pas besoin de parler à cause de la vitesse, du bruit du speeder et du vent qui sifflait aux oreilles. Ce qui lui convenait, il n’aimait pas parler pour brasser de l’air. Aussi fut-il tout à ses pensées et elles étaient nombreuses.

Durant le trajet, Maul se surprit même à somnoler. Pourquoi pas après tout ? Il pencha légèrement sa tête pour que son front aille se poser dans le creux de l’épaule de Rosas, faisant attention à ne pas la blesser avec ses cornes. Ses mains restant solidement accroché pour éviter tout accident, il se laissa porter par la route et glissa dans un demi-sommeil réparateur.

Lorsque la nuit tombée et qu’elle s’arrêta pour une pause, il était déjà bien réveillé.

Descendant à son tour, le Zabrak fit craquer ses poignets endoloris d’être restés trop longtemps dans la même position. Son regard se porta sur la voûte céleste au-dessus de leurs têtes.

- D’accord. Dis-moi simplement quand tu te sentiras prête pour repartir.

Le Zabrak attendit tranquillement qu’elle vérifie que tout aille bien avec leur moyen de transport. Une fois qu’il eut son feu vert, il prit place sans attendre. Quelques minutes d’ajustement furent nécessaire pour lui permettre de prendre correctement le speeder en main. Chose faite, il fila ensuite en suivant l’écran de navigation où leur destination était préenregistrée.

Durant le voyage, il sentit un léger poids reposer contre le haut de son dos. Ce qui le fit quelque peu sourire après avoir jeté un bref coup d’œil en arrière pour voir qu’elle s’était appuyée contre lui. Le trajet en soi fut assez calme, les routes étant toutes tracées et radicalement différentes de Dathomir. Lorsqu’il perçu les premiers embruns, il n’eut même plus besoin de la carte de navigation.

Sentant la légère pression sur son bras, Maul ralentit peu à peu pour finir par s’arrêter.

L’endroit avait quelque chose d’agréable et intime. Il observa longuement tout autour de lui, marchant en faisant attention à ne pas glisser sur les rochers. Au moins avait-il pensé à conserver ses bottes de cuir et un pantalon qui garderaient ses membres cybernétiques à l’abri du sable. Ses yeux jaunes se baissèrent sur la jeune femme qui s’était mise à l’aise sur le sable tandis que lui-même préférait rester debout. Simple sécurité.

- Je peux concevoir. Ce lieu est agréable.

Il fit quelques pas, s’approchant prudemment de l’eau. Voilà bien une chose qu’il regrettait… ne plus pouvoir goûter à la joie de parcourir les fonds marins en usant de la Force pour retenir son souffle. Cela étant, il n’avait pas retenté l’expérience depuis son « accident » mais se doutait que l’idée était mauvaise.

- Tu y viens souvent ?

Deux mois ou trois… ça faisait quand même un sacré bout de temps.

Maul s’assit sur le rocher qu’elle lui désigna. Il écouta avec un certain intérêt ce qu’elle lui expliquait quant aux fonds marins et ces créatures comme sa flore. Il conserva le silence un moment, sembla ruminer – ce qui était la vérité – ce qu’il entendait. Il finit par dire tout haut ce à quoi il songeait tout bas.

- Je suis jaloux.

Son regard se baissa sur les rochers à la surface de l’eau alors qu’il développait sa pensée :

- Aussi étrange que cela puisse te paraître, j’aime les abysses des océans. Plonger dans le grand fond sans savoir ce qu’on peut y trouver, sentir la morsure froide de l’eau… c’est quelque chose de si particulier.

Il émit un léger grondement rauque.

- Depuis mon… petit accident, je n’ai jamais tenté de refaire ce genre de chose. Je ne suis pas certain que mon corps synthétique le supporterait. Ce qui est dommage, un bon de minuit en ta compagnie aurait été des plus charmants, ajouta-t-il sur le ton de la taquinerie en coulant un regard volontairement brûlant sur elle.

Maul secoua légèrement sa tête, comme s’il en chassait une idée.

- Le sable et l’eau ne sont pas une priorité… c’est plutôt le fait que je risque de couler à pic si je ne fais pas attention.

Le métal avait de cela qu’il rendait les choses plus… lourdes. Son alliage n’étant pas en carbone, il avait de très grandes chances d’y rester. User de la Force pour se concentrer sur son propre corps risquait de l’épuiser, il en avait parfaitement conscience. C’était justement cela qui le faisait bouillir.

Le Zabrak lui jeta un regard sombre quand elle se vengea en lui racontant absolument tout ce qu’il manquerait. Oh, il avait une bonne imagination. Mais ça ne faisait pas tout.

- Et on dit des Siths qu’ils sont fourbes…

Il se redressa sur le rocher et se déshabilla. Complètement. Quand bien même il ne pourrait pas découvrir cette fameuse grotte, il pourrait au moins profiter un minimum de l’eau. Sans dire un mot, il laissa ses vêtements sur le rocher et se glissa dans la mer pour s’y enfoncer jusqu’au ventre. Son regard se tourna vers la jeune femme alors qu’il tendait la main vers elle.

- Tu viens ?

Le Zabrak marcha lentement sur le fond sableux – nagé était une très mauvaise idée – tout en usant de la Force pour ne pas causer trop de dégât à son corps synthétique. Curieusement, l’entreprise était relativement facile et une sorte de mince bouclier le protégeait de l’eau. Il avait juste l’impression d’être ralenti dans chacun de ses mouvements à cause de la pression de l’eau.

Par réflexe, il dressa aussitôt un bouclier quand il vit la vague d’eau arriver vers lui.

Oh, elle voulait jouer à cela ? Usant de ses deux bras, Maul riposta aussitôt par de puissantes ondulations dans l’eau en direction de la jeune femme, s’appuyant un peu sur la Force pour renforcer son effet.

Il sourit devant le résultat d’une Rosas trempée de la tête au pied. Sourire qui disparut ensuite alors qu’il l’observait.

- Tu sais, finit-il par dire d’une voix étrangement rauque, je ne suis pas certain que l’idée d’avoir gardé ton débardeur soit une bonne idée…

Hormis si c’était dans le cadre de ce genre de chose que faisaient parfois les humains sur Corellia. Comment est-ce que ça se nommait déjà ? Ah oui : concours de « t-shirt mouillé » de ce dont il se rappelait. Encore une chose typiquement humain qu’il ne comprenait pas.

- Nous n’avons pas une vue aussi développée que les Twi’lek la nuit cela dit…

À sa remarque concernant l’usage de la Force, il répondit par un léger ricanement. Après tout, n’avait-il pas dit plus tôt que les Siths étaient fourbes ? Elle en avait un parfait exemple en sa propre personne.

Il fléchit ensuite légèrement les genoux pour avoir de l’eau jusqu’au cou, appréciant la fraîcheur du contact. Un léger soupire passa ses lèvres.

- Non, ce que je veux dire est que tu peux le retirer : ça ne me gênera pas et je ne verrai rien.

Ou presque rien, si l’on omettait la clarté de la lune qui mettait en relief les formes du corps. Mais comme s’il avait déjà songé à cette éventualité, le Zabrak lui tourna le dos tout en continuant de s’aider de la Force pour se protéger des désagréments aqueux.

- Je ne regarderai pas, et tu te sentirais probablement plus à l’aise.

Le sel… il n’y avait absolument pas pensé. À force d’évoluer dans un milieu hostile, il avait appris à mettre sa douleur de côté pour se focaliser sur le but à atteindre. Aussi ne songeait-il pas un seul instant que le sel et les récentes égratignures qu’elle s’était faite durant leur petite course en montagne pouvaient ne pas faire bon ménage.

- Je n’y avais pas songé.

Ce qui était la stricte vérité.

Le Zabrak se laissa un moment bercer par les remous de la mer qui le berçait. Son regard erra un instant sur les rochers puis la ligne d’horizon, avant de se reporter machinalement sur la jeune femme allongée dans l’eau.

- La fameuse grotte ? Ce n’est pas grave.

Il en avait déjà vu bien assez, de son point de vue.

Quand bien même il peinait encore à comprendre « pourquoi » on pouvait apprécier autant ce… calme, cet équilibre. Il avait été forgé dans le fer des Sith, tout comme les Jedis ne comprendraient sans doute jamais ces sentiments forts et négatifs de leur point de vue qui pouvaient alimenter la Force… et tout comme les Siths ne saisiraient pas cette paix intérieure des Jedis.

Toutefois, il n’était pas disposé à relancer un débat houleux. Quand bien même sa visite avait plutôt mal commencé, elle s’était relativement bien terminée. Mieux valait rester sur cette note positive.

Le Zabrak secoua légèrement sa tête.

S’il pouvait éviter de voir des Impériaux, il n’hésiterait pas. Pour le moment, il demeurait dans l’ombre et tenait à le rester jusqu’à être certain d’avoir les choses bien en mains. L’Aube Écarlate conservait ses parts au marché noir mais viendrait un jour où il reviendrait sur le devant de la scène. D’ici là, il tenait à conserver son anonymat.

Sans compter qu’il avait vu assez de villes durant son ancienne vie et sa nouvelle pour trouver qu’au final, elles se ressemblaient toutes à certains degrés.

Maul revint soudainement à la réalité en entendant sa remarque.

Se faire pardonner ? De quoi est-ce que… Ah oui, le petit « incident » de ce matin lorsqu’il avait remis en cause son mode de vie. Ou plutôt, ses croyances en cet équilibre pour être tout à fait exact. Donc, il fallait qu’il se fasse pardonner. Avoir donné de sa personne pour visiter cette planète lui semblait déjà un pardon suffisant mais, visiblement, ce n’était pas de l’avis de la jeune femme.

Il se redressa dans l’eau pour se remettre debout et, faisant attention à chacun de ses pas pour ne pas glisser par mégarde sur un rocher dissimulé sous le sable, il se rapprocha de Rosas jusqu’à ce que son ombre la recouvre totalement. Sans un mot, il se pencha sur elle et déposa ses lèvres sur les siennes en un léger baiser.

- Satisfaite ? demanda-t-il en se redressa et s’écartant ensuite légèrement d’elle.

La nuit et la lune en soient remerciées – ou pas – il ne vit pas qu’elle avait rougi devant son geste. Auquel cas, il ne se serait nullement gêné pour la taquiner à ce sujet.

Il n’en eut toutefois pas le temps. S’étant redressée, elle venait de l’embrasser d’elle-même. Pas le simple et chaste baiser qu’il lui avait offert quelques secondes plus tôt mais quelque chose de plus passionné qui dura à peine quelques secondes. Mais ces secondes furent largement suffisantes. Certes, il avait ouvert une porte et elle s’y était engouffrée. Le regrettait-il ? Absolument pas.

Un léger sourire naquit sur ses lèvres alors qu’il caressa brièvement celles de Rosas de son pouce, son autre main s’étant posée par réflexe sur la hanche de la jeune femme.

- Je n’en doute pas.

D’une certaine manière, il en était satisfait. C’était un moyen comme un autre de laisser un souvenir aussi bien dans son esprit que physiquement à proprement parler. Une « marque » du Côté Obscur, en somme.

- On devrait sortir de l’eau, je peine à garder mes forces pour maintenir la barrière autour de mon corps…

Grâce à son aide, il put sortir hors de la mer sans encombre. Dès qu’il fut pleinement sur le sable, il abaissa son attention concernant sa barrière de Force pour empêcher l’eau de l’atteindre. Presque aussitôt, il sentit une fatigue s’abattre sur lui suite à cet effort constant. Une fatigue et une faim, dont cette dernière ne cessait de grandir. Il payait le prix de ses efforts.

Il préféra la laisser se charger du feu, récupérant de nombreux branchages sur le sable et des planches frêles afin d’avoir de quoi l’alimenter pour plus tard. Chose faite, le Zabrak s’assit sur la plage devant les flammes grandissantes.

Le baiser qu’elle lui donna avant de retourner plonger pour chasser quelques poissons l’amusa assez. À croire que c’était quelque chose qu’elle retenait depuis un moment déjà et qu’il n’avait fait que lui donner la clé de cette porte qu’elle gardait fermé. Pour quelles raisons ? Si raisons il y avait ? Il n’en avait pas la moindre idée.

De son côté, Maul fit en sorte de nourrir le feu de ses planches de bois tout en taillant les branches en pointe pour constituer des broches. L’habitude de survivre des suites de ses entraînements lui donna une certaine habileté à la tâche et dès que Rosas fut de retour, il avait fait de quoi étendre les broches de poissons au-dessus du feu et de les tourner pour une cuisson régulière.

- J’ai l’habitude de passer quelques jours sans manger. Un ancien entraînement à la dure, comme diraient certains.

Qui avait payé pour son endurcissement mental et physique.

- Tu l’attendais ? Ce baiser. Tu n’en semblais pas surprise.

S'il avait conscience qu'il mettait les pieds dans le plat en étant brut de décoffrage, pour le coup, cela lui était assez égal.