Le temps de la moisson [Rosas]

Son argumentation concernant les repas se tenaient. Aussi ne répondit-il pas le moins du monde. À la place, il tourna de temps à autre les poissons pour s’assurer de leur bonne cuisson, laissant la jeune femme tout à ses pensées. Jusqu’à ce qu’elle lui réponde.

Maul cessa de regarder les flammes et de surveiller les poissons, son attention s’étant reportée sur Rosas.

- Tu attendais que je brise la « barrière » entre nous ?

Il trouvait cela assez étonnant. Amusant, même. Pour quelqu’un qui était mercenaire et donc prompte à prendre les devants ou avoir des initiatives, c’était assez étrange d’entendre dire qu’elle avait attendu que ce soit lui qui franchisse la limite qu’il y avait précédemment entre eux.

- Pourquoi ?

Il nota qu’elle venait enfin d’ôter sa main du feu. Encore quelques secondes et il aurait été obligé de le faire lui-même de force. Silencieux, il écouta ses explications tout en gardant un œil attentif sur les victuailles qui cuisait à feu doux.

Si, au début, il n’eut pas vraiment d’explications, elle développa par la suite.

Quand il sentit son regard sur lui, Maul plongea à son tour ses yeux dans les siens et soutint son regard sans broncher.

- Ne confonds pas tout… je t’ai embrassé parce que tu voulais que je me fasse pardonner de ce matin. Je ne voyais que cela comme prix qui puisse te convenir.

Visiblement, il ne s’était pas trompé à ce sujet. Son attention se reporta sur les poissons qu’il tourna lentement, en retirant un pour toucher la chair avant de le remettre, constatant que ce n’était pas encore bon.

- J’ignorais que tu avais ce genre d’émotions en ce qui me concernait. Je ne l’ai compris que lorsque tu as recommencé de toi-même et maintenant que tu me parles à cœur ouvert.

Le Zabrak cessa de s’occuper des poissons pour reporter pleinement son attention sur elle.

- Tout ce que j’ai pu ressentir durant ma vie est de la haine, de la vengeance et de la colère. Depuis que je suis revenu d’entre les morts, je commence à voir le monde de façon très différente… à commencer par ce que la Force met sur mon chemin.

Le regard de nouveau perdu dans les flammes, il l’écouta lui expliquer ces fameuses « palettes » d’émotions. Certaines dont elle parlait lui étaient familières. La colère, la haine, le ressentiment… mais d’autres lui étaient totalement étrangères. Il savait lesquelles utiliser pour puiser davantage de puissance, c’était même cela qui lui avait permis de survivre à maintes reprises. Pour lui, c’était tout ce qui comptait.

Mais maintenant qu’il avait droit à une seconde chance pour parfaire à bien ce qu’il désirait mener, peut-être était-ce là le moment de remettre en cause tout ce qu’il avait appris ? Ou plutôt… tout ce qu’on lui avait forcé à apprendre.

- J’ai grandi et ai été façonné pour devenir une arme vivante par mon ancien maître… que toute la galaxie connaît puisqu’il montre maintenant son vrai visage.

Il regarda un instant sa main avec un sourire amer.

- Ce qu’il a plutôt été réussi, comme tant de projets qu’il a mené, d’ailleurs.

Le Zabrak laissa retomber sa main sur le sable. Son regard quitta les flammes pour se lever sur la lune et les étoiles, quand bien même il les voyait moins bien à cause de la lumière des flammes chaudes.

- Un Jedi a eu le bon sens de me dire un jour que les sentiments comme la vengeance et la haine sont, à ces yeux, des sentiments qui ne peuvent que détruire. Qu’il en avait été témoin. Pour quelqu’un comme moi, c’est l’inverse : la compassion, l’altruisme… ce sont des choses qui ne peuvent que nuire à soi-même.

Il reporta son attention sur elle.

- Dire que tu ne m’intéresses pas serait mentir. J’ai été intrigué par toi dès notre première mission sur Nar Shadaa.

Il aurait pu ne rien faire, oui. Mais il avait agi. Bien sûr qu’il avait ses raisons, il ne faisait jamais les choses au hasard. De même qu’il avait agi délibérément en lui proposant de partir avec lui pendant deux ou trois mois. Mais maintenant… il n’était plus certain que ce soit utile. Il savait qu’elle possédait une volonté forte.

Les graines des ténèbres qu’il avait laissé en elle peineraient à germer.

Sans doute jamais.

- Oui, tu es étrange, dit-il avec un léger rire en réponse à sa boutade.

Le Zabrak se demanda un instant si c’était la nuit et ses mystères qui rendaient les gens plus propices à la confession. Peut-être ? En tout cas, c’était l’impression que cela donnait d’être ainsi assis autour d’un feu où l’odeur des poissons commençait à faire comprendre qu’ils étaient prêts.

- Je voulais te prendre comme apprentie car tu as un potentiel incroyable. Mais maintenant… je doute que cela soit possible. Je reste un Sith, je ne fais rien au hasard. Sauf tout à l’heure, ce n’était pas du tout prémédité. Même maintenant, j'agis sur le moment.

- Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Du moins, pas vraiment.

Il soupira. Décidément, il enviait les Jedis sur ce point : être parfaitement clair avec leur ressentit et leurs émotions au point de les maîtriser totalement. Lui était devenu un maelstrom de violence sourde et contenue qu’il laissait éclater dès qu’il combattait, non sans une certaine retenue sur sa propre colère pour pouvoir utiliser la Force en même temps.

- Effectivement, tu n’es pas assez bien pour moi. Mais pas dans le sens où tu l’entends. Tu mérites quelqu’un qui soit du même avis que toi sur la Force ou sur n’importe quoi d’autre. Tu l’as dit toi-même : je suis un Sith. Tu es ce qu'on nomme une Jedi gris d'après ce que je sais, tu aspires à l’équilibre entre la lumière et les ténèbres. Pas moi.

Le Zabrak se pencha à son tour pour prendre une brochette de poisson qu’il regarda un long moment.

- C’est ce que j’ai compris en visitant cette planète. Je préfère la violence sourde de Dathomir et de ces sorcières Sith à la paix et la tranquillité de cet endroit. Dans tous les cas, ajouta-t-il après un moment de silence, j’admets être reconnaissant envers la Force de t’avoir mise sur mon chemin.

Cette fois, ce fut à son tour de se lever. Il alla récupérer ses vêtements laissés sur un rocher qu’il remit sur son propre corps.

Est-ce qu’il regrettait d’avoir trop parlé ? Non. Est-ce qu’il regrettait d’avoir dit la vérité ? Non plus. Elle aurait fini par la découvrir d’elle-même de toutes façons, et son offre de l’emmener avec lui pendant plusieurs mois avait été suffisamment explicite. De son point de vue. Aurait-il mieux valu qu’il soit davantage brut de décoffrage ? Peut-être.

- Il n’y aura pas besoin, répondit-il concernant le fait de le ramener à son vaisseau et donc en ville dès demain. Je peux courir.

La vitesse de Force était un bon exercice, sans compter l’adrénaline qu’elle offrait et la sensation de toute puissance. Il lui suffisait de concentrer son esprit sur ses jambes. C’était la première chose qu’on apprenait en tant que Sith.

Du moins, dans son cas.

- Même si mes paroles te semblent des mensonges à présent, crois-moi quand je te dis que j’ai pris plaisir à faire cette mission avec toi sur Nar Shadaa. C’était… grisant.

Le Zabrak rabattit le capuchon de sa cape sur sa tête, frappant le sol de ses pieds de métal assourdis par ses bottes, prêt à s’élancer.

Le Zabrak allait s’élancer quand elle le retint. Par des mots, pour commencer. Ses yeux jaunes cerclés de rouge l’observèrent attentivement sans qu’il ne cherche à l’interrompre une seule fois.

Elle avait aimé qu’il lui fasse découvrir Dathomir ? Lui aussi. Là non plus, ce n’était pas pour rien qu’il l’avait fait mais pour tenter d’éveiller cet attrait vers le Côté Obscur qu’il savait présent mais profondément endormi. Comme il l’avait dit, il n’avait absolument rien laissé au hasard.

Son regard se baissa sur sa main qui venait de prendre la sienne. Les paroles de la jeune femme reflétaient ce qu’il pensait déjà…

- Moi, je t’aurai accepté.

Maul observa un instant sa main qui tenait la sienne avant de plonger ses yeux dans les siens. De sa main libre, il fouilla un instant dans les plis de son long manteau pour en sortir un holocom de petite taille qu’il glissa entre les doigts de Rosas à la place de sa main.

- Fais-en ce que tu veux lorsque je serai parti. Tu peux le détruire, tu peux le garder. Mais si jamais tu désires parler, il te suffira de m’appeler. La ligne est sécurisée. De plus que tu sais où me trouver si jamais tu changes d’avis, ajouta-t-il en remettant délicatement une mèche de cheveux rosée derrière l’oreille de la jeune femme.

Il s’écarta ensuite d’elle, la laissant avec le petit holocom dans la main. Remettant correctement ses vêtements autour de ses épaules, il jaugea mentalement la route qui lui restait à faire. S’il restait concentré, il serait au village d’ici une bonne trentaine de minutes, et il récupérerait le speeder qu’il avait loué pour retourner en ville.